Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : tous ces signaux qui indiquaient que Vladimir Poutine durcissait sa politique étrangère

© AFP or licensors

Par Lavinia Rotili

Ce samedi matin, l’évacuation des habitants de Marioupol, port ukrainien encerclé par les forces russes, a été reportée à cause de multiples violations russes du cessez-le-feu, selon la mairie. Alors que la guerre continue de frapper l’Ukraine, cette invasion suscite toujours l’incrédulité. Pourtant, des signes précurseurs auraient dû alerter l’Occident sur les visées stratégiques russes.

Selon Nina Bachkatov, spécialiste de la Russie et autrice d’un livre à ce sujet (Poutine, l’homme que l’Occident aime haïr, eds Jourdan, 2018), la politique étrangère de Vladimir Poutine s’est envenimée pendant plusieurs années, sous les yeux de l’Occident.

"Il y a une série de choses qui ne sont pas neuves dans la politique de Vladimir Poutine", nous explique-t-elle, en référence aux relations difficiles entre l’Occident et la Russie. "L’approche occidentale est très différente de l’approche russe. Les Occidentaux ont été dans une sorte d’euphorie pour avoir gagné la Guerre froide, ils se sont sentis vainqueurs et ont eu l’impression d’avoir imposé un nouvel ordre mondial. Or les Russes remettent en question ce système établi et voudraient que leur sécurité soit prise en compte".

Les Russes en quête de reconnaissance

"Les Russes, qui étaient en position de faiblesse, ont accumulé une frustration qui va dominer leur relation avec l’OTAN", précisait-elle dans son livre en 2018.

"A cela, il faut ajouter aussi qu’une série de déclarations maladroites en Europe n’aident pas. C’est le cas de celle de Bruno Le Maire, qui avait parlé de faire 'effondrer l’économie russe' (avant de rétropédaler sur ces mots, ndlr). Cela ne fait que renforcer le sentiment, dans le chef des Russes, que l’Occident cherche des prétextes pour les mettre de côté", déclare-t-elle.

Ces éléments expliquent, en partie, les raisons du conflit. "La Russie aspire à être une grande nation qui a un rôle sur l’échiquier international, mais je ne pense pas que l’invasion de l’Ukraine corresponde à une volonté de reconstruire l’URSS", analyse Nina Bachkatov.

L’envie de la Russie de se réaffirmer sur la scène internationale est un élément que nous retrouvons dans plusieurs analyses. Élie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l’Ifri (Institut français des relations publiques), estime dans une analyse récente que : "Le déclenchement des hostilités dans la nuit du 24 février 2022 marque, sans aucun doute possible, un tournant dans l’histoire du XXIe siècle : après deux décennies au cours desquelles les États-Unis avaient été le seul acteur capable de s’engager dans ce type d’opération, une nouvelle période apparaît qui voit la puissance militaire sinon changer de camp, du moins se banaliser."

Cette volonté de défier l’ordre international actuel est une caractéristique qu’on retrouve aussi dans l’analyse de Julien Pomarede, docteur en sciences politiques et chercheur à l’ULB et à Oxford. "Dans les médias, on voit beaucoup d’articles sur d’éventuelles visées économiques que Vladimir Poutine pourrait avoir en Ukraine. Or oui, le pays est riche en métaux rares, mais moins que d’autres nations. Je pense que le coût de cette opération militaire est bien supérieur au gain que la Russie pourrait en tirer. Il s’agit d’une guerre idéologique, visant à conquérir des territoires supplémentaires, à mettre l’Occident face à la rancœur russe et à lui montrer que la Russie est contraire à l’ordre mondial actuel."

L’Union européenne "fragmentée"

Pour lui, plusieurs éléments auraient dû alerter les politiques sur ce qui allait se passer. "L’Union européenne a toujours été dans la recherche d’un compromis avec la Russie, essayant de garder des relations constructives. L’enjeu énergétique était au cœur de cette stratégie, notamment pour l’Allemagne. Les Etats membres rêvent d’un Green Deal et voudraient adopter une position ferme vis-à-vis de la Russie, mais c’est impossible s’ils ne parviennent pas à résoudre leur problème de dépendance énergétique de la Russie."

D’un autre côté, observe le chercheur, par le passé, les Etats membres de l’Union européenne se sont montrés assez fragmentés vis-à-vis de la Russie, comme dans les tentatives de rapprochement de l’Hongrois Viktor Orban à l’égard de Moscou.

