Culture & Musique

'Gorge profonde', le premier porno était une comédie sur la quête du plaisir féminin

Devanture de cinéma présentant le film pornographique 'Deep troat' (Gorge profonde)

© Bettmann Archive via Getty images

Par Bénédicte Beauloye via

Aujourd’hui, la pornographie est un empire colossal. Quelle soit industrielle ou amateur, en live ou sur le darknet, avec ses ultrastars, mais aussi la voisine qui alimente en live une sexe-cam comme d’autres s’inscrivent à un club de Zumba. La pornographie, partout, même là où on ne l’a pas sollicitée. Trop, en quantité, en piètre qualité, en violence. Les moyens de diffusion modernes l’ont rendue universelle. Le phénomène a cinquante ans cette année. Tout est parti de l’ambition d’un coiffeur pour dames à New-York, et de sa rencontre avec une jeune femme au don particulier. Le documentaire 'Gorge profonde. Quand le porno est sorti du ghetto' raconte l’histoire du premier film porno projeté sur grand écran en 1972. Il est visible sur Auvio jusqu’au 22 mai 2022.

Braver la censure

La pornographie, la représentation de l’acte sexuel, ça ne date pas d’hier, ni d’ il y a cinquante ans, on la retrouve déjà sur les murs de Pompéi. Au vingtième siècle, l’image animée fait son apparition, et permet de courtes séquences tournées en secret. Le documentaire 'Gorge profonde. Quand le porno est sorti du ghetto' nous plonge à la fin des années soixante, à New-York, où un quartier est le vivier de la débauche : Time square. Prostituées, peep-show, projection à la sauvette dans des arrière-boutiques de courtes séquences, en format 16 mm, muet, noir et blanc.

Ce type de film est interdit, tout comme la représentation de l’adultère dans les films grand public. Aux Etats-Unis, la Cour Suprême n’en peut plus d’adapter la censure à l’évolution des mœurs. Certains films vont braver ces interdictions : ‘The graduate’ (Le lauréat) en 1967, réalisé par Mike Nichols, dans lequel Dustin Hoffman et Anne Bancroft sont des amants adultères, ‘Macadam Cowboy’ de John Schlesinger, classé X en 1969 en raison de son héros prostitué (John Voight), et juste avant, ‘Barbarella’ en 1968, où Roger Vadim transforme Jane Fonda en femme du futur émancipée, à la conquête de son plaisir.

La quête du plaisir féminin

Affiche du film 'Deep troat' (Gorge profonde) présentant une femme épanouie

Et c’est justement la recherche du plaisir féminin qui va être à l’origine du premier film pornographique en 1972. Jerry Damiano, marié, deux enfants, tient un salon de coiffure pour dames. Il entend les confidences de ses clientes sur leur vie sexuelle peu épanouie. A la recherche du plaisir perdu, ou plus probablement jamais trouvé ! Il est cinéphile, et peu à peu lui vient l’idée de tourner un film explicitement sexuel.

Un vrai film, avec un scénario, des acteurs pour l’interpréter, des dialogues, du 35 mm. Il voit grand. Lors du casting, une jeune femme réservée le frappe par sa capacité inédite à engloutir le sexe masculin.

L’idée d’un scénario cocasse lui vient : une femme, à la recherche de son plaisir féminin, a son clitoris mystérieusement implanté dans la gorge. ‘Deep throat’ (Gorge profonde) était né, avec la quête de l’orgasme féminin au cœur de cette comédie.

Un trophée du droit à la jouissance

C’est une révolution. Avant les années cinquante, le plaisir au féminin est nié, voire condamné. C’est le rapport de 1953 du scientifique Alfred Kinsey qui va le premier décrire la sexualité féminine (Sexual Behavior in the Human Female). Dans les années soixante, les études de Masters & Johnson vont mettre en lumière l’importance du clitoris comme organe du plaisir féminin.

Cette idée est donc très nouvelle et au tournant des années septante la société en pleine mutation s’en empare. Deep Throat’ devient un objet de revendication. Les féministes le brandissent comme un trophée du droit à la jouissance.

Le film sera rapidement censuré et interdit dans vingt-trois états. Là où il est encore visible, il devient un phénomène culturel. Les couples vont le voir, des célébrités revendiquent de l’avoir vu, comme Truman Capote et Jack Nicholson. La classe moyenne participe à la révolution sexuelle. The New-York Times invente le terme ‘porno chic' pour le décrire. L’acte sexuel est projeté pour la première fois sur grand écran au cinéma.

Un symbole des violences faites aux femmes

Féministe protestant en rue contre le film 'Deep Throat' (Gorge profonde)

Pourtant, le film connaîtra plus tard un retournement de situation et de discours. Dans les années quatre-vingt, Linda Lovelace, la jeune actrice aux performances étonnantes, sort un livre décrivant comment elle a vécu ‘Gorge profonde’.

Elle raconte avoir été sous l’emprise de son mari souteneur puis manager, qui l’aurait battue et menacée de mort pour qu’elle participe au film. La publication de ce livre voulait dénoncer les violences faites aux femmes. Personne ne veut y croire, et ne retient que sa participation aux films pornographiques.

Son éditeur va alors la soumettre à un détecteur de mensonges, son récit est confirmé, elle n’a menti en rien. Elle va alors devenir l’égérie des féministes qui se battent contre l’exploitation de l’image de la femme dans les films pornographiques. Le film ‘Deep troat' passe du symbole de la libération de la sexualité des femmes à celui de l’aliénation et des violences faites aux femmes. Les féministes envahissent Time Square.

C’est la beauté de la pornographie, c’est un point de référence à partir duquel on peut parler des choses.

Le documentaire propose le témoignage d’Annie Sprinkle, artiste et actrice pornographique témoin des conflits de l’époque. 

"Les femmes sont différentes et vivent des expériences différentes. Je ne sais pas si un côté avait plus raison ou tort. Je pense qu’il s’agissait de choses complètement différentes. Les féministes anti porno parlaient de viol, d’abus, de violences contre les femmes. Et nous dans l’industrie du porno nous disions "Où est le clitoris ? , comment avoir de meilleurs orgasmes ?, qu’est-ce que nous aimons ? Quels sont nos fantasmes ? ". Des conversations complètement différentes. Mais elles ont fini par se rejoindre, et c’est la beauté de la pornographie : c’est un point de référence à partir duquel on peut parler des choses. "

Retrouvez l'entretien avec la réalisatrice du documentaire, Agnès Poirier, l'invitée de 'Entrez sans frapper'.

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