Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : après les chars, les avions ? "Il s'agit de la dernière ligne rouge dans ce conflit"

Ukraine : Demande d avions F-16

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Par Victor de Thier et Wahoub Fayoumi

Le débat sur la livraison de chars occidentaux à peine terminé – avec l’annonce de l’envoi de plusieurs dizaines d’engins américains, allemands et britanniques en Ukraine – c’est à présent celui sur la livraison des avions de combat qui revient sur le devant de la scène diplomatique.

Dans le viseur des Ukrainiens : le F-16 de production américaine. Le sujet a été ouvertement abordé lors de la réunion des alliés de Kiev qui a eu lieu le 20 janvier dernier à Ramstein en Suisse. Le président Zelensky a conclu son discours en demandant que la prochaine réunion aboutisse à la livraison de missiles à plus longue portée et des avions de chasse F-16.

Les Pays-Bas ont les premiers déclaré qu’ils étaient "ouverts" à la livraison de ces engins alors que l’Allemagne a mis en garde contre le risque d'escalade. De son côté, l’entreprise de défense américaine Lockheed Martin a d’ores-et-déjà annoncé qu’elle allait augmenter sa production afin d’être en mesure de répondre à d'éventuelles demandes.

Mais d'où viennent ces appareils ? Qui en possèdent ? Représentent-ils une nouvelle aide capitale dans ce conflit ? Et quel est le point de vue de la Belgique sur le sujet, elle qui en possède une cinquantaine dans son arsenal militaire ?

Un avion très exploité

Avec plus de 2.200 engins actifs, les F-16 sont les avions de combat les plus utilisés dans le monde. Selon le rapport World Air Forces de 2021, ils constituent 15% de la flotte mondiale. Les États-Unis représentent évidemment les principaux utilisateurs, avec 789 avions de combat et 150 appareils d'entraînement.

Selon ce même rapport, la Belgique disposait en 2021 de 43 avions F-16A de combat actifs et 8 avions F-16B d'entraînement. Cette flotte est destinée à être progressivement remplacée par des F-35, dont la première commande de 34 engins est attendue d’ici à 2025.

La popularité de cet appareil - qui a été modernisé sans cesse depuis sa mise en service par les États-Unis dans les années 70 - réside dans sa polyvalence et son coût relativement peu élevé. Mais Kiev ne le convoite pas uniquement pour ces deux qualités.

Tout comme pour les chars de combat Leopard, les Ukrainiens savent que ces avions sont disponibles en grande quantité dans l'arsenal militaire occidental, ce qui pourrait faciliter les livraisons. D'autant plus que plusieurs pays ont, comme la Belgique, entamé une procédure de renouvellement de leur flotte de F-16 par des F-35.

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Quelle utilité ?

Après la livraison de chars lourds, de lance-roquettes et de nombreuses pièces d'artillerie, la livraison d'avions de combat permettrait-elle de faire définitivement pencher la balance en faveur de l'Ukraine, comme l'espère Kiev aujourd'hui ?

"Aucune arme n'est une arme miracle qui va faire basculer le front à elle toute seule et décider de l'issue du conflit", tempère Samuel Longuet, chercheur au Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP). "Néanmoins, ces avions permettraient aux Ukrainiens de mettre davantage de pression sur l'aviation ennemie et, s'ils arrivent à s'en approcher suffisamment, de bombarder des positions russes afin d'apporter un peu d'oxygène à leurs forces sur le front."

Selon Nicolas Gosset, chercheur à l'Institut royal supérieur de défense (IRSD), il faut également éviter les effets de "grandes annonces" et de "course à l’échalote" dans le cadre de la livraison d'armes en Ukraine. "Pour le moment, les Ukrainiens reçoivent un petit peu de tout, mais en faible quantité. L'importance de l'aide réside aussi dans le respect des engagements, dans la quantité et dans le timing de l'aide fournie."

Les avions, dernière ligne rouge ?

