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Guatemala, 1954 : quand les États-Unis ont renversé un président démocratiquement élu

Par L'oeil dans le rétro via

Il y a 68 ans jour pour jour, le 27 juin 1954, le président du Guatemala démissionne et quitte le pays en raison d’un coup d’Etat. Cet événement a en réalité une portée mondiale : il est un peu à l’origine de l’anti-américanisme.

L’Amérique renvoie ces temps-ci une image pour le moins inquiétante avec des décisions difficiles à comprendre pour nous : remise en cause des législations sur l’avortement et, malgré la répétition des tueries de masse, une impunité totale en matière de possession d’armes à feu de tous styles. Le contraste est total par rapport à ce que représentaient les Etats-Unis pour beaucoup de citoyens du monde au lendemain de la seconde guerre mondiale : l’Amérique et ses soldats ont libéré l’Europe occidentale de l’occupation nazie, la principale démocratie a vaincu la pire des dictatures, le symbole est fort, c’est un peu le Bien contre le Mal digne des scénarios hollywoodiens. Et pourtant : le coup d’Etat de 1954 au Guatemala révèle un aspect beaucoup moins reluisant pour un pays qui veut se présenter comme celui qui apporte la démocratie et la liberté aux peuples du monde.

Au coeur de ce coup d’Etat une agence, la toute jeune CIA, créée 7 ans plus tôt, en 1947

La CIA remplace un organisme créé pendant la guerre, l’OSS – oui l’oss qui inspirera la parodie incarné au cinéma par Jean Dujardin. L’objectif est de créer une agence sous l’autorité directe du président des États-unis avec comme première mission de prévoir quand et où aura lieu une attaque soviétique. Nous sommes alors au début de ce qu’on appellera la guerre froide et le danger communiste inquiète l’occident et particulièrement les USA. Mais en plus d’informer, la CIA a un second objectif : mener des opérations secrètes pour contrer le danger communiste. C’est dans ce cadre qu’a lieu le coup d’Etat au Guatemala : il s’agit ni plus ni moins de renverser un président démocratiquement élu trois ans plus tôt :  Jacobo Arbenz Guzman est même le premier président du Guatemala à avoir été élu au suffrage universel.

En quoi le président guatemalien représente-t-il une menace aux yeux des États-Unis ?

Il veut mener une réforme agraire au profit des paysans ce qui crée un fort mécontentement chez les riches propriétaires terriens et surtout le plus important d’entre eux qui détient la majorité des terres non cultivées : la United Fruit Company, mieux connue aujourd’hui sous le nom de Chiquita. Le président Guzman heurte de plein fouet ses intérêts et comme il fait preuve de tolérance envers les communistes de son pays, cela suffit à le faire passer pour un communiste caché. Selon le bon vieux concept : celui qui n’est pas avec nous est contre nous, Guzman fait l’objet d’une tentative de déstabilisation par la CIA . Celle-ci apporte un soutien armé à un officier prêt à prendre le pouvoir par la force. Après avoir résisté, comprenant qu’il ne peut plus compter sur l’armée, le président Guzman démissionne le 27 juin 1954 et se réfugie à l’ambassade du Mexique. On ne peut pas savoir ce qu’aurait donné la suite de sa présidence mais on sait par contre ce qui est arrivé par la suite : le Guatemala tombe dans une dictature avec une répression féroce et s’enfoncera dans la guerre civile pour 25 ans.

Le début de la "légende noire" de la CIA ? 

L'idée que les services secrets américains sont capables de renverser les gouvernements qui ne lui plaisent pas se propage. Et pour cause, on retrouvera la CIA à l’œuvre à plusieurs reprises en Amérique latine mais aussi en Iran où un an avant le Guatemala, en 1953, la CIA parviendra à renverser le premier ministre Mossadegh au profit du shah d’Iran. En réalité, dans leur volonté de contrer l’influence soviétique dans le monde, les Américains se laisseront gagner par la raison d’Etat : contre l’URSS, tous les coups sont permis, y compris les plus tordus. En agissant ainsi, l’Amérique récolte ce qu’elle a semé : en Iran, le shah sera perçu par la population comme un pantin à la solde des Etats-Unis et le discours fondamentaliste fera le reste : l’Amérique deviendra le grand satan et l’est encore aujourd’hui. En Amérique latine, les agissements de la CIA contre Fidel Castro à Cuba et contre Salvador Allende au Chili s’ajoutent au coup d’Etat au Guatemala de 1954 pour salir l’image des Etats-Unis : ils disent vouloir défendre la liberté dans le monde et ils n’hésitent pas à soutenir des dictatures. La guerre du Vietnam dans les années 60-70 et en 2003 la guerre en Irak contre les fausses armes de destruction massive contribueront encore à nourrir un anti-américanisme parfois virulent, y compris en Europe occidentale

Cette Amérique qu’il est de bon ton de détester, nous continuons à tout attendre d’elle

En cas de crise comme la guerre en Ukraine, le réflexe européen est de se rapprocher des Etats-Unis à qui d’ailleurs nous venons encore d’acheter des avions. Et puis dans notre vie quotidienne, nous sommes biberonnés à Hollywood, Netflix et Amazon et il n’y a sans doute jamais eu autant de restos de hamburgers dans nos villes et nos campagnes. Bref François, le soft power américain n’a jamais été aussi puissant dans le monde et en même temps, cette Amérique, nous adorons la détester.

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