Près de huit mois après les premiers mouvements sociaux face à l’inflation, le Royaume-Uni est toujours paralysé par les grèves. Tout a débuté avec des arrêts de travail des cheminots, avant que la contestation populaire s’élargisse par la suite. Les grèves se poursuivent tout ce mois de février et de nombreux enseignants, cheminots, infirmières, ambulanciers se croiseront les bras.
Toutes ces grèves ont un point commun : elles concernent les services publics.
"Les revendications sont globalement les mêmes : plus de moyens et des augmentations de salaire en lien avec l’inflation. Même si, c’est vrai, chaque secteur a des demandes un peu plus spécifiques. Par exemple, les facteurs, eux, se mobilisent contre le fait de devoir travailler le dimanche", nous explique Emeline Vin, correspondante RTBF à Londres.
Depuis le Brexit et l’inflation galopante en Europe - provoquée principalement par la guerre en Ukraine -, les employés de l’État subissent durement la hausse des prix : "Les services publics, ce sont eux qui ont 'subi' la politique d’austérité instaurée par le gouvernement conservateur dans la foulée de la crise de 2008. Coupes budgétaires, moins de moyens, peu d’augmentations, les infirmières ou les enseignants, par exemple, ont perdu en 10 ans 20% de pouvoir d’achat".
2000 € par mois : insuffisant
Exemple concret, malgré de bonnes qualifications, certains ont du mal à vivre avec un salaire qui n’a pas suivi la courbe des prix à la consommation : "La semaine dernière, une institutrice en grève me racontait qu’elle avait deux masters, huit ans d’expérience et qu’elle gagnait 24.000 £ par an. Ça représente un tout petit peu plus de 2000 € par mois, ce qui, à Londres, n’est vraiment pas énorme. On ne va plus au restaurant, on ne va plus à la boulangerie, on achète du pain de mie au supermarché pour faire des économies, me disait-elle lors de la manifestation de mercredi dernier".
Mais la crise ne touche pas que les particuliers, c’est tout le système d’État qui souffre de l’inflation : "Une autre enseignante racontait que dans son école, il n’y avait plus d’argent pour du papier, pour des tubes de colle, voire pour réparer le toit. Alors ça, c’est l’illustration de la crise dans l’éducation, mais vous transposez au reste des services publics et voilà les raisons de la grève", détaille Emeline Vin.
Une semaine de mobilisation dans les soins de santé
Toute la semaine, les différents acteurs des soins de santé vont se relayer, avec plusieurs grèves prévues : les infirmières repartiront en grève ce mardi, les kinésithérapeutes se croiseront les bras jeudi, et les ambulanciers resteront à l’arrêt ce vendredi. La situation s’annonce donc difficile dans les hôpitaux.
"Les urgences vitales seront toujours prises en charge", précise notre correspondante. "Mais dans la mesure du possible, il faudra éviter d’aller à l’hôpital ou de s’y faire emmener par une ambulance, au risque d’attendre très longtemps, encore plus longtemps que d’ordinaire."
De longues attentes
Du côté des patients, les prochains jours se résumeront donc en un seul mot : l’attente. "Le 999, le service téléphonique d’urgence, ne décroche qu’au bout de 11 minutes en moyenne et les ambulances mettent en moyenne 90 minutes à arriver pour les cas graves comme des crises cardiaques. Ambulances qui, une fois sur cinq, doivent faire la queue devant l’hôpital afin de pouvoir confier la personne aux urgentistes", nous confie Emeline Vin.
"Une fois aux urgences, un tiers des malades attend plus de quatre heures pour être examiné. Ensuite, il faut encore patienter sur un brancard pour être admis à l’hôpital", ajoute-t-elle.
"Pour les problèmes de santé moins urgents, il faut souvent patienter des mois, voire des années pour consulter un spécialiste. Après un diagnostic de cancer par exemple, certains doivent patienter trois mois avant d’entamer leur chimiothérapie. Résultat, ceux qui en ont les moyens partent dans le privé, ce qui fait dire à l’opposition que le Royaume-Uni est en train de mettre en place un système de santé à deux vitesses."
Des conditions de travail jamais vues
Ce que dénoncent les manifestants, c’est la charge de travail devenue insoutenable et qui ne permet pas de pratiquer des soins correctement : "Côté soignants, on parle des pires conditions de travail jamais vues. Les professionnels de santé ont des nombres records de patients à traiter. Seulement, le NHS, le système de santé publique britannique, subit une véritable désertion."
En Angleterre, un poste sur dix n’est pas pourvu en partie à cause des conditions de travail, en partie à cause du Brexit, et en partie aussi à cause des mauvais salaires. "La moitié des centres hospitaliers du pays a dû ouvrir des banques alimentaires pour leur propre personnel. C’est un cercle vicieux : de plus en plus de patients, de moins en moins de soignants, donc de plus en plus de patients par soignants", décrit notre correspondante.
"C’est aussi l’une des revendications des grévistes : rendre les métiers de la santé plus attractifs, ce qui passe par plus de moyens, des salaires plus élevés pour au final mieux soigner les Britanniques."
Le gouvernement reste sourd aux revendications
Après plusieurs mois de mobilisation, la tension sociale pourrait-elle se calmer dans les prochains jours ? Cela est peu probable en raison de l’impassibilité du gouvernement britannique : "Pour les infirmières et les ambulanciers, c’est le deuxième débrayage et le gouvernement ne semble pas vouloir bouger sur les salaires. Il craint d’engendrer encore davantage d’inflation. Certains syndicats ont accepté de revoir leurs prétentions salariales à la baisse, mais aucun accord ne semble en ligne de mire. D’ailleurs, des mobilisations sont prévues au moins jusqu’au mois de mars à travers tous les secteurs du public", conclut Emeline Vin.