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Harcèlement scolaire, quelles sanctions ?

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Le harcèlement à l’école, et principalement entre ados, nous inquiète beaucoup, en tant que parents ou grands-parents. Que dit la loi ? Quelle protection les écoles mettent-elles en place ? Comment pouvons-nous entendre et protéger notre ado ?

Plutôt que de harcèlement scolaire, Catherine Verdier, psychologue et auteure de 50 activités bienveillantes pour prévenir le harcèlement scolaire, aux Ed. Larousse, préfère parler de harcèlement entre enfants, parce qu’aujourd’hui le harcèlement se poursuit toute l’année, à travers le cyber harcèlement. Un enfant sur trois dans le monde est confronté au harcèlement à un moment de sa vie, de près ou de loin.

Etre confronté, précise Bruno Humbeeck, c’est être impliqué, soit en tant que harceleur, soit en tant que harcelé ou encore spectateur. Et on sait que dans une situation de harcèlement, tout le monde souffre. Ceux qui regardent, qui ne font rien, sont parfois impactés de façon beaucoup plus insidieuse, parce qu’ils ne sont pas armés pour faire face aux situations qui dégénèrent.

"Les parents doivent le savoir : entre la trajectoire d’un harceleur et celle d’un harcelé, c’est pour le harceleur qu’il faut le plus s’inquiéter, parce que son intelligence émotionnelle va très peu se développer et il risque de connaître une catastrophe sur le plan de sa gestion de sa vie personnelle et professionnelle. La souffrance est partagée, même si le harceleur, dans un premier temps, ne souffre pas."

Difficile à comprendre toutefois, quand on est parent d’enfant harcelé…

 

La prévention : les 3 E

Catherine Verdier insiste sur la notion de prévention dès l’âge de 7 ans, à travers un travail sur les émotions, sur le vocabulaire des émotions. "Tout cela permet de se connaître soi-même et de reconnaître ensuite les émotions de l’autre, les besoins de l’autre. C’est tout une hygiène de vie."

De multiples choses très simples peuvent être mises en place, sans nécessiter beaucoup de budget. Elle invite à s’inspirer des pays nordiques, qui appliquent des programmes incluant les enseignants, les enfants, mais aussi les parents, dans un processus de prévention basé sur les 3 E. Les émotions vont amener à l’empathie, qui est le coeur de la problématique. Sans oublier l’estime de soi, car un intimidateur a très souvent une estime de lui bien plus faible que celle de sa victime et a besoin de la rabaisser pour avoir l’impression d’être plus fort qu’elle.

Pourtant, dans son bureau, Catherine Verdier n’a jamais reçu de famille venue dire : mon enfant est harceleur. Et pourtant il a besoin d’aide aussi, souligne-t-elle.

Parmi les victimes, il y a des profils à risques, des enfants plus sensibles. Ils peuvent favoriser une interaction avec un intimidateur. Parmi les harceleurs, il y a aussi des profils à risque. Il est fréquent que certains harcèlent déjà au sein même de la fratrie. Il y a aussi les enfants tyrans, qui font la loi chez eux et continuent à le faire à l’école. Et puis, ceux qui subissent des violences ou voient de la violence chez eux.

Le statut de victime doit être mieux déterminé. Les prestations des psychologues ne sont pas prises en charge, les assurances n’interviennent pas non plus. Définir la notion de victime permettrait de travailler avec d’autres acteurs de la communauté, pour une meilleure prise en charge.
 

Que dit la loi en Belgique ?

En Belgique, au niveau fédéral, il n’y a pas de loi bien spécifique 'harcèlement scolaire', précise Yasmine Lamisse, chroniqueuse juridique. "On va donc aller rechercher dans ce qu’on a déjà, c’est-à-dire dans le Code pénal, qui condamne le harcèlement sexuel mais aussi le harcèlement moral. C’est une incrimination pénale, un délit sanctionné depuis quelques années par l’article 442bis du Code pénal.

A côté de cela, on va aller puiser dans les décrets, puisque ce sont les Communautés qui sont responsables pour l’enseignement. En FWB, il y a notamment le décret mission de 1997 qui précise la responsabilité des écoles quant à la violence. Elles doivent proscrire le harcèlement et mettre en place des pratiques de lutte."

Le décret anti-discrimination de 2008 donne aussi une obligation aux intervenants, que ce soit à l’école ou en guidance psycho-médico-sociale ou encore lors de l’encadrement scolaire.

Dans les articles du Code pénal, des sanctions sont prévues : peines de prison, amendes parfois élevées. Un arrêté du gouvernement de la FWB impose par ailleurs un règlement d’ordre intérieur dans toutes les écoles, qui doivent prévoir clairement les sanctions et les mesures dans l’école.

"La sanction, sur papier, existe donc, mais dans les faits, la situation est plus compliquée : les procédures judiciaires sont longues et peu accessibles à un jeune en détresse, qui a peur des représailles, qui a honte et qui est mal informé."

Il est donc préférable d’agir en prévention, de faire des campagnes, d’éveiller les jeunes aux conséquences dramatiques du harcèlement scolaire.
 

La France sanctionne davantage

La France va plus loin dans sa législation. Il y a, comme chez nous, les textes généraux en matière de harcèlement moral, avec un assortiment de peines.

La différence, explique l’avocate spécialisée française Barbara Régent, est que le harcèlement scolaire est également condamné pénalement. "On va distinguer si l’enfant auteur est mineur ou majeur. Lorsqu’il est mineur et âgé de plus de 13 ans, il risque une peine qui peut aller de 6 à 18 mois de prison et une amende de 7500 euros. Pour un enfant majeur, la peine va de 1 an à 3 ans de prison et l’amende de 13 000 à 45 000 euros, sans compter les dommages et intérêts alloués à la victime partie civile, en fonction de l’importance de son préjudice."

