Les tensions entre les deux pays ne datent pas d’hier. La Turquie et la Russie sont en conflit depuis l'époque de la Russie des Tsars et de l’Empire Ottoman. Les guerres russo-turques du 16e au 20e siècle avaient comme objectif le contrôle des Balkans et l’accès aux mers chaudes comme la Méditerranée.
Depuis une décennie, la Turquie a diversifié sa diplomatie qui était autrefois principalement dirigée vers l’Occident. Elle s’est orientée vers le Moyen-Orient et son voisinage, ce qui inclut la Russie. Par conséquent, la Turquie a voulu apaiser son voisin russe. La Turquie s'est lancée dans des partenariats sécuritaires avec la Russie, tel que l’achat du système de défense aérienne S-400, des systèmes sophistiqués qui ont nécessité la présence d’instructeurs et d’ingénieurs russes sur le sol turc. En mesure de représailles, les États-Unis ont écarté la Turquie du programme de chasseurs F-35. Depuis, les relations avec Washington se sont dégradées.
Pour Vincent Eiffling, chercheur associé au CECRI et au GRIP, la Turquie joue sur plusieurs plans car ses intérêts résident en Europe et en Russie.
"La Turquie est très dépendante économiquement de la Russie. Premièrement, avec le gaz qui transite sur le territoire turc à destination de la consommation domestique et de l’exportation. Deuxièmement, vis-à-vis du tourisme russe en Turquie qui représente 19% des visiteurs étrangers. Ses intérêts économiques sont divisés entre les marchés européen et russe", explique le chercheur.
Il faut souligner que la Turquie est dans une situation économique difficile. La Turquie dépend de Moscou pour maintenir à flot son économie déjà minée par une inflation à près de 55% sur un an. En 2021, Moscou a assuré 44% de ses importations de gaz et ses 4,7 millions de touristes ont représenté 19% des visiteurs étrangers en Turquie. Dès lors, selon Vincent Eiffling, l’économe turque ne peut pas se payer le luxe d’instaurer toutes les sanctions déjà mises en place par les Européens. "Erdogan ne veut pas trop fort sur le clou pour essayer de se placer en tant que médiateur dans le conflit et il ne peut y arriver que s’il garde des relations cordiales avec la Russie", ajoute le chercher.
La Russie est aussi très dépendante de ses exportations énergétiques
Cependant, si la dépendance à l’égard des exportations énergétiques russes existe, la Russie a elle aussi besoin de voir son gaz passer par les détroits turcs. Dans le cas contraire, son budget en serait affecté.
Selon Vincent Eiffling, la guerre en Ukraine aura plus de conséquences sur les relations internationales que le 11 septembre : "On a un Etat qui est souverain, qui est une démocratie, sur le sol européen et qui n’a pas connu de guerre depuis un certain temps… L’invasion a été un choc aussi en Turquie qui craint la Russie et ses appétits". Si l’Ukraine tombe sous domination russe, cela viendrait à rompre le équilibre dans la région de la Mer Noire. Un équilibre que cultive la Turquie qui veut se développer comme puissance maritime. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir que la Turquie n’ait jamais reconnu l’annexion de la Crimée par la Russie.
Autre point de discorde, le soutien des deux camps à des régimes opposés, comme envers le régime de Bachar al-Assad. Malgré cela, il est à noter que les deux pays ont toujours coopéré économiquement et ont fait preuve d’un pragmatisme exacerbé en compartimentant les dossiers de leurs politiques internationales pour continuer à coopérer sur le plan énergétique. Un secteur crucial pour les deux économies.
Aussi, la Turquie reste la deuxième armée de l’Otan quantitativement et son matériel est lui aussi plutôt moderne. Le pays est une puissance régionale majeure et la Russie le sait. Par conséquent, la Turquie peut négocier de manière plus frontale avec les Russes.