Harcelée en rue, Iris dénonce les faits sur les réseaux sociaux faute de réaction de la justice

Iris a déposé une plainte à la police de Namur, mais elle n'a pas permis d'identifier son harceleur

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Par François Louis

Son post Facebook sur le groupe Student/Namur n’est pas passé inaperçu. Iris (27 ans) y dénonçait le comportement d’un homme de son quartier pour des faits qu’elle qualifie de "harcèlement". "Quand il me voit, il fait des gestes obscènes avec sa langue ; il me regarde avec insistance, il me suit dans la rue… C’est très inquiétant. Quand je sors, maintenant, j’essaye d’être toujours accompagnée ; ou j’évite certaines rues."

La jeune femme a signalé les faits à la police et a déposé une plainte. "J’ai été bien accueillie mais les policiers m’ont dit que les éléments rapportés ne permettaient pas d’identifier l’auteur et que je devais leur téléphoner quand cela se reproduisait. Ce que j’ai fait, mais ce jour-là, ils n’avaient pas les moyens d’intervenir. Alors j’ai décidé de dénoncer les faits sur Facebook, pour que ça bouge."

Sur Facebook, évidemment, c’est parti dans tous les sens. Mais, effectivement, quelques autres jeunes filles croient avoir eu affaire au même "harceleur". La justice expéditive des réseaux sociaux s’est mise en marche. Et puisque la photo du présumé coupable a été publiée, un internaute proposait tout simplement d’aller lui "régler son compte". Les administrateurs de la page ont finalement retiré la publication au bout de quelques jours.

Peu de victimes déposent plainte

Des plaintes comme celle d’Iris, la police de Namur en a enregistré environ 80 en 2020. Que deviennent-elles ? "A Namur ou ailleurs, très peu de ces plaintes finissent devant un juge, confesse Nadia Laouar, substitute experte en matière de harcèlement pour le Collège de procureurs généraux. La loi sur le sexisme dans l’espace public de 2014 est très peu appliquée. Peu de victimes déposent plainte, et dans le cas où il y a plainte encore faut-il apporter la preuve de l’infraction. Nous sommes dans un état de droit, rappelle Nadia Laouar. C’est à la justice d’apporter la preuve qu’une infraction a été commise, pas l’inverse."

Et la substitute d’inviter les éventuelles victimes à récolter si possible des preuves de l’infraction, par exemple en faisant appel à d’éventuels témoins.

Face à ce constat d’impunité, les polices de Liège et Bruxelles déploient depuis quelques mois sur le terrain une brigade un peu particulière : des policières en civil qui circulent dans l’espace public et prennent des auteurs d’actes sexistes en flagrant délit. Mais d’autres zones de police, comme celle de Namur notamment, ne souhaitent pas leur emboîter le pas.

Mais que dit la loi de 2014 ?

Cette loi sur le sexisme dans l’espace public, y compris sur internet, punit expressément tout geste ou comportement qui a manifestement pour objet d’exprimer un mépris à l’égard d’une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou de la considérer comme inférieure ou de la réduire essentiellement à sa dimension sexuelle, ce qui porte une atteinte grave à sa dignité.

"Il faut une atteinte grave à la dignité mais un seul acte suffit, insiste Nadia Laouar. Pas besoin ici, contrairement à la loi sur le harcèlement en général, d’une répétition."

Difficile de savoir comment les tribunaux pourraient interpréter ce texte, vu qu’il n’y a pratiquement pas de décision de justice. Aborder quelqu’un dans la rue et lui dire : "Je vous trouve joli(e), je peux vous offrir un verre ?" n’est évidemment pas punissable, même si cela peut être vécu comme quelque chose de dérangeant par la personne interpellée. "Tout est dans l’état d’esprit, estime Iris, l’intention. Si vous déclinez l’invitation et qu’on en reste là, ça va. Mais cela peut rapidement déraper avec des propos comme : "de toute façon, t’es bonne qu’à ça, sale pute"!"

Et là oui, probablement qu’un juge estimerait que c’est une infraction à la loi de 2014. Mais on comprend que la frontière est ténue, d’où le besoin de jurisprudence pour préciser les contours de l’infraction.

Miser sur l’éducation

Quant aux peines, elles vont de 50 à 1000 euros d’amende (multipliés par 8) et de 1 mois à 1 an de prison. "Sauf cas très particulier, l’intention des parquets est plutôt de proposer des mesures alternatives pour viser un effet éducatif. Une expérience-pilote est en cours à Liège avec l’asbl Praxis spécialisée dans les violences conjugales."

Iris, pour sa part, croit en cette piste éducative : "Il faut certainement plus sanctionner les faits de harcèlement aujourd’hui. Mais il y a un gros travail éducatif à faire, notamment dans les écoles."

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