Le temps d'une histoire

Gisèle Halimi : un droit à l’avortement… et en Belgique ?

Gisèle Halimi

© Getty Images

Par Gérald Decoster via

Le Temps d’une histoire revient sur l’épopée de Gisèle Halimi. Née en Tunisie en 1927, elle s’est éteinte à Paris, en 2020. Elle fut avocate, militante féministe et même femme politique franco-tunisienne. Parmi ses principales causes, celle de l’avortement.

J’avais moi aussi, à 19 ans, connu la plus profonde détresse après un avortement réalisé par un jeune médecin sadique, un monstre, qui avait fait un curetage à vif en disant : “Comme ça, tu ne recommenceras pas."

Le 5 avril 1971, en France, c’est dans les pages du Nouvel Observateur que paraît " Un appel des 343 femmes ", appelant à légiférer sur l’avortement, alors toujours considéré comme un délit, aux yeux d’une loi de 1920. Ce qui est aujourd’hui connu sous l’appellation du " Manifeste des 343 salopes " a été rédigé par Simone de Beauvoir qui mettra en garde Gisèle Halimi, lui conseillant de ne pas signer le texte. Ce qu’elle fera car, l’avocate qu’elle est, doublée de sa situation personnelle le promet :

On ne touchera à personne sans nous inculper toutes…

Lors d’une manifestation MLF à Paris en 1971, Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi lui tenant le bras…
Lors du "Procès de Bobigny", en 1972, Gisèle Halimi répons à une interview ; à côté d’elle, Michèle et Marie-Claire Chevalier.

En 1972, s’ouvre le " Procès de Bobigny " : Gisèle Halimi défend Marie-Claire Chevalier, une mineure accusée d’avoir avorté à la suite d’un viol, et sa mère, Michèle, ainsi que trois autres adultes, prévenues de complicité ! La Cour reconnaissant que l’adolescente de 16 ans avait souffert de " contraintes d’ordre moral, social, familial, auxquelles elle n’avait pu résister ", elle sera libérée.

La mobilisation de l’opinion publique avant, pendant et après ce procès mènera à la dépénalisation de l’avortement en France, la fameuse loi Veil, du 17 janvier 1975. En 2020, à l’annonce du décès de Gisèle Halimi, l’actuel Garde des Sceaux et ministre de la Justice français, Éric Dupond-Moretti, lui rendra un vibrant hommage à l’Assemblée nationale…

Et en Belgique ?

Chez nous, dès 1867, les articles 350 et 351 du Code pénal considèrent l’avortement comme crime " contre l’ordre des familles et contre la moralité publique "… En 1923, la loi projetée dix ans auparavant par Henry Carton de Wiart est votée, qui punit toute incitation et propagande menant à la contraception !

Le docteur Willy Peers.

Il est évident que Gisèle Halimi exercera une influence notoire sur la dépénalisation de l’avortement en Belgique. Toutefois, dès 1970, la Société belge pour la légalisation de l’avortement voit le jour, sous les auspices du gynécologue namurois Willy Peers, un médecin humaniste dont les activités entraîneront bien des répercussions quelques années plus tard.

En effet, à la suite d’une dénonciation anonyme, Willy Peers est arrêté le 16 janvier 1973, accusé d’avoir réalisé environ 300 avortements. S’ensuit une campagne nationale pour sa libération, des grèves de la faim, des femmes et des médecins qui s’accusent d’être ses complices ; Peers sera soutenu par André Cools et le chanoine Pierre de Locht… Il n’y aura jamais de procès et la pression de l’opinion publique engendrera un statu quo : désormais, les médecins pratiquant l’avortement ne seront plus systématiquement poursuivis.

Si l’affaire Peers débouchera sur la loi Lallemand-Michielsens sur l’interruption volontaire de grossesse du 3 avril 1990, le processus sera loin d’être un long fleuve tranquille. Pour y arriver, de nombreux organismes et groupes voient le jour : en 1976, le Comité de la dépénalisation de l’avortement, deux ans plus tard, le Comité de la suspension des poursuites judiciaires car, l’état de grâce né quelques années plus tôt est rompu en 1978.

La même année, c’est la naissance du Groupe d’action des centres extrahospitaliers pratiquant l’avortement qui est créé car, inutile de se voiler la face : entre 74.000 et 150.000 interruptions volontaires de grossesse clandestines se pratiquent alors chaque année en Belgique.

La loi de dépénalisation partielle de 1990, qui n’autorise pas l’avortement mais en suspend les poursuites judiciaires lorsque l’avortement est pratiqué selon les conditions prescrites par la loi, entraînera un rebondissement imprévu : l’impossibilité de régner du roi Baudouin, le temps que le gouvernement trouve l’astuce qui permette au souverain d’éviter d’accorder sa royale sanction à une loi qui ne respecte pas ses convictions.

En 2016, DéFI rédige un projet de loi dépénalisant l’IVG. De nombreux autres partis entreront dans le jeu, signifiant le retour sur la scène médiatique et politique du principe de l’avortement. Le 15 octobre 2018, la nouvelle loi est adoptée, pourtant, selon l’avis de nombreux professionnels et associations, elle demeure insuffisante.

Dès 2019, la majorité des partis belges s’attellent à une proposition de loi qui devrait assouplir les conditions de recours à l’IVG. L’année suivante, le travail abouti au dépôt d’un projet de loi dépénalisant totalement l’avortement. Mais le CD&V, la N-VA, le Vlaams Belang et le cdH renverront par trois fois ce projet devant le conseil d’État… Et, lorsqu’enfin, le 15 juillet 2020, le texte revient au Parlement, CD&V, N-VA et Vlaams Belang déposent trois amendements et demande un quatrième renvoi au Conseil d’État, ce qu’ils obtiendront…

D’atermoiements en changements de gouvernements, la proposition de loi finalement portée par le PS est demeurée au Parlement, à la suite du dernier accord de gouvernement… Fin 2021, le groupe PS de la Chambre signalait que l’étude scientifique d’évaluation du texte était en cours… Les socialistes assurent que " Le dossier n’est pas au frigo "…  

© Tous droits réservés

À lire : Le Lait de l’oranger, de Gisèle Halimi, Gallimard, 2021

À suivre dans "Le Temps d’une histoire", le vendredi 4 mars à 23h05 sur La Une, Gisèle Halimi, la cause des femmes, un documentaire de Cédric Condon.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous