L’Australienne HAAi compte assurément parmi les DJs les plus en vogue du moment. Celle qui vit désormais à Londres figure sur les affiches de tous les clubs et festivals à travers le monde et détonne par un style singulier, pouvant passer des mélodies harmonieuses aux rythmes bruts avec une facilité déconcertante. Aisance que l’on peut désormais retrouver sur son premier album, Baby, we’re ascending, distillant l’essence même de sa musique. Nous avons eu la chance d’appeler HAAi avant son départ pour quelques dates aux États-Unis, afin qu’elle nous en dise un peu plus sur ce premier LP.
La vie se joue parfois à quelques détails et Teneil Throssell en est une preuve vivante. Celle que l’on connaît mieux sous le pseudonyme HAAi a bien failli ne jamais devenir la DJ internationale qu’elle est aujourd’hui, si le destin ne s’était pas mis sur son chemin. Il y a quelques années, c’est bien loin des clubs et des festivals de techno qu’elle officiait. Après avoir joué dans quelques groupes de kraut rock, elle chantait et grattait sa guitare pour un groupe de shoegaze psychédélique. "Je n’avais jamais vraiment compris la techno, je me disais que ce n’était pas forcément pour moi. Et à ce moment-là, là où j’étais, il y avait vraiment une division entre les “guitar kids” et les “ravers”. Moi, j’étais du côté des guitares." Après la séparation de son groupe, un événement, aussi cliché soit-il, l’emmènera "du côté obscur", comme elle le dit si bien. "Une amie m’a emmenée au Berghain. Pour la première fois, j’ai pu entendre de la techno dans un endroit conçu pour. C’était psychédélique. J’ai fait le lien entre le milieu d’où je venais dans la musique et l’endroit où j’étais et au final tout a cliqué." Depuis, HAAi ne quitte plus les DJ booths, parcourt le monde et partage sa vision musicale en permanence. Après avoir sorti plusieurs EPs, elle a décidé de franchir le cap et de sortir son premier album.
Esprit en paghaai
Comme beaucoup de DJ et d’artistes qui tournent toute l’année à raison de plusieurs dates par semaine, HAAi s’est retrouvée en 2020 dans une situation qu’elle n’avait jamais vécue auparavant : devoir rester chez soi. Dès le début de la pandémie, elle est diagnostiquée du trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, plutôt un avantage lorsque l’on doit jouer tard dans la nuit et prendre des avions tôt le matin. Mais quand le monde s’arrête, c’est une autre paire de manches. "Ça a pris énormément de temps pour que mon cerveau s’ajuste. C’est là que je me suis rendu compte que j’avais un peu plus de mal." Mais l’Australienne s’est occupée, a branché ses machines, ouvert Ableton et s’est mise à produire. Elle qui avait pris l’habitude de composer des petits EPs sur la route ou dans les airs, a pu prendre le temps d’écrire un album dans son studio. Channels, premier morceau de l’album et méli-mélo de sons plutôt indéfinissable traduit l’émotion qu’elle a pu ressentir lors du début du confinement. "Je mélange plein de sons de façon assez brute. Ça montre à quel point je switche d’une chose à une autre. Je crois qu’avec la pandémie, il y a eu ce concept de découverte de soi. Je n’avais jamais créé de musiques un peu introspectives, je faisais à chaque fois des sons pour faire bouger les gens en clubs."
Cet album, c’est 100% moi – HAAi.
De cette introspection résulte un album complet qui colle avec la musique que la productrice a toujours voulu défendre : aucune linéarité une une polarisation constante entre doux et dur. On peut autant rester en lévitation sur des moments planants, puis se faire plaquer au sol violemment par une montée de kicks ravageurs. Un modus operandi que l’on retrouvait déjà dans ses sets et ses précédents projets, qui fonctionne à nouveau sur Baby, we’re ascending et qui confère à HAAi ce côté un peu punk. Dégager un genre en particulier de sa musique semble mission impossible tant les morceaux regorgent de changements assez bruts, qui leur apportent cela dit une énergie complètement singulière.
