Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : comment les armes belges sont-elles tombées entre les mains des légions russes anti-Poutine ?

Un soldat biélorusse avec une arme belge devant un bâtiment à Bakhmout

© Twitter / Belwarrior

Par Mathieu Van Winckel

Les caisses estampillées "FN Hertsal Belgium" sont ouvertes par des combattants en Ukraine. Ils en sortent des fusils semi-automatiques modèle SCAR-L calibre 5.56x45 mm. Le calibre utilisé par les forces de l’OTAN. Les armes sont neuves, encore emballées dans de la frigolite et du carton. Un montage au couteau et une musique martiale, la vidéo qui présente cette scène a été publiée le 14 avril 2022 sur Twitter, au début de la guerre en Ukraine. Nous étions alors dans les premières expéditions d’armes par les pays occidentaux. La Belgique annonçait la livraison de 5000 fusils semi-automatiques. Aucun problème jusque-là sauf que sur cette vidéo, les hommes qui prennent acquisition des armes belges ne sont pas Ukrainiens mais Biélorusses.

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Au début de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, des milliers d’étrangers, dont quelques Belges, vont se porter volontaires pour se battre aux côtés de l’Ukraine. Parmi eux, environ 2000 Biélorusses. Ils sont intégrés dans un bataillon de volontaires étrangers et répartis dans des légions en fonction de leurs nationalités. La légion Kalinouski tire son nom d’un héros national biélorusse qui s’est opposé à la domination russe. Cette légion va s’impliquer dans les terrains difficiles. Dans l’Est de l’Ukraine et notamment à Bakhmut. Les "Kalinouski" font partie des forces ukrainiennes et profitent donc, comme le reste de l’armée, des envois d’armes occidentales.

L'envie d'exister sur les réseaux sociaux livre des informations précieuses

La légion Kalinouski communique, montre la guerre sur les réseaux sociaux. Et les armes belges au logo de la FN Herstal sont clairement entre leurs mains sur différents fronts. "On y voit des FN SCAR-L et des FN SCAR-H montés avec une lunette de précision", confirme Samuel Longuet, chargé de recherche au GRIP (Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité). Et aux côtés de la légion Kalinouski, on retrouve une autre légion étrangère qui s’est fait connaître ces dernières semaines : la légion "Liberté de la Russie". Ce sont eux qui ont pénétré le territoire russe en direction de Belgorod fin mai. Ce sont donc des Russes anti-Poutine qui combattent ces derniers jours sur le sol russe. Et d’après les images qu’ils font eux-mêmes circuler, cette légion Liberté Russie est équipée de véhicules blindés américains et polonais et d’armes semi-automatiques dont le fameux FN SCAR-L produit à Herstal.

Un fusil semi-automatique FH SCAR équipé d'une lunette de précision aux mains d'un combattant biélorusse.
Un fusil semi-automatique FH SCAR équipé d'une lunette de précision aux mains d'un combattant biélorusse. © Twitter - Belwarrior

Ces légions étrangères ont donc eu accès aux armes occidentales, y compris la légion de volontaires russes. Des images émanant de leur chaîne Youtube montrent ces fameux soldats "anti-Poutine" avec différentes armes de fabrication belges. Au début de la guerre, de mars à juin 2022, les images montrent que ces soldats sont équipés de variantes modernes de la fameuse Kalachnikov et du célèbre FN FAL 2000 fabriqué en Belgique. Arme très reconnaissable par sa forme futuriste et son chargeur placé derrière la gâchette de tir. Ensuite, la légion de volontaires russe recevra des armes plus modernes. On voit entre leurs mains des Bren britanniques, des dérivés du Ar-15 américain et des FN Scar belges.

Un Russe qui a rejoint la légion "Liberté de la Russie" pour combattre avec l’armée ukrainienne, à Dolina dans l’est de l’Ukraine, le 26 décembre 2022. Son arme est un FAL 2000 de la FN Herstal.
Un Russe qui a rejoint la légion "Liberté de la Russie" pour combattre avec l’armée ukrainienne, à Dolina dans l’est de l’Ukraine, le 26 décembre 2022. Son arme est un FAL 2000 de la FN Herstal. © AFP - Sameer Al-DOUMY

Et où est le problème?

Il ne reste alors qu’un pas à faire pour comprendre où se trouve la polémique potentielle : cette légion "Liberté de la Russie" a combattu avec les Ukrainiens, avec les armes occidentales et les voici aujourd’hui engagés sur le sol russe avec ces mêmes armes. Eux prétendent qu’ils n’utilisent que les armes prises sur les soldats russes tombés au combat. C’est vrai en partie mais pas totalement. Voilà peut-être une des explications du problème. 

Confirmation de Samuel Longuet : "Plusieurs sources démontrent que ces bataillons étrangers ont été équipés des armes occidentales, ce qui pose question sur les capacités des Ukrainiens à maintenir une traçabilité. Il était assez prévisible que ces armes soient distribuées sans une garantie de contrôle absolu." Nous avons exposé tous ces faits à différents spécialistes, certains indépendants, d’autres plus proches des autorités belges. Tous confirment que le scénario du transit d’armes belges via les légions étrangères en Ukraine, et en particulier cette légion "Liberté de la Russie" est plus que probable.

La légion russe engagée aux cotés des Ukrainiens équipés d'armes FN SCAR
La légion russe engagée aux cotés des Ukrainiens équipés d'armes FN SCAR © Tous droits réservés

Un scénario qui pose un problème à l’Ukraine en termes de relations publiques. Kiev s’était engagé à ne pas utiliser ces armes sur le sol russe. Côté Belge, c’était une condition formelle. Les armes ne devaient être utilisées que par les forces armées ukrainiennes pour assurer la défense du territoire ukrainien. Et l’Ukraine devait, autant que possible, fournir toutes les informations demandées par la Belgique quant à la localisation du matériel. De nombreuses capitales européennes ont fait chauffer les téléphones officiels à Kiev. Les réponses n’ont, pour le moment, pas été très détaillées.

Et si tout ça n'était qu'une campagne de désinformation russe?

Elément à ne pas négliger dans cette affaire, cette polémique est reprise par l'appareil de communication russe qui souligne que "des armes occidentales sont utilisées pour agresser la Russie". Un élément qui sert le narratif russe qui affirme que la Russie ne fait que se défendre d'une agression occidentale. Mais les archives et images récentes sont nombreuses et le scénario vérifié par plusieurs spécialistes. Que ça arrange ou non les acteurs de cette guerre, les faits tentent à démontrer que les légions étrangères sont une des clés pour comprendre comment les armes belges ont pu arriver sur le sol russe. 

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