Guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : Zelensky accuse la Russie d’écocide, à raison ?

L'invité dans l'actu: Charles-Hubert BORN, professeur en droit de l’environnement à l’UCLouvain

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Par Victor de Thier avec Sophie Brems via

Je m’adresse à tous ceux qui, dans le monde, considèrent la vie comme une valeur. Aujourd’hui, les occupants russes ont commis le plus grand crime d’écocide sur le territoire ukrainien, non seulement au cours de cette guerre, mais aussi depuis des décennies.

Ces mots ont été prononcés ce mercredi par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, suite à la destruction du barrage de Kakhovka dans le sud du pays. Si les causes de la rupture de ce barrage sont encore floues, ses conséquences sont déjà bien visibles : une zone de plus de 600 km² aurait été inondée, emportant avec elle infrastructures, habitations, mais aussi faune et flore.

Peut-on parler pour autant d’écocide, si la responsabilité de l’un ou l’autre belligérant venait à être prouvée ?

"L’écocide est une infraction pénale qui consiste dans une atteinte délibérée, illégale ou arbitraire à l’environnement dont l’auteur sait qu’elle cause ou causera probablement un dommage grave, étendu et durable, à la vie, à la santé humaine, aux ressources naturelles ou aux écosystèmes", définit Charles-Hubert Borne, professeur de droit de l’environnement à l’UCLouvain.

En d’autres termes, l’écocide est une destruction délibérée, massive de l’environnement qui a des conséquences négatives.

La nature comme arme de guerre

Ça, c’est pour la définition théorique. Mais dans un conflit armé, le crime d’écocide prend une tournure particulière parce qu’il est plutôt susceptible d’être qualifié de "crime de guerre environnemental".

"C’est-à-dire en droit international, le fait de lancer une attaque intentionnelle en sachant qu’elle causera incidemment soit des pertes en vies humaines dans la population civile, soit des dommages aux biens civils, soit des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel, mais qui serait manifestement excessif par rapport aux bénéfices militaires attendus", précise Charles-Hubert Borne.

En l’occurrence, pour le cas du barrage de Kakhovk, deux éléments sont à vérifier pour pouvoir parler de crime de guerre.

Le premier est d’ordre matériel : y a-t-il un dommage grave, étendu et à long terme à l’environnement ?

"Ça, ça semble difficilement contestable", estime l’expert. "Il faut bien sûr le prouver, mais si on observe qu’en aval il y a des inondations qui vont forcer l’évacuation de dizaines de milliers de personnes, que des mines vont être transportées par les flots, qu’il va y avoir des pollutions – dont du pétrole qui a été déversé dans le fleuve – avec des impacts sur la faune, la flore jusqu’à la mer Noire, et qu’en amont, il y a le risque des difficultés de refroidissement de la centrale de Zaporijia, de la privation d’eau potable, l’impossibilité d’irriguer tous les tous les champs qui dépendent du réservoir, on peut considérer sur le plan matériel qu’il s’agit d’un crime d’écocide."

Il faudrait aussi démontrer – si l’on veut prouver un crime de guerre – que tous ces dommages environnementaux excèdent finalement ce qui était nécessaire pour atteindre certains objectifs militaires.

Le deuxième élément est d’ordre moral : s’agit-il d’un acte intentionnel ?

"Il semble que la destruction du barrage ne pouvait être envisageable que par un dynamitage massif. On ne voit donc pas très bien comment ce ne serait pas une manœuvre des Russes qui sont ceux qui, aujourd’hui, contrôlent le barrage, bien que des experts ont quand même remis en question le fait de savoir si ce n’est pas un effondrement du barrage", avance Charles-Hubert Borne.

À nouveau, cela restera à prouver.

Cette photo prise et diffusée par l’entreprise nationale de production d’énergie nucléaire "Energoatom" le 6 juin 2023 montre les dégâts subis par le barrage hydroélectrique de Kakhovka à Nova Kakhovka, près de Kherson.
Cette photo prise et diffusée par l’entreprise nationale de production d’énergie nucléaire "Energoatom" le 6 juin 2023 montre les dégâts subis par le barrage hydroélectrique de Kakhovka à Nova Kakhovka, près de Kherson. © AFP

Un crime punissable ?

Toute la difficulté du crime d’écocide réside dans sa reconnaissance et son application effective.

Sur le plan international, l’écocide n’est pas encore reconnu en tant que tel. C’est seulement sous l’angle du crime de guerre environnemental – selon les critères développés plus haut – qu’il est applicable. Ce dernier a été instauré par le Statut de Rome qui a créé la Cour pénale internationale et qui interdit de commettre des attaques qui provoqueraient de tels dommages.

"Or, ce statut de Rome n’a pas été ratifié par la Russie", rappelle Charles-Hubert Borne. "La compétence de la Cour pénale internationale a par contre été reconnue par l’Ukraine, ce qui lui permettrait d’arrêter et d’envoyer à La Haye des personnes qui auraient commis cet acte."

La Russie et l’Ukraine sont parmi les premiers Etats à avoir inscrit l’écocide dans leur Code pénal.

"En revanche, sur le plan national, la Russie et l’Ukraine sont parmi les premiers Etats à avoir reconnu l’écocide et l’avoir inscrit dans leur Code pénal. Il est défini dans le Code pénal ukrainien comme la destruction massive de la flore et de la faune et l’empoisonnement de l’atmosphère et des ressources hydriques, ainsi que d’autres actes susceptibles de provoquer une catastrophe écologique", explique le professeur de droit de l’environnement.

 

Bientôt reconnu en Belgique ?

De nombreuses associations, dont Greenpeace et Stop Ecocide, se battent aujourd’hui pour que ce crime d’écocide soit inscrit dans les différentes législations nationales et internationales.

Si en Belgique, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld) a annoncé l’année dernière l’inscription de l’écocide dans le nouveau Code pénal, les associations dénoncent "l’étroitesse" de la définition belge qui se limite à des dommages délibérés, excluant par conséquent les actes non intentionnels et ceux qui résultent de la simple négligence.

Elles encouragent le gouvernement belge à se rallier à la définition ambitieuse soutenue par le Parlement européen qui a récemment voté en faveur de la reconnaissance de l’écocide en tant que crime dans la directive européenne sur la protection de l’environnement par le droit pénal.

L’objectif des associations : disposer des outils juridiques nécessaires pour s’attaquer aux entreprises et aux multinationales, mais aussi contraindre les gouvernements à agir.

Sur le même sujet : extrait du JT du 07/06/2023

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