Croiseur coulé. La perte du Moskva, navire amiral de la marine russe, est un coup dur pour la Russie. Sa supériorité navale est remise en question. Ce déboire majeur laisse craindre une escalade dans le conflit en Ukraine.
Un navire amiral irremplaçable
Apparemment, les dommages subis par la coque du Moskva étaient trop importants. La tentative de remorquage du croiseur endommagé dans la nuit de mercredi à jeudi a échoué. Le bâtiment, fierté de la flotte russe a coulé.
C’est le ministère russe de la Défense qui le reconnaît sans donner plus de détails. Dans une mer agitée, il a probablement chaviré. Son équipage, composé de 510 hommes, avait été évacué aux dires de la marine russe, ce qui prouve à quel point le bateau était atteint : une évacuation ne se réalise qu’en tout dernier recours, observe le porte-parole de la Marine belge Olivier Vogels au micro de la VRT : "On ne quitte le navire que quand toutes les autres options sont épuisées".
Incendie et détonation de munitions à bord, la thèse russe, frappe de deux missiles Neptune, la version ukrainienne, le résultat est le même : l’armée russe perd son vaisseau amiral.
Plus de navire de commandement, tout un symbole, mais aussi perte de la protection antiaérienne assurée par ce bâtiment. Le Moskva, qui date des années 80 et a été rénové ensuite, est surarmé pour garantir la défense du reste de l’armada russe en mer Noire.
C’est embarrassant pour la Russie. C’est un bâtiment extrêmement coûteux, non remplaçable
Selon le chercheur Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense, il garantissait "une bulle de défense antiaérienne sur trois couches. Cela n’a pas fonctionné. Soit il y a eu une défaillance technique, humaine, d’ingénierie dans la modernisation du bâtiment. C’est embarrassant pour la Russie. C’est un bâtiment extrêmement coûteux, non remplaçable".
Ironie du sort, ce navire construit en Ukraine, dans les chantiers navals de Mykolaïv, a été frappé, si l’on en croit les Ukrainiens par des missiles lancés précisément de ce port…
Et pas question d’imaginer le remplacer : d’abord parce que la marine russe ne dispose pas d’un second exemplaire de croiseur de cette classe, et quand bien même : impossible de le faire venir en mer Noire. La Turquie a en effet fermé le détroit du Bosphore aux navires de guerre en vertu de la Convention de Montreux qui interdit l’accès à la mer Noire aux navires militaires en temps de guerre. Aucun navire russe de la Baltique ou de Syrie ne viendra… Une attaque amphibie, sur Odessa par exemple, sans le Moskva est aussi devenue quasi inenvisageable.
"Un remplacement n’est pas à l’ordre du jour", confirme Olivier Vogels. "Dans une guerre navale, au début de la guerre, toute la flotte disponible pour atteindre l’objectif est immédiatement rassemblée et envoyée. Il ne faut pas imaginer que la Russie a déployé 16 navires maintenant et qu’elle en enverrait 10 autres plus tard pour terminer la mission."
Un affront pour la Russie
Au-delà du revers militaire majeur que représente la perte du Moskva, il y a donc l’humiliation. C’est aussi le point de vue du général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire auprès des Nations unies interviewé par France Inter : "La Russie avait coulé toute la petite flotte ukrainienne et donc on pensait qu’elle allait pouvoir régner sur la mer, que les Ukrainiens ont réussi à perfectionner leurs systèmes de missiles à l’origine russes, modifiés par eux. Ce bateau qui assurait la défense antiaérienne de la flotte n’a pas pu assurer sa propre défense. Et les coups qui visaient les dépôts de munitions à bord sont des coups remarquables qui vont désorganiser la flotte russe au large d’Odessa".
Cela ne devrait pas modifier le déroulement de la guerre, estime Nicolas Gosset. Par contre "si l’on considère l’aspect maritime et la suprématie militaire construite en mer Noire depuis plusieurs mois, c’est un problème, car le Moskva était un élément central du dispositif de protection de l’ensemble de la flotte. Les autres bâtiments de cette flotte sont rendus plus vulnérables".
C’est un affront pour l’armée russe censée dominer sans partages sur la mer. Elle avait déjà perdu un bateau de débarquement de grand format le mois dernier dans le port de Berdiansk, lui aussi touché par un missile ukrainien.
Trophée pour les Ukrainiens
Le gouverneur ukrainien de la région d’Odessa, Maxime Martchenko, revendique ce fait d’armes : les forces armées ukrainiennes, dit-il, ont frappé le Moskva avec des missiles de croisière Neptune de fabrication ukrainienne, lui infligeant d'"importants dégâts". Si tout ceci est bien confirmé, le Moskva serait le plus gros navire de guerre coulé par l’ennemi depuis la Deuxième guerre mondiale.
Une victoire qu’a soulignée le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans son message vidéo du soir en faisant référence aux Ukrainiens comme "ceux qui ont montré que les navires russes ne peuvent qu’aller au fond".
Les autorités ukrainiennes accréditent leur thèse en dévoilant le stratagème qui leur a permis de frapper le Moskva. Ils auraient détourné l’attention des systèmes de protection antiaérienne du croiseur en envoyant des drones d’un côté pour en profiter pour envoyer leurs missiles Neptune frapper l’autre bord. Une tactique rendue possible par la faible visibilité due au mauvais temps et peut-être de bons renseignements fournis par les Américains sur la localisation du Moskva…
Vers une escalade ?
Ce déboire laisse aussi entrevoir une escalade dans le conflit. Les revers militaires en Ukraine pourraient inciter le président russe Vladimir Poutine à recourir à une arme nucléaire tactique ou de faible puissance dans ce pays, met en garde William Burns, le chef de la CIA, l’agence de renseignement américaine. Mais "nous n’avons pas vraiment constaté de signes concrets comme des déploiements ou des mesures militaires qui pourraient aggraver nos inquiétudes", ajoute-t-il.
La Russie hausse en effet le ton, mais elle le fait sur base d’accusations d’attaques "terroristes" par l’Ukraine de villages russes bombardés par des hélicoptères de combat. Six frappes, sept blessés dans la région de Briansk, impossible à vérifier. Mais des affirmations qui pourraient justifier des représailles. Le porte-parole du ministère russe de la Défense a ainsi déjà menacé de frapper des "centres de prise de décision, y compris à Kiev, ce que l’armée russe s’est retenue de faire jusqu’à présent".
Et de fait : de fortes explosions ont retenti ce vendredi matin à Kiev et Kherson. "Vraisemblablement parce que Poutine est furieux que le navire de guerre Moskva a coulé", écrit une députée ukrainienne sur Twitter.
"Le fait qu’ils aient frappé ce vendredi matin notamment une usine de production de missiles antinavire dans la banlieue de Kiev est une confirmation a posteriori de l’origine du tir", abonde Nicolas Gosset.