La question est de savoir si la peur de la peine fait changer les chiffres, si la peine est purement dissuasive ou non. Le harcèlement scolaire, en France, touche 4 élèves sur 10.

"C’est par la pédagogie, encore plus que par la peine, qu’on arrive à réduire les problèmes de harcèlement. On a des délais pour porter plainte qui vont jusqu’à 6 ans après les faits. On parle d’enfants qui sont victimes, mais aussi auteurs."

En tant que parent, on pense toujours à prévenir nos enfants en tant que victime, mais il faut aussi expliquer ce qu’est le harcèlement quand on est auteur.

Il faut agir très vite pour arrêter l’emballement sur un harcèlement, souligne l’avocate.
 

La méthode 'No Blame'

Pascale Maljean, directrice de l’école de la Providence de Wavre, a décidé de prendre cette thématique à bras-le-corps et de mettre en place des initiatives dans son école, après avoir constaté que les réalités sont très différentes pour un harceleur et un harcelé et que les sanctions ne servent pas à grand-chose.

"Quand on entre dans le jeu de sanctions, on se rend compte que cela ne résout rien et que le harcèlement recommence, après une petite période d’accalmie."

Un peu démunie, l’école a décidé de se faire aider par des professionnels, via un appel à projets de la Communauté française, qui leur a permis de travailler avec l’Université de Paix. Une vingtaine de professeurs et d’éducateurs ont été formés à des demandes d’intervention préalables, à travailler le vivre ensemble, et également à une méthode d’intervention, appelée 'le groupe d’entraide' ou encore 'No Blame', c’est-à-dire pas de sanction.

Cette méthode permet d’agir très rapidement, en une semaine. Elle modifie simplement la dynamique du groupe et permet de réintroduire la victime dans le groupe.

"Les résultats sont miraculeusement chaque fois positifs. Par rapport au fonctionnement d’avant, ce qui fonctionne :

  • c’est qu’il n’y a pas de sanctions.
  • c’est aussi que la solution est prise en charge par les élèves et pas par un adulte.
  • c’est que c’est toute une partie du groupe, dont le brimeur, qui agit positivement. Donc, on donne un vrai pouvoir positif aux élèves.
  • Et enfin, la rapidité avec laquelle c’est géré.

Très souvent, l’élève en souffrance a peur que le harcèlement soit encore plus fort après avoir parlé. "Nous, on réexplique en début d’année que ça existe. Chacun sait que quelque chose est en place et c’est sécurisant. L’élève qui est victime donne son accord pour qu’on mette la méthode en place et est rassuré de savoir qu’il n’y aura pas de sanction et donc pas de vengeance."

Pascale Maljean précise qu’en cas de faits graves, avec violence, des sanctions sont bien sûr appliquées.
 

Des sanctions probatoires, à l’école

Faire circuler l’empathie c’est très bien, mais il faut un système de sanctions au sein de l’école, souligne Bruno Humbeeck. Les sanctions doivent être prises pédagogiquement, avec des dispositifs qui en même temps font circuler l’empathie, sans générer de sentiment d’injustice, pour laisser le temps à l’appareil judiciaire de faire une enquête quand il doit le faire.

Les sanctions sont d’autant plus nécessaires dans les situations de cyberharcèlement. "Sur base d’éléments tangibles, la copie d’écran, on dit à l’élève : attention, si on a encore une trace de cyberharcèlement de ta part, voilà la sanction."

Bruno Humbeeck est d'avis qu'on doit mettre en place des sanctions probatoires, parce que si on ne sanctionne pas, on donne l’impression que tout va toujours se régler par l’échange d’émotions. "Mais tous les élèves n’osent pas parler dans les espaces de paroles, de peur que ce soit encore pire après. Et le pouvoir est parfois repris par des élèves qui n’ont pas compris qu’il y a des lois qui empêchent quelqu’un d’utiliser sa puissance pour écraser les autres."

L'idéal serait des systèmes hybrides, qui mêlent l’un et l’autre. "Mais quand on n’est pas accompagné, que ce soit dans la mise en place d’un système de sanctions ou dans la mise en place d’un système No Blame, on chipote, on bricole, les élèves s’en rendent compte et voient très vite qu’il y a trop peu d’adultes qui savent ce qu’ils doivent faire."
 

Il est grand temps d’équiper les écoles !

Le cyber help est une application qui est donnée par les écoles aux élèves, pour leur permettre de faire des copies d’écran de l’agression subie, quel que soit l’espace où ils se trouvent. En accompagnant ce dispositif de sanctions de type probatoire, on obtient des résultats.

Pourquoi n’oblige-t-on pas les écoles à s’équiper face au harcèlement ? s’insurge Bruno Humbeeck. Pourquoi l’école, la police, le service d’aide à la jeunesse, ne coopèrent-ils pas davantage ?

Ce n’est pas sorcier, comme le prouve bien la ville de La Louvière, où toutes les écoles se sont équipées en deux mois et où le cyber help va être diffusé dans l’ensemble des écoles.

"Les outils existent, il n’y a plus qu’à les mettre à disposition des écoles, accompagner leur développement et mettre en place ces systèmes qui permettent aux élèves eux-mêmes de déclencher ces dispositifs."
 

Retrouvez ici le dossier complet de Tendances Première sur ce sujet

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