"A posteriori, on ne s’est pas non plus rendu compte que la Crimée était le début d’une guerre plus grande. Et pourtant, cela fait des années que Vladimir Poutine affirme que l’Ukraine est une construction artificielle et qu’elle n’est rien qu’une extension de la Russie. Grosso modo, la stratégie de Poutine est d’être toujours un cran au-dessus. Plus vous cédez, plus il en voudra. C’est ce qu’il s’est passé avec l’annexion de la Crimée et avec la fragmentation du Donbass", explique encore le chercheur.

Dans son livre, Nina Bachkatov parle également de l’approche "hyper-russe" de Vladimir Poutine, selon lequel la Russie serait la mère d’une communauté culturelle plus grande, qui s’étend jusqu’à l’Ukraine et aux Slaves de l’Est.

Un durcissement en mode crescendo

Globalement, selon Julien Pomarede, la stratégie russe en politique étrangère a évolué en mode crescendo pendant des années. "Même s’il est facile de le dire a posteriori, il y a des indices qu’on n’a pas voulu voir. Depuis six ou sept ans, la politique militaire de Poutine est devenue de plus en plus aguerrie."

Il y a eu la Crimée, puis le Donbass. De manière parallèle, analyse le chercheur, la Russie a renforcé sa présence en Afrique. Ensuite, elle a appuyé le président syrien Bachar Al-Assad pendant la guerre en Syrie. "Ce soutien est particulièrement interpellant, parce que la Russie n’était plus sortie de son voisinage proche depuis la guerre en Afghanistan, menée pendant les années 1980", analyse Julien Pomarede.

Élie Tenenbaum de l’Ifri pointe également ce parti pris russe, en y voyant la volonté de Vladimir Poutine "de mettre un terme à ce qu’il percevait comme un cycle ininterrompu de changements de régime orchestrés par l’Occident collectif – témoignant au passage de la paranoïa conspirationniste qui n’a fait que croître au Kremlin, niant toute responsabilité et capacité d’action aux acteurs locaux”.

Et ces dernières années, les choses n’ont fait que s’envenimer. "Au début de son mandat, Emmanuel Macron souhaitait un dialogue avec la Russie. Il s’est vite heurté aux portes fermées du Kremlin", rappelle Julien Pomarede.

"Ensuite, il y a eu les empoisonnements. A cette occasion aussi, la réponse occidentale a été faible. Je rappelle qu’à Salinsbury, l’ex agent double Sergueï Skripal et sa fille avaient été empoisonnés au Novitchok, un agent innervant mis au point par les services secrets russes. Or non seulement ce genre d’agents chimiques est interdit par les conventions internationales sur les armes chimiques, ce qui constitue une première violation grave. Mais, en plus, cet agent a été utilisé sur le sol européen, sans qu’il n’y ait de forte réprimande au-delà des condamnations ou des enquêtes."

Des traités suspendus et d’autres humiliations

Aussi, dans la liste des événements marquants, il y a le retrait du traité Open Skies. Il s’agit d’un traité qui donne le droit d’effectuer des vols d’observation des activités militaires des Etats membres. Les Etats-Unis de Donald Trump en étaient sortis accusant la Russie de le violer. La riposte de Moscou, peu avant le serment de Joe Biden, avait été de s’en retirer également. De quoi éloigner encore un peu plus la Russie des Occidentaux.

Les mêmes réflexions pourraient s’étendre à l’affaire Navalny, l’opposant politique empoisonné en 2020 et incarcéré en Russie depuis 2021. Suite à ces faits, la visite de Josep Borell, Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, s’était avérée un fiasco. "Lorsqu’on additionne tous ces événements, le résultat est que la politique étrangère russe s’est durcie de manière interpellante", selon le chercheur.

Sans compter un détail très important, note le chercheur : "Cela fait des mois que les services de renseignement américain et britannique ont émis des avertissements sur la menace russe en Ukraine et l’ampleur qu’elle pouvait prendre. Cela n’a pas tellement résonné, mais on le savait".

Le conflit, pourtant, se poursuit. Ce samedi, lors de sa visite en Pologne, Antony Blinken a promis des aides plus conséquentes pour les réfugiés ukrainiens. Entre-temps, plusieurs pays invitent leurs concitoyens à quitter la Russie.

Retrouvez tous nos articles sur la guerre en Ukraine ici :

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