Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : deux journalistes étrangers décédés, en quoi consiste le métier de reporter de guerre ?

© Getty

Brent Renaud, un journaliste américain a été tué et un autre blessé par balles dimanche à Irpin en Ukraine, dans la banlieue nord-ouest de Kiev, théâtre de violents combats depuis plusieurs jours. Danylo Shapovalov, un médecin engagé auprès des forces ukrainiennes, précise que "Brent Renaud a reçu une balle dans la nuque et a été tué sur le coup".

Les journalistes se sont fait tirer dessus juste après avoir passé un checkpoint pour traverser un pont alors qu’ils étaient en voiture. L’origine des tirs reste, pour l’heure, encore incertaine même si les autorités ukrainiennes ont rapidement accusé leurs ennemis russes d’avoir tiré sur les journalistes américains.

"C’est un métier dangereux. Même si en l’occurrence, il semble que Brent Renaud n’a rien fait d’inconsidéré, il était dans une voiture clairement marquée, avec des vêtements visibles, … Ce sont les risques associés au métier", explique le photojournaliste Bruno Stevens.

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Le journaliste portait sur lui son ancienne carte d’accréditation du New York Times, laissant penser qu’il travaillait en Ukraine pour le quotidien new-yorkais. En réalité, ce dernier était sur place pour Time Studios, dans le cadre d’un projet portant sur le thème des réfugiés, a indiqué le média dans un communiqué.

Le journaliste américain est le premier journaliste étranger à être tué depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février. Pierre Zakrzewski, un cameraman de la chaîne Fox News a lui aussi été la cible de tirs lundi à Horenka, près de Kiev, alors qu’il était en voiture. Il est décédé suite à cette fusillade.

Le 1er mars, un confrère de la télévision publique ukrainienne avait été tué dans le bombardement russe de la tour de télévision de Kiev. Au total, quatre journalistes ont été tués et plus de 30 ont été blessés depuis le début de l’invasion russe.

Etre reporter de guerre est effectivement risqué, mais en quoi consiste vraiment ce métier particulier ?

Un métier particulier

Bruno Stevens a travaillé pendant 20 ans en tant que photojournaliste. Il a couvert les tensions dans plusieurs pays, entre autres en Palestine et Israël, en Tchétchénie, au Mexique, en Haïti, en Irak, au Laos, au Cambodge, en Libye, au Darfour, en ex-Yougoslavie, etc.

Familier des zones de conflits, il est resté en contact avec d’anciens collègues en Ukraine : "J’ai des dizaines d’amis et d’anciens collègues en Ukraine en ce moment qui travaillent sur le terrain. Hier à peine, je parlais avec un ami pendant deux heures. Il me tient au courant sur la situation sur place".

Bruno Stevens commence son activité de photojournaliste à 40 ans. Avant de se consacrer à ce métier, il suit des études à l’INSAS pour devenir ingénieur du son. Le photojournaliste a beaucoup voyagé, y compris dans des zones qui sont aujourd’hui quasiment inaccessibles.

En 1981 et 1982, alors qu’il est étudiant, Bruno Stevens part réaliser des reportages photo en Afghanistan sur les moudjahidines en se joignant à un groupe de rebelles. Ensuite, il continue sa carrière dans la musique avant de décider de se consacrer à son métier de photojournaliste spécialisé dans la couverture des zones de tensions et de conflits.

Plusieurs évènements ont marqué le photojournaliste : "J’ai fait toute la guerre d’Irak du côté irakien. Quand vous vivez pendant un mois dans une ville qui est constamment bombardée et qu’elle finit par tomber, ça vous marque. Je pense aussi à l’Intifada en 2000 à Jérusalem et à la chute des Talibans en 2001. Sans oublier le Darfour, un conflit sur fond de tensions ethniques et politiques où des populations innocentes se faisaient massacrer par des milices armées par le gouvernement. C’était assez épouvantable…".

Etre prêt pour toutes les circonstances

Bruno Stevens a côtoyé Brent Renaud sur le terrain. Le journaliste américain possédait une vraie connaissance de son métier. Il avait notamment travaillé sur de nombreux projets de films documentaires avec son frère Craig, et couvert des sujets aussi divers que la crise des réfugiés en Amérique centrale, les soubresauts politiques en Egypte et la lutte contre l’extrémisme en Afrique et au Moyen-Orient.

Le photojournaliste estime que, contrairement à Brent Renaud, une partie non négligeable des jeunes qui se lancent dans ce métier cherchent avant tout l’adrénaline. "Il faut être passionné par la géopolitique, par le monde, par le voyage et être curieux", explique-t-il.

"J’ai déjà vu de jeunes journalistes, moins expérimentés, partir habillés en vêtements quasiment militaires. Ils ne sont pas assez bien identifiés et ne savent pas comment se comporter dans une zone de combat. Les dangers sont multipliés à partir du moment où vous n’avez pas assez d’expérience", témoigne Bruno Stevens.

Selon Bruno Stevens, un journaliste doit réunir plusieurs éléments pour faire un bon travail en tant que reporter de guerre. Tout d’abord, il est nécessaire de bien connaître le contexte du conflit qui est couvert. Pas seulement les évènements actuels mais toutes les raisons, les causes et l’histoire de ce conflit. "Si je ne connais pas tous ces éléments, je suis incapable d’apporter une analyse en profondeur des évènements", précise-t-il.

De plus, être résistant au stress et à la fatigue est indispensable car les conditions de travail sont éreintantes. Enfin, il faut partir avec l’engagement clair d’un média car faire du reportage de guerre coûte cher. "Il faut payer le guide, une voiture, un traducteur, l’hébergement et la nourriture. Il faut prévoir 500 à 600 euros par jour, sans compter les frais de déplacement", précise Bruno Stevens.

Pour se préparer, il existe des stages et des formations à destination des journalistes prévoyant de se rendre dans une zone de guerre. Bruno Stevens précise que ces formations permettent d’apprendre les bons gestes et comportements à adopter, que ce soit au passage d’un checkpoint et même en cas de kidnapping.

Une éthique et du sens

En tant que témoin d’un conflit, le reporter de guerre est amené à assister à des drames humains. Bruno Stevens explique comment il "fait la part des choses".

"Je compare mon métier à celui d’un médecin. Quand un médecin voit une personne blessée dans un accident, arriver aux urgences, que fait-il ? Il réagit en fonction de ce qu’on lui a appris, sans se poser de questions, pour sauver la personne blessée de la manière la plus efficace possible. Quand le médecin rentre chez lui le soir, il n’est pas traumatisé car il est entraîné, il crée une distance et il sait pourquoi il fait tout ça. Mon métier, c’est un peu pareil. Cependant, ça ne veut pas dire que nous sommes insensibles, mais on est capable de canaliser cette sensibilité."

Bruno Stevens s’impose une certaine éthique en tant que photographe. "On prend toutes les photos dans le but de créer l’archive la plus large possible, ne pas prendre les photos reviendrait à nier l’existence des événements. Après, il est certain qu’on ne va pas diffuser toutes les photos dans les médias, mais elles auront le mérite d’exister."

"Le but du reporter de guerre est de documenter l’histoire au moment où elle se crée, on devient historien du présent. De plus, on donne à la future mémoire de l’humanité les outils pour comprendre son passé", conclut-il.

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