Le président ukrainien Zelensky veut échanger le député et homme d’affaires ukrainien Viktor Medvedtchouk, proche du président russe Vladimir Poutine, en fuite et récemment arrêté, contre les Ukrainiens en captivité en Russie. "Je propose à la Fédération de Russie d’échanger cet homme contre nos gars et nos filles qui sont actuellement en captivité en Russie", lance Volodymyr Zelensky sur Telegram.
Parrain et oligarque du "clan de Kiev"
Viktor Vladimirovitch Medvedtchouk n’est pas n’importe qui. Docteur en sciences, juriste, avocat à succès, ambitieux, maître des intrigues… que certains soupçonnent d’avoir travaillé pour le KGB à l’époque soviétique. Il se lance dans les affaires avec les frères Ihor et Hryhorij Sourkis dès les années 1990 et devient un des oligarques les plus puissants d’Ukraine, à la tête de ce que l’on a appelé le "clan de Kiev".
Douzième fortune d’Ukraine en 2021 avec 620 millions de dollars selon le magazine Forbes, il se lance en politique à la fin des années 1990, d’abord sous la bannière sociale-démocrate avant de s’en éloigner puis de revenir en 2012 en créant un mouvement politique opposé au rapprochement avec l’Europe.
L’ami de Poutine
De fait, il est surtout considéré comme l’allié – ou le pion – du président russe depuis 20 ans. Un ami personnel, allié politique mais aussi dans le business, et même par la famille : Vladimir Poutine serait ainsi le parrain de Daria, la fille de Medvedtchouk. Ils passent d’ailleurs leurs vacances ensemble sur la mer Noire.
Il s’engage pour la protection des autres langues utilisées en Ukraine, le hongrois, le polonais, le roumain, mais surtout le russe. Il expose des visions fédéralistes pour l’avenir de l’Ukraine.
Il se pose aussi en pourfendeur d’un Occident qui voudrait imposer à l’Ukraine contre les intérêts du "peuple", comme par exemple dans cette interview de 2018 : "toutes les décisions qui sont prises aujourd’hui, de la politique à la sphère sociale et humanitaire, vont à l’encontre des intérêts du peuple […] notre gouvernement répond docilement à toutes les demandes de l’Occident et, en premier lieu, de Washington. On nous parle constamment de subjectivité, d’indépendance, de souveraineté… Mais de quelle sorte d’indépendance, de quelle sorte de souveraineté pouvons-nous parler, si le centre de prise de toutes les décisions dans notre pays aujourd’hui se trouve à… l’ambassade des États-Unis ? Nous entendons sans cesse les revendications de l’Occident : procéder à la privatisation, ouvrir le marché foncier, relever l’âge de la retraite, augmenter les tarifs. Voici le dernier exemple en date : l’exigence du FMI, Banque mondiale, Washington, Bruxelles, concernant l’adoption d’une loi sur le tribunal anti-corruption."
Un entremetteur en plein conflit avec la Russie
Viktor Medvedtchouk incarne l’opposition pro russe au parlement ukrainien. Il est le fondateur du parti pro russe "Plateforme d’opposition-Pour la Vie", qui comptait une trentaine de députés au Parlement ukrainien avant d’être interdit en mars, après l’attaque russe. Un opposant longtemps toléré en Ukraine, car jouant le rôle de relais dans la communication avec Moscou, notamment lors de la crise de 2014.
Il est présent lors des négociations des accords de Minsk. Mais difficile de dire à quel titre, même pour Novaya Gazeta. Le ministère ukrainien des Affaires étrangères ne l’a pas désigné. Il est là par la bonne grâce de la présidence ukrainienne de l’époque, celle de Petro Porochenko, apparemment sur conseil de la chancelière allemande Angela Merkel, qui elle-même aurait reçu la suggestion du Kremlin…
Son job est couronné de certains succès : il se vante d’avoir fait libérer 481 personnes.
Cette position parfois qualifiée de "gouverneur du Kremlin à Kiev" est ambiguë. Elle permet aussi de faire de bonnes affaires et d’énormes profits pendant la guerre dans le Donbass. Mais cette situation d’intermédiaire n’est pas sans risque : il devient vite persona non grata aux Etats-Unis et au Canada, doit mettre sa fortune au nom de son épouse…
Traître à la patrie ?
Depuis 2019, son étoile pâlit. Ses chaînes de télévision pro russes Zik TV, NewsOne et 112 Ukraine détenues par le député Taras Kozak sont interdites. Les sanctions s’abattent sur lui en Ukraine aussi.
En mai 2021, il a été assigné à résidence pour haute trahison et tentative de pillage de ressources en Crimée où il posséderait des biens immobiliers. Il lui est aussi reproché d’avoir investi en 2014 dans une raffinerie russe qui alimente en carburant les forces séparatistes du Donbass. L’enquête est en cours. L’homme nie toute infraction. "De la répression politique", selon lui.
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février dernier, il avait soudainement disparu.
Viktor Medvedtchouk a pu être arrêté suite à une opération spéciale du service de sécurité ukrainien SBU. "Que Medvedtchouk soit un exemple pour vous. Même l’ancien oligarque ne s’est pas échappé. Sans parler des criminels de bien moindre envergure de l’arrière-pays russe. Nous aurons tout le monde", avertit Volodymyr Zelensky avec en illustration cette photo d’un Medvedtchouk en treillis, échevelé et menotté.