Cercle vertueux
Teneil Throssell s’est essayée sur cet album à quelque chose qu’elle n’avait que rarement pratiqué dans sa carrière (excepté évidemment le génial Lights Out avec Romy et Fred Again…) : les featurings. Mais hors de question d’aller chercher très loin car pour la Londonienne, il serait impensable de travailler avec des inconnus. "Je ne me vois pas dans une situation où j’aurais à faire une collaboration avec des personnes avec qui je n’ai pas une connexion personnelle. Quand on partage un amour et une joie mutuels pour quelque chose, ça se ressent en musique." Et rien n’est plus vrai lorsqu’on évoque son amitié avec Jon Hopkins, présent sur le titre Baby, we’re ascending, véritable tube de l’album. Alors qu’il finissait son dernier album Music For Psychedelic Therapy, il tombe sur un extrait du morceau non fini qu’HAAi teasait à ses fans. Et son sang n’a fait qu’un tour : "Il m’a directement envoyé un message pour me demander ce que c’était. Je lui ai expliqué que je n’étais pas satisfaite du morceau et qu’il manquait quelque chose. Il m’a demandé si je voulais bien lui envoyer mon projet, puis m’a directement appelée en me demandant s’il pouvait travailler dessus avec moi. J’ai évidemment répondu oui. C’était vraiment un processus super joyeux, mais surtout de sa part, en tant qu’artiste renommé et bien établi, d’être si naturellement enjoué de travailler pour quelque chose comme ça, c’est juste super cool." Elle aime d'ailleurs ironiser à propos de la situation : "Je fais toujours la blague que je lui ai donné une opportunité de se faire connaître en l’invitant sur l’album (rires)."
Jon Hopkins n’est pas le seul ami proche d’HAAi à être présent sur l’album. On note aussi la présence d’Alexis Taylor, leader de Hot Chip sur Biggest Mood Ever. Celui-ci l’avait déjà contactée quelques années auparavant, lui offrant de chanter sur un de ses morceaux au besoin. Elle a donc répondu à l’appel. "Il m’a quand même fallu du temps pour réaliser quelque chose qui soit adéquat pour cette collaboration. Biggest Mood Ever apparaissait comme une chanson taillée pour lui et ce qu’il a fait dessus est vraiment spécial." Sur le morceau Human Sound, on peut entendre la poésie de Kai Isaiah Jamal, le poète et activiste qui a écrit quelques vers sur le pouvoir des clubs et de la musique en général. Il partage le morceau avec Obi Franky et sa superbe voix qui se marie à merveille avec l’énergie du morceau. Et Teneil Throssell est dithyrambique en évoquant la chanteuse londonienne :"C’est une star absolue. Elle a écrit les parties des deux chansons sur lesquelles elle figure sur la même journée. Elle a vraiment une énergie communicative, ça fait du bien d’être autour d’elle, que ce soit en live ou au studio."
Aujourd’hui, HAAi a pu regagner la route des dancefloors à plein régime après qu’on lui a coupé ses ailes pendant un long moment. Un moment qui lui a permis de produire cet album, mais aussi d’opérer une certaine introspection et de la partager au monde. Le titre de son disque n’est d’ailleurs pas anodin : le "we’re" prône le "nous", le vivre-ensemble. "Baby, we’re ascending est à propos d’élever les gens, dans un moment assez brutal pour le monde". Cela dit, elle ressent évidemment les dégâts que la pandémie a laissés derrière elle, notamment dans la manière dont les gens consomment la musique ou dans la vente des tiquets. Mais plutôt que de pointer du doigt le négatif, la productrice préfère capturer les moments qui lui rappellent pourquoi elle a choisi ce métier, comme lorsqu’elle est venue au Kompass avec Jon Hopkins il y a quelques semaines. "Ce sont des moments comme ceux-là, où l’on voit les gens danser à nouveau, qui redonnent de l’espoir quant à l’importance de la musique dans la vie des gens."