Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : comment les conflits dégradent les conditions sanitaires dans les zones de guerre

Les patientes de la maternité de l’hôpital de Kiev sont transférées dans un abri anti-bombes pendant l’attaque russe

© Getty Images

Alors que la guerre se poursuit et que la situation empire en Ukraine, une autre tragédie prend place : la dégradation des conditions sanitaires. Le 24 février, l’Organisation mondiale de la santé redoutait déjà une "catastrophe humanitaire" et sanitaire en Ukraine. Le 6 octobre 2021, un premier cas de poliomyélite paralytique a été détecté dans le pays. Depuis, à cause de la nature très contagieuse de la maladie, plusieurs autres cas non paralytiques ont été décelés. Une campagne de vaccination a bien été lancée le 1er février afin d’atteindre un taux de vaccination de 95%, nécessaire dans le cas d’une maladie très contagieuse comme la poliomyélite. Toutefois, la guerre éclata un mois plus tard et stoppa net l’effort de vaccination.

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Il reste aussi le risque que posent les laboratoires de santé en Ukraine où sont menées des recherches sur les maladies infectieuses. L’OMS a déclaré que, "dans le cadre de ces travaux, l’OMS a vivement conseillé au ministère de la Santé ukrainien et aux autres organismes compétents de détruire les agents pathogènes à haut risque afin d’éviter d’éventuelles fuites". L’état de ces laboratoires reste, pour l’heure, inconnu.

L’OMS identifie les risques en Ukraine

Dans son dernier rapport du 5 mars, l’OMS établie les principaux risques et besoins sanitaires résultant de la guerre : les blessures et traumatismes, la non-continuité des soins, les maladies infectieuses et la santé psychologique de la population ukrainienne.

L’OMS estime que le nombre de blessés est largement sous-estimé. Pour leur venir en aide, l’organisation estime que les actions prioritaires sont, entre autres, la fourniture de formations d’appoint rapides, la livraison de matériel et la mobilisation des équipes médicales.

En ce qui concerne la non-continuité des soins, l’OMS rappelle que, "la continuité des soins est un défi majeur pour les patients nécessitant un traitement à long terme, y compris ceux ayant des besoins médicamenteux pour le traitement d’affections, telles que le diabète et l’hypertension, ainsi que les patients atteints de cancer… Cette situation résulte de la rupture des chaînes d’approvisionnements…". Là aussi, les actions prioritaires consistent à assurer l’accès aux soins de santé et à des services de santé mobiles, de disposer de diagnostics clés, de médicaments et de fournitures médicales.

Les taux de vaccinations en Ukraine sont parmi les plus bas de la région Europe de l’OMS. Pour y remédier, l’organisation insiste sur le droit à l’accès à la vaccination pour les réfugiés ukrainiens. Notamment pour la poliomyélite, la rougeole, la rubéole et la Covid-19. Avec plus de deux millions de déplacés, l’OMS rappelle l’importance de la vaccination pour éviter la transmission de maladie via les flux de réfugiés, même si ce risque est faible grâce à des taux de vaccinations élevés en Europe.

Une situation bien connue ailleurs

Debby Guha-Sapir, professeure en santé publique, spécialisée dans les conflits et désastres à l’UCL et à l’Université Johns Hopkins, explique que l’Ukraine n’est pas un pays particulièrement pauvre. Malgré cela, la situation dans ce pays est assez particulière en raison de la couverture vaccinale moins importante qui y règne. Elle rappelle que plus une maladie est contagieuse, plus la couverture vaccinale doit être élevée pour empêcher sa propagation.

Elle a travaillé principalement au Yémen, au Soudan, en Afghanistan, en lrak et en Syrie. "Aujourd’hui, les maladies les plus dangereuses sont les maladies infantiles comme la diphtérie, le tétanos, la rougeole, la polio, la rubéole et la varicelle", rappelle la professeur. Ainsi, Debby Guha-Sapir souligne l’importance de la vaccination dans les pays en guerre ou les plus pauvres, qui a permis de réduire la mortalité infantile de plus de moitié.

