Depuis l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, la Suisse a tenu à maintenir son statut de pays neutre. Ce qui ne l’empêche pas d’appliquer certaines sanctions. Mais bien de refuser que de l’armement fabriqué en Suisse et acheté par un pays européen, comme l’Allemagne, soit livré aux Ukrainiens pour qu’ils puissent se défendre. Une position pas forcément simple à comprendre. Mais parfaitement assumée par la Confédération suisse, qui précise dans un "questions-réponses au sujet de la neutralité de la Suisse" publié sur le site du Département fédéral des Affaires étrangères que la neutralité n’est pas une donnée rigide mais un instrument de politique extérieure, de sécurité et économique, qu’il faut adapter en fonction du climat politique général.
Le gouvernement suisse rappelle d’ailleurs avoir conduit une discussion sur la neutralité le 7 septembre 2022, qui a mené à la conclusion que la politique de neutralité telle que tenue et pratiquée depuis 1993 garde sa validité.
"Pour mieux comprendre cette position du gouvernement suisse, explique Michel Liégeois, professeur à l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe de l’UCLouvain, "il faut jeter un œil sur la scène politique intérieure suisse. Le premier parti en Suisse, c’est l’UDC. C’est un parti d’opposition, qui se qualifie de centre droit mais qui peut être considéré comme un parti populiste, pas loin de l’extrême droite, et qui prend, comme ailleurs d’autres partis d’extrême droite en Europe des positions assez sensibles au narratif poutinien, dont ils relaient un certain nombre d’éléments. En Suisse, cela prend une tournure un peu particulière parce que du coup, ce parti se présente un peu comme le gardien du temple de la neutralité et cela lui évite d’apparaître comme un soutien de Poutine. Il veut éviter que la Suisse ne s’engage trop aux côtés de l’Ukraine, mais plutôt que de le dire comme le fait un Zemmour ou certains membres de l’extrême droite française qui utilisent des arguments géopolitiques qui ressemblent un peu trop aux arguments de Poutine, il a cette facilité de dire " je suis le seul à bien comprendre le concept de neutralité de la Suisse, et au nom de cette neutralité et de la sécurité de la Suisse, j’estime que le gouvernement ne doit pas faire cela".
De quoi, selon ce spécialiste des relations internationales l’UCLouvain, expliquer en grande partie pourquoi le gouvernement suisse est limité dans sa marge de manœuvre. Même si, ajoute-t-il, "la neutralité est aussi un statut qui convient assez bien pour permettre au système bancaire suisse qui reste un élément important de sa prospérité de se déployer sans être trop perturbé par des prises de position politiques du gouvernement suisse qui seraient trop disruptives ou mettraient la Suisse en porte à faux par rapport à certaines régions du monde ou certains pays, le fait d’être neutre permet au système bancaire suisse de faire son petit business as usual, notamment parce que la Suisse ne montre peut-être pas autant de zèle que d’autres pays à appliquer certaines sanctions internationales".