Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : en visant les infrastructures essentielles, la Russie se rend-elle coupable de crimes contre l’humanité ?

Volodya Kolomiet, un Ukrainien de 58 ans, à Moschun, village détruit par les bombardements russes, le 19 novembre 2022. Les conditions météo rendent la vie quotidienne encore plus difficile en Ukraine.

© Metin Aktas – Anadolu – Getty Images

"Nous devons endurer cet hiver – un hiver dont tout le monde se souviendra". La déclaration du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, est sans équivoque. L’armée russe continue de bombarder l’infrastructure énergétique avec des dizaines de missiles, causant de graves dommages et laissant une bonne partie du pays sans électricité.

Les dernières victimes en date de ce pilonnage incessant ont fait 15 morts et 35 blessés à Kherson, ville stratégique du sud du pays récemment abandonnée par les forces russes, reliant la péninsule de Crimée annexée par la Russie et le port ukrainien d’Odessa.

Loading...

Volodymyr Zelensky n’a pas hésité à qualifier de "crime contre l’humanitéla stratégie russe consistant à viser les infrastructures civiles, au moment où l’Ukraine a basculé dans des températures hivernales. Les alliés occidentaux, quant à eux, ont préféré le terme de "crime de guerre" aux mots du président ukrainien.

Loading...

Mais que signifient ces deux expressions et lequel correspond le mieux au ciblage des infrastructures essentielles ukrainiennes ?

Deux définitions distinctes

Les actes pouvant être considérés comme crimes de guerre sont listés officiellement par l’article 8 du Statut de Rome, qui est à l’origine de la Cour pénale internationale (CPI), habilitée à juger les crimes les plus graves de la communauté internationale. On y trouve les catégories suivantes :

  • Les infractions graves qui visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève ;
  • Les violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux ;
  • Les actes commis à l’encontre de personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou par toute autre cause ;
  • Les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international.

Le crime contre l’humanité est lui aussi défini par le Statut de Rome comme étant un acte "commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque". Il possède cependant quelques particularités compte tenu de sa gravité.

Tout d’abord, il n’est pas nécessaire qu’il soit commis en temps de guerre pour être jugé, contrairement à un crime de guerre. Il est imprescriptible, c’est-à-dire que l’on peut être jugé pour ce dernier même des années après les faits. Et enfin, chaque acteur ayant pris part à un tel crime est responsable et justiciable, du dirigeant d’un pays au simple soldat.

D’ailleurs, le crime contre l’humanité n’est pas seulement réprimé par le droit international mais aussi par le droit belge qui a adopté la définition du Statut de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998.

Les deux à la fois

Selon Eric David, professeur émérite de droit international public à l’Université libre de Bruxelles, les attaques menées par l’armée russe sur les infrastructures civiles en Ukraine peuvent être qualifiés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité : "C’est ce qu’on appelle en droit pénal un concours idéal d’infractions (lorsque le même fait constitue plusieurs infractions, ndlr). D’une part, comme les infrastructures essentielles ont un double usage, c’est-à-dire qu’elles peuvent servir aussi bien pour les civils que pour les militaires, le qualificatif de crime de guerre convient. Mais étant donné le caractère complètement disproportionné des dommages causés aux populations civiles par rapport à ceux causés à l’armée ukrainienne, alors, à ce moment, ça devient un crime contre l’humanité".

En effet, la qualification de crime contre l’humanité semble adéquate en raison des dommages collatéraux trop importants sur les populations civiles. De plus, d’après le professeur émérite, en attaquant massivement les infrastructures essentielles du pays et en privant la population de ressources vitales, la Russie cherche à "briser" le moral ukrainien, ce qui révèle un caractère intentionnel de ces attaques.

Conséquences pour la Russie après la guerre

La Russie et l’Ukraine n’étant pas membres de la CPI, des poursuites sont-elles possibles et quelles pourraient être les conséquences pour les instigateurs de ces crimes ?

En tout cas, la compétence de la CPI ne fait aucun doute pour Éric David : "En 2014, après l’annexion de la Crimée par la Russie, l’Ukraine, sans être partie du Statut de Rome, a néanmoins reconnu la compétence de la CPI. Par conséquent, tous les faits qui se déroulent sur le territoire ukrainien sont des faits qui relèvent de la compétence pénale de la Cour", explique le professeur.

Mais indépendamment de cela, toujours selon Éric David, comme les faits correspondent à des crimes de guerre et contre l’humanité, ces derniers ouvrent la compétence universelle dans tous les États du monde. En d’autres termes, les responsables de ces bombardements, qu’il s’agisse de Poutine ou de ses généraux, pourraient être poursuivis pénalement pour leur responsabilité et leur participation à ces crimes.

"En cas de changement de régime en Russie, les tribunaux russes pourraient se charger des jugements des responsables. Ils pourraient même les livrer à la justice internationale", ajoute Éric David. Néanmoins, un tribunal où comparaîtrait Poutine est difficilement imaginable même si cela est théoriquement possible, comme en témoigne l’exemple d’Omar el-Béchir.

L’ex-chef d’État soudanais renversé en 2019, recherché par la CPI et accusé notamment pour génocide et crimes contre l’humanité lors du conflit au Darfour, devait être extradé par le Soudan. Le pays avait même assuré qu’il allait "remettre les personnes recherchées à la CPI". Deux ans après, force est de constater que la Cour attend toujours cette extradition.

Soutien européen indéfectible

Paris et Berlin continueront à soutenir Kiev jusqu’au bout du conflit, a assuré la Première ministre française Elisabeth Borne à Berlin, aux côtés du chancelier allemand Olaf Scholz. Londres a également démontré son soutien en envoyant le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverly, qui a annoncé de nouvelles aides aux Ukrainiens, en particulier l’envoi d’ambulances et un "soutien" aux "survivantes des violences sexuelles perpétrées par l’armée".

Et la Belgique n’est pas en reste, comme en témoigne la rencontre ce samedi entre le Premier ministre Alexander De Croo, la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib et le président Volodymyr Zelensky. Le Royaume vient même de dégager 10 millions d’euros pour le transport de céréales depuis les ports ukrainiens vers des pays du sud, devenant ainsi l’un des premiers contributeurs au programme "Grain from Ukraine".

Pour rappel, depuis le début de la guerre, le pays a libéré un total de 221,7 millions d’euros d’aide pour l’Ukraine.

Journal télévisé du 26 novembre 2022

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous