Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : qui contrôle les ruines de Bakhmout où 100.000 soldats ont été tués ou blessés ?

Guerre en Ukraine : qui contrôle les ruines de Bakhmout, ville martyre, où 100.000 soldats sont morts ?

© AFP

Par Catherine Tonero & Africa Gordillo

Les déclarations se succèdent ces dernières heures sur la prise de Bakhmout, ville symbole de l’oblast de Donestk à l’est de l’Ukraine. Bakhmout, ville martyre dont il ne reste que des ruines, quinze moins après le début de l’offensive russe. Sur place, les morts et les blessés se comptent par dizaine de milliers dans les deux camps. "Du côté russe (on parle essentiellement des hommes de Wagner), c’est de l’ordre d’un maximum de 70.000 hommes en pertes, c’est-à-dire les hommes morts et blessés qui n’ont pas pu être renvoyés au front. Du côté ukrainien, on a aussi plusieurs dizaines de milliers de morts dans cette bataille, probablement de l’ordre de 30.000", résume Nicolas Gosset, chercheur Russie Eurasie à l’Institut Royal de Défense.

Ce samedi, le chef du groupe paramilitaire russe Wagner, Evguéni Prigojine annonçait la prise totale de la ville. Quelques heures plus tard, le président russe Vladimir Poutine félicitait les mercenaires de Wagner et l’armée russe par voie de communiqué. Le président ukrainien, lui, a rapidement démenti l’information, tout en évoquant une "tragédie" et en déclarant à des journalistes qu’il "n’y a plus rien là-bas".

Bakhmout est-elle définitivement tombée aux mains des Russes ? Nous avons essayé d’y voir plus clair avec Nicolas Gosset.

Bakhmout est-elle complètement tombée aux mains des Russes ?

Nicolas Gosset : "Bakhmout est sous contrôle des forces de Wagner, à l’exception de quelques ares de terrain au sud ouest de la ville. Donc, après 225 jours de combats et d’assaut, après plusieurs annonces successives de Prigojine sur la prise de cette ville, le contrôle de cette ville, on peut considérer aujourd’hui que l’ancien cœur urbain de Bakhmout, une ancienne ville de 70.000 habitants complètement détruite, est contrôlé par Wagner. Il n’y a pas de doute… quand on regarde les positions, les images satellitaires, les communiqués des blogueurs russes et des blogueurs ukrainiens. Il n’y a plus de doute.

Au point de vue tactique, il faut reconnaître cette victoire attendue depuis des mois par Wagner. D’un point de vue stratégique, ça ne change rien à la situation et ça change encore moins de choses depuis les mouvements ukrainiens de ces dernières semaines qui tentent avec un succès relatif et lent (mais qui semble se confirmer) de procéder à un encerclement de la ville.

Donc le cœur urbain est sous contrôle de Wagner. Les forces régulières russes qui se trouvaient essentiellement sur les flancs tentent de se retirer. Il y a eu énormément de désertions. Et Prigojine lui-même a annoncé, pour la deuxième fois, que le 25 mai, donc d’ici quelques jours, il retirerait ses forces de la ville pour les voir remplacées par les forces régulières de l’armée russe et assurer la défense totale du territoire dans l’arrière-pays. Est-ce qu’il ment ? Est-ce qu’il ne ment pas ? C’est très difficile à savoir. Mais implicitement, il confirme effectivement que les positions russes sont précaires sur les flancs de la ville.

Il a dit une deuxième chose qui me semble importante, c’est que l’essentiel sera de défendre Bakhmout. Il sera plus dur de la défendre que de la conquérir, a-t-il dit. Effectivement maintenant, c’est sur cette capacité russe – Wagner d’une part, armée régulière d’autre part – à tenir la zone et à organiser la défense pour empêcher une percée ukrainienne dans une logique de contre-attaque."

Wagner, aujourd’hui, n’est plus en mesure de continuer à avancer à partir de la position de Bakhmout.

Nicolas Gosset, chercheur Russie Eurasie à l’Institut Royal de Défense

Mais est-ce qu’on peut vraiment parler de victoire russe alors que Bakhmout revêt plus une importance symbolique que stratégique ?

Nicolas Gosset – "Le contrôle de cette ville en soi n’est pas une énormité stratégique parce que Bakhmout est en réalité un fond de vallée. Et l’essentiel, c’est le contrôle des collines environnantes. Ce contrôle des collines environnantes est ukrainien aujourd’hui.