D’ailleurs, les maladies infectieuses chez l’adulte ne sont pas à oublier, comme le VIH/Sida et Ebola. "Ebola a fait des ravages dans les pays en guerre civils ou extrêmement instables", explique la professeure.

Selon Debby Guha-Sapir, il y a plusieurs facteurs qui entraînent la dégradation des conditions sanitaires dans les zones en guerre.

Premièrement, l’effondrement du système d’immunisation dû à l’arrêt des campagnes de vaccinations.

Deuxièmement, le refus du personnel médical de se déplacer dans les zones de combats. "Au Yémen, il y avait des dizaines de bombardements par jour… sur le même village. Les conditions de travail dans ces zones sont épouvantables. Il n’est pas étonnant de voir que les professionnels de santé soient hésitants à s’y déplacer", ajoute la professeure.

Dans les 4 mois en Ukraine, 80.000 enfants naîtront. Est-on certain qu’ils seront vaccinés ?

De plus, même si les combats cessent et que l’aide médical arrive, les enfants qui auraient dû se faire vacciner à un certain âge ne l’ont pas été. "C’est un vrai problème. On sait que quand la fenêtre de vaccination optimale est dépassée, alors, l’efficacité du vaccin est moindre", précise Debby Guha-Sapir.

Troisièmement, la rupture des stocks. Les aéroports sont détruits ou capturés, les routes ne sont plus praticables et les communications sont perturbées. Cela crée un vrai problème pour constituer des stocks. "Egalement, la plupart des pays en guerre sont sous sanctions", précise la professeure. Dès lors, même si ces sanctions ne visent pas l’importation de matériel médical, la diminution de la disponibilité des moyens de transport entre le pays en guerre et le monde, résulte en la réduction de livraisons de vaccins et de matériel médical.

"Le manque de carburant est lui aussi un problème majeur. Cela signifie que même si du matériel médical arrive dans le pays, il n’est pas certain qu’il puisse être acheminé dans les zones reculées, où ce matériel est nécessaire", ajoute Debby Guha-Sapir.

La spécialiste souhaite mettre en évidence d’autres maladies qui font des ravages dans les pays en guerre ou les plus pauvres comme les maladies diarrhéiques : "Ce sont des maladies très dangereuses pour les enfants malnutris. La propagation de ces maladies passe par l’eau contaminée. Tout ça est dû à la destruction des infrastructures civiles comme les systèmes d’alimentation en eau potable. J’ai pu le voir en Syrie ou au Yémen".

La professeure met en garde sur ce sujet, en précisant que si la guerre continue et surtout s’intensifie, il est tout à fait possible de voir des épidémies, longtemps oubliées en Europe, resurgir.

Une réponse humanitaire décisive

Le Bangladesh avait accueil 1,2 million de réfugiés rohingyas, qui étaient dans une situation humanitaire et sanitaire catastrophique. Le pays est soumis à des épidémies récurrentes (paludisme, dingue, diarrhée, …) dues à sa localisation géographique et à son climat humide.

Pour ces raisons, les taux de vaccination dans le pays se sont beaucoup améliorés avec les années chez les Bangladais. Les Rohingyas, forcés l'exil, souffraient quant à eux, d’une couverture vaccinale extrêmement basse.

Pour répondre à cette situation, Debby Guha-Sapir explique que la réaction humanitaire a été rapide et décisive : "Les humanitaires sont arrivés rapidement. Ils ont installé des latrines et ont soigné les réfugiés. Résultats ? Les Rohingyas étaient, après la réception de cette aide, dans une meilleure situation sanitaire que les Bangladais de la région. Cela fait dix à quinze ans que la réponse humanitaire s’est grandement améliorée. Les ONG sont devenues très professionnelles, elles sont agiles et arrivent à trouver des solutions créatives…".

Ainsi, Debby Guha-Sapir se montre optimiste quant à l’efficacité de la réponse humanitaire en Ukraine.

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