Pour le moment, Washington n’a pas dit s’il compte soutenir pareil projet de livraison. En mars 2022, quelques jours après la destruction des principales bases aériennes ukrainiennes, le gouvernement avait officiellement rejeté les demandes de l’Ukraine pour obtenir des avions.

Les États-Unis justifiaient ce refus - tout comme celui de la livraison des missiles longue distance - par la crainte que Kiev ne se serve de ces équipements pour pousser l’offensive jusqu’au territoire russe, une ligne rouge dans ce conflit.

"Pour les chars de combat, la question de la ligne rouge à ne pas dépasser était un faux débat", estime Nicolas Gosset. "La vraie ligne rouge dans ce conflit, ce sont les frontières de l’OTAN et de la Russie. L’avion de chasse ouvre une autre dimension. Il est davantage susceptible de passer la frontière qu’un char de combat.

"C'est effectivement la dernière ligne rouge de ce conflit", abonde Samuel Longuet. "Les avions pourraient permettre aux Ukrainiens de mener des frappes encore plus en profondeur sur le territoire russe. Ils ont déjà bombardé des aérodromes situés sur le territoire internationalement reconnu de la Russie, mais les missiles utilisés ne venaient pas d'Occident. Il s'agissait d'anciens drones soviétiques qui ont été 'missilisés' par l'armée ukrainienne avec pas mal de débrouille. C'est donc là que réside le vrai risque en termes d'escalade : le fait que des missiles et des systèmes d'arme 'made in Europe' puissent viser directement le territoire russe."

 

Vers une évolution de la position américaine ?

La position des États-Unis sur ce sujet pourrait s’être assouplie au vu de l’évolution du conflit. Le 25 janvier dernier, plusieurs hauts responsables américains ont semblé prêts à rouvrir cette discussion. L’envoi d’avions de chasse sera "très soigneusement" discuté, a ainsi déclaré le conseiller adjoint à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jon Finer, sur la chaîne américaine MSNBC.

Par ailleurs, si cette approbation devait avoir lieu, elle n’entraînerait pas automatiquement des attaques ukrainiennes par delà la frontière, analyse Nicolas Gosset. "L’aide de la part des Occidentaux aux Ukrainiens est conditionnée à des règles d’engagement très strictes. Les Ukrainiens ont tout intérêt à respecter ces règles étant donné qu’ils dépendent totalement de la fourniture d’armes de la part des Occidentaux."

Par ailleurs, s’ils n’ont pas fait l’objet de grandes annonces diplomatiques, certaines pièces de ces avions ont déjà été livrées à l'Ukraine, estime le spécialiste. "Certains transferts ont eu lieu en coulisses sous formes de pièces détachées, notamment de la part de la Pologne, et certainement avec l’approbation des États-Unis. Lorsqu’on voit les dégâts infligés aux bases aériennes et aux appareils dans ce conflit, l’Ukraine n’aurait pas tenu longtemps avec son seul arsenal aérien. Le transfert de pièces s’est fait de manière détournée".

"Pas un besoin prioritaire de l'Ukraine"

Avec une cinquantaine d'avions de combat F-16 opérationnels, dont certains participent actuellement à une mission de dissuasion de l'Otan dans les pays baltes, la Belgique fait partie des alliés de Kiev susceptibles de lui fournir ce matériel mais, selon la ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS), la question ne se pose pas actuellement.

"Les besoins prioritaires des Ukrainiens ont été formulés lors de la réunion Contact Group à Ramstein et ils concernaient la défense anti-aérienne et la lutte anti-char, ce à quoi nous avons répondu dernièrement avec l'envoi de matériel pour répondre à ses besoins spécifiques", rappelle-t-elle.

"Nous aurons d'autres réunions. À chaque réunion, toutes les demandes sont discutées avec les partenaires et les alliés, mais aujourd'hui la Belgique a répondu aux besoins identifiés prioritairement par l'Ukraine." 

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