Il y a une dimension symbolique, mais par la nature même, par l’ampleur prise par cette bataille au cours des derniers mois de la guerre, on dépasse le symbole : par l’ampleur des pertes qu’elle a causées de part et d’autre, par le tremblement de terre qu’elle a causé dans la relation entre Wagner et les forces régulières (russes, ndlr).

Donc je dirai "oui", d’un point de vue factuel, il y a aujourd’hui une forme de victoire russe qui n’est pas une victoire de l’armée russe mais qui est une victoire de Wagner. Le groupe paramilitaire a montré qu’il pouvait aller au bout de cette bataille et enfin contrôler la ville.

Donc, d’un point de vue tactique, nous avons une victoire. D’un point de vue stratégique, ça n’en est pas une et ça ne change pas fondamentalement la donne parce que Wagner est tellement usé, n’a plus la possibilité de recruter dans les prisons. Donc Wagner n’est plus ce groupe de 60.000 hommes d’il y a six mois. Il y a eu des pertes.

Wagner, aujourd’hui, n’est plus en mesure de continuer à avancer à partir de la position de Bakhmout. Donc ce n’est pas une victoire stratégique, mais le contrôle de la ville aujourd’hui est russe. Donc voilà, il y a une forme de victoire tactique de la Russie qui voulait exercer son contrôle sur la localité sans que cela ne puisse changer, et ça ne puisse déterminer un contrôle plus avancé de la zone de Donetsk par les Russes, qui est l’objectif stratégique."

Je fais avec vous l’hypothèse que le sort de Bakhmout au cours des derniers jours marque le début de la contre-offensive ukrainienne dans des proportions beaucoup plus larges que ce que nous avons connu jusqu’à présent.

Nicolas Gosset, chercheur Russie Eurasie à l’Institut Royal de Défense

A contrario, peut-on vraiment parler de défaite ukrainienne alors que les Russes en sortent épuisés et qu’une grande contre-offensive ukrainienne est annoncée ?

"La stratégie ukrainienne n’est pas toujours très lisible. Mais ce qui est évident, c’est que pendant ces derniers mois, ils ont cherché à fixer l’effort offensif russe dans la zone pour les empêcher de se disperser ailleurs et de pouvoir tenter des percées dans d’autres zones du front.

De ce point de vue là, même si les pertes ukrainiennes sont considérables sur la zone, elles sont sans mesure avec l’ampleur des pertes russes, simplement parce que les Russes et Wagner ont fonctionné par vagues d’assauts successifs qui ont impliqué des milliers d’hommes et qui, par leur nature, causent beaucoup plus de pertes.

Si on se place du point de vue russe, nous avons une victoire puisque Bakhmout est contrôlé par la Russie et que c’était à tenter depuis des mois. Et du côté ukrainien, on a quelque chose qui ne s’assimile pas à une défaite non plus, parce que plusieurs objectifs stratégiques qui étaient visés ont été atteints : fixer les Russes sur la zone le temps que cette fameuse contre-offensive puisse être lancée.

Je l’attendais depuis quelques semaines. Immanquablement, elle arrive et je fais avec vous l’hypothèse que le sort de Bakhmout au cours des derniers jours marque le début de la contre-offensive ukrainienne dans des proportions beaucoup plus larges que ce que nous avons connu jusqu’à présent.

Point important qui est aussi à mettre à l’actif des Ukrainiens : ces mois de guerre d’usure sur le front de Bakhmout ont conduit à une fragmentation du front russe et à des dissensions de plus en plus évidentes entre Wagner et l’armée régulière russe qui sert la cause des Ukrainiens. Et en plus, ça a cassé l’élan de Wagner et cassé la possibilité de lancer des assauts sur d’autres parties du front."

C’est la plus grande bataille sur le continent européen depuis la Seconde Guerre mondiale.

Nicolas Gosset, chercheur Russie Eurasie à l’Institut Royal de Défense

A-t-on une idée plus précise dans les deux camps ?

Nicolas Gosset – "Du côté russe (on parle essentiellement des hommes de Wagner), c’est de l’ordre d’un maximum de 70.000 hommes en pertes, c’est-à-dire les hommes morts et blessés qui n’ont pas pu être renvoyés au front. Du côté ukrainien, on a aussi plusieurs dizaines de milliers de morts dans cette bataille, probablement de l’ordre de 30.000 pertes.

On a des pertes immenses des deux côtés ; c’est une bataille terriblement meurtrière. C’est la plus grande bataille sur le continent européen depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais l’ampleur des pertes est nettement supérieure du côté russe (associés et supplétifs) que du côté ukrainien."

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