Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : comment expliquer que l'armée russe paraisse si mal préparée

Cette photo prise le 27 février 2022 montre un véhicule blindé de transport de troupes russe brûlant à côté du corps d’un soldat non identifié lors d’un combat avec les forces armées ukrainiennes à Kharkiv.

© AFP

Des images de matériels détruits ou abandonnés, des tanks en panne d’essence, l’utilisation de moyens de communication non-cryptés ou les récits de soldats manquant de nourriture : tous ces éléments font douter de la supposée puissance militaire russe, relève le quotidien britannique The Telegraph.

Loading...

Il est ainsi possible par exemple de se connecter au site du club amateur de radio de l'Université de Twente aux Pays-Bas pour scruter les ondes radio. Et comme le fait remarquer le média Slate : "Vous pourrez bien sûr tomber sur les programmes de radios asiatiques lambda ou des conversations entre camionneurs zambiens, mais certains sites sont spécialisés dans la surveillance des fréquences utilisées par les unités russes déployées en Ukraine et mettent à disposition certains enregistrements très surprenants de conversations militaires en clair entre soldats perdus".

"Ce que nous avons découvert est que les soldats russes sont en plein désarroi", explique au quotidien britannique Samuel Cardillo, fondateur de ShadowBreak. "Ils n’ont aucune idée de ce qu’ils sont en train de faire, ni comment communiquer comme il faut entre eux."

Loading...

"C’est comme de se brancher sur la fréquence de la police aux États-Unis. Les Russes communiquent en analogique. Donc quand ils demandent du soutien aérien, ou n’importe quel type de soutien, on entend les hélicoptères ou les jets", commente encore Samuel Cardillo, qui note à quel point ce manque de chiffrage rend les communications vulnérables aux écoutes (ou aux brouillages) des forces ukrainiennes ou de celles de l’OTAN, à proximité.

"Il y a eu des moments ou nous les avons entendus pleurer pendant des combats, ou s’insulter entre eux – à l’évidence pas vraiment le signe d’un moral au plus haut. Il y a eu un exemple où ils se sont tirés dessus, d’autres où on les entend discuter du rapatriement de corps à leur base."

Selon des sources citées par le Telegraph, le moral est si bas pour ces troupes jeunes, peu préparées, qui ne savaient pas réellement ce qu’elles s’apprêtaient à faire ou à qui l’on avait expliqué qu’ils seraient accueillis en héros, que beaucoup font tout simplement défection.

Problèmes structurels de l’armée russe

Selon Joseph Henrotin, politologue et rédacteur en chef du magazine Défense et Sécurité Internationale (DSI), ces revers ne sont pas uniquement dus au fait que les Ukrainiens sont en mesure d’écouter ce qui se passe et ensuite d’intervenir. "C’est une des composantes évidemment, mais au-delà de cela, quand on voit la structure des exercices russes menés depuis le début des années 2010, ces exercices concernent surtout la mobilisation des forces. Donc, par exemple, pour transporter des forces russes d’un coin à l’autre du pays, les Russes sont très forts."

Par contre, cet entraînement est adapté à des petites unités et pas à une armée de masse. "Et le problème, c’est que vous n’entraînez donc pas une machinerie très complexe, qui compte plusieurs dizaines de milliers de personnes, à être opérée, à interagir de manière fluide."

Joseph Henrotin relève aussi des déficits structurels chroniques dans le processus de modernisation de l’armée russe, en cours depuis 2008. L’un de ces déficits structurels porte sur les communications. "Pas mal de soldats russes sont obligés d’utiliser des téléphones portables ou des radios civiles", confirme-t-il. "Les Ukrainiens parviennent donc à géolocaliser les forces russes et à interrompre directement des batailles ou des approvisionnements en carburant, par exemple."

Au-delà de ce problème structurel de communication, il y a un deuxième problème structurel : celui de l’approvisionnement. "Pour résumer les choses, il n’y a pas assez de camions - pas assez de camions de carburant, de camions de munitions, de camions de nourriture - pour approvisionner des forces qui avancent relativement rapidement sur des distances importantes."

De son côté, Nicolas Gosset, chercheur au Centre d’études de sécurité et défense de l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD), n’est pas certain que cette faiblesse des lignes d’approvisionnement et de la logistique soit la seule explication à la lente progression de l’armée russe.

"On est très focalisé sur la situation autour de Kiev. Pourtant, cela bouge énormément dans l’est et dans la zone du Donbass. On parle très peu de ce qui se passe et là, vraiment, les combats font rage, les villes sont détruites, c’est vraiment très problématique. Les progrès de l’armée russe dans le Sud sont aussi significatifs. Mais effectivement, autour de Kiev, il y a une sorte d’attentisme de part et d’autre qui se met en place, qui est a priori difficile à expliquer."

Il pense pour sa part que cette lenteur relève peut-être d'un calcul tactique.

"Les Russes se sont auto-intoxiqués"

Un troisième aspect, "moins tactique mais beaucoup plus stratégique quant à lui", remarque Joseph Henrotin, entre également en ligne de compte : les Russes envisageaient une chute de l’Ukraine extrêmement rapide, en quelques jours, avec une désagrégation de la cohésion tant de l’armée ukrainienne que de la société ukrainienne.

"En fait, les Russes se sont auto-intoxiqués", analyse Joseph Henrotin, "c’est-à-dire que, dans pratiquement tous les médias officiels, tournait en boucle le fait que l’Ukraine était corrompue, que les choses allaient se passer très rapidement, que c’était un peuple frère, qu’ils allaient être accueillis en libérateur, que les choses seraient simples".

Cela a eu plusieurs conséquences. Premièrement, face à la résistance ukrainienne, les opérations ont duré plus longtemps. La planification de l’opération russe est donc bousculée et n’est plus adaptée, observe le rédacteur en chef de DSI.

Deuxièmement, puisque les Russes étaient censés être accueillis en libérateurs, il n’y avait pas lieu de renforcer la protection des convois et d’être particulièrement vigilant quant à la sécurité des lignes de communication. "Or la sécurité des lignes de communication est clairement remise en question puisqu’il y a des civils ukrainiens qui passent à l’attaque", notamment en lançant des cocktails Molotov de manière stratégique et organisée suite aux indications reçues de l’armée ukrainienne.

Le facteur Poutine

Mais comment le service des renseignements russe a-t-il pu se tromper à ce point ? "Vladimir Poutine", répond Joseph Henrotin.

Selon le politologue belge, Poutine se serait persuadé lui-même des arguments qu’il avance pour entrer en guerre avec l’Ukraine. "A force de répéter le même discours, on est sorti du cadre de la propagande pour entrer dans un cadre de renforcement positif. C’est typique de la pensée de groupe où quelqu’un émet une idée et où cette idée, aussi bizarre qu’elle puisse paraître, finit par devenir le narratif commun."

Même si, au sein de l’administration russe et dans l’entourage proche du président Poutine, certains se doutaient bien que l’intervention militaire ne serait pas perçue positivement par les Ukrainiens, personne n’ose le contredire. "On est pris dans une sorte d’étau", remarque Joseph Henrotin, "on risque de sortir de la chaîne décisionnelle si on s’oppose au président russe".

"Le responsable des renseignements russes a certainement été positionné là par Poutine, donc il doit tout à Poutine, il lui doit sa carrière. Et évidemment, il n’ira pas contre les ordres du chef, quand bien même ses analystes diraient 'Bon, écoutez, l’analyse n’est pas correcte'", ajoute encore l’expert des questions de défense.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous