Energie

Hausse des prix de l’énergie : pourquoi disjonctent nos factures ?

Les prix de l’électricité sous haute tension (illustration)

© Getty

Par Kevin Dero

Ce n’est un secret pour personne, elles sont de plus en plus onéreuses, ces fameuses factures. Les prix de l’énergie flambent depuis des mois et de nombreux ménages se mordent les doigts. Ce mardi, le gouvernement fédéral a pris des mesures pour pallier (un peu) la hausse vertigineuse des prix. Des mesures temporaires comme une baisse de la TVA sur l’électricité du 1er mars au 1er juillet, un chèque de 100 euros et un tarif social étendu à un million de ménages belges.

Il était grand temps, disent certains, qui prévoient déjà que ces mesures devront se prolonger. Coût de l’opération pour la maison Belgique en tout cas : 1,1 milliard d’euros.

Extrait de notre JT du 1er février :

Mais prenons un peu de recul. Comment expliquer cette courbe soutenue sur nos factures d’énergie ? Tenter d’y voir un plus clair dans ce monde en pleine ébullition…

Chères matières premières

La flambée des prix ne concerne pas la seule Belgique. Elle est en fait… mondiale. Une inflation qui concerne toutes les matières premières, que ce soit le gaz, le pétrole ou le charbon. C’est que la reprise économique post crise-covid est impressionnante. Une croissance importante (comme en France, où les 7% obtenus pour 2021 ont fait leur petit effet la semaine dernière), qui est couplée avec une concurrence acharnée entre continents pour acquérir ces matières premières.//

En Europe, la Russie est un important fournisseur de gaz naturel. Et selon certains, comme du côté de l’Agence internationale de l’Energie, le pays des Tsars aurait tendance à avoir, pour le moment, la main lourde sur ses vannes… "Il y a une grande tension sur le marché européen du gaz en raison du comportement de la Russie […]". Et ça, c’est largement dû à l’attitude du groupe gazier public russe Gazprom, explique-t-on là-bas. Un tiers de l’acheminement des livraisons pourrait augmenter vers l’Europe… La crise ukrainienne n’arrangeant pas les choses, la Russie serait donc en grande partie responsable de la hausse des prix.

En outre, les réserves et la capacité de stockage du gaz en Europe sont moins importantes que par le passé, et des travaux de maintenance sont en cours dans des endroits où l’on extrait de l’énergie fossile, comme sur les plateformes norvégiennes en Mer du Nord.

Du côté du renouvelable, on peut ajouter à tout cela des conditions météo qui ne permettent pas non aux éoliennes de tourner à plein régime actuellement.

Mix énergétique

Ajoutons à ce cocktail détonnant un monde en mutation. Le réchauffement climatique en cours est sur toutes les lèvres. Et des mesures sont prises en haut lieu. Une croisée des chemins notamment en ce qui concerne la très polluante houille, comme le soulignait sur nos antennes Stéphane Bocqué, de la Fédération belge des entreprises électriques et gazières : "A terme, le charbon va disparaître du mix énergétique et va être remplacé par le gaz, qui est nettement moins carboné. Tout le monde se jette simultanément sur le gaz, et cela entraîne une inflation très importante des prix"

Image d’illustration
Image d’illustration © Getty

Le prix du gaz flambe, certes. Mais cela a des conséquences aussi pour la fée électricité. Car les deux choses sont étroitement liées. Chez nous, une partie de l’électricité est produite notamment par des centrales… au gaz.

Mécaniquement, le prix du gaz fait donc monter celui de l’électricité comme le confirme Laurent Jacquet, directeur des prix à la CREG (Commission de régulation de l’électricité et du gaz).

Reportage de notre 13h :

Vers des sommets ?

Ceci entraînant cela, le prix des matières énergétiques a grimpé. Entre juillet 2021 et décembre 2021, le coût du gaz en est arrivé à… doubler pour les particuliers (en moyenne, la facture des Belges est passée de 1386,05 euros à 2780,21%, selon Comparateur-Energie.be). Le baromètre de la Creg parle, lui, d’une hausse de 150% en un an.

L’électricité en fait donc les frais aussi, bien que la pilule soit un peu moins spectaculaire. En 6 mois, la facture annuelle moyenne a quand même bondi de 27%. L’inflation concernant le gaz est donc responsable, mais aussi nos habitudes de consommation. En effet, le télétravail est devenu une réalité pour bon nombre de travailleurs consommant plus de courant dans les domiciles privés, tout comme des frais de chauffage.

 

Inflation, le retour

Ces hausses impétueuses vont de pair avec une inflation forte dans les autres secteurs de dépenses. Panier de course, carburant, bâtiment… Les prix ont augmenté en moyenne de 6%. A la banque, le taux du livret d’épargne reste ridiculement bas et c’est la panique dans bien des portefeuilles. Les salaires devraient néanmoins augmenter cette année et atténuer cette impression de marasme pour nos comptes en banque…

De l’eau dans le gaz

Revenons à notre accord électrique gouvernemental. Le gaz, lui, tout comme le mazout, n’a pas été soumis à la baisse de TVA du gouvernement. Par soucis d’équité (car tout le monde ne se chauffe pas au gaz ou au fioul) mais aussi parce que le gaz et le mazout de chauffage sont plus polluants. Ce qui n’est pas très en accord avec nos objectifs climatiques.

 

Alexander De Croo était l’invité de François De Brigode ce 1er février :

Accord sur le prix de l'énergie : Alexander De Croo

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C’est pourtant davantage sur le coût du gaz que le bât financier – de beaucoup de nos concitoyens — blesse. La hausse paraît sans fin, et bien des ménages commencent à suffoquer.

Hausse du prix du gaz (illustration)

Ainsi souligne Julie Frère, la porte-parole de Test Achats : "Aujourd’hui, si vous concluez un contrat avec un fournisseur de gaz, vous allez payer à peu près 3700 euros par an. C’est absolument énorme. Vous paierez par ailleurs 1800 euros par an pour l’électricité…"

Que contiennent nos factures d’électricité ?

Nos factures, on les paie entièrement à un fournisseur d’énergie. C’est lui qui se charge de nous revendre l’électricité qu’on a achetée ou produite. Ce fournisseur (Engie Electrabel, Luminus, Eneco, Lampiris, Essent, le controversé Mega…) va répartir ensuite la somme à différents acteurs.

Centrale électrique de Drogenbos, en 2017

Tout d’abord les producteurs d’électricité. Dans nos contrées, la production vient majoritairement de centrales électriques. Mais de plus en plus proviennent de sources plus vertes, comme l’éolien et le photovoltaïque. Ensuite, il y a les coûts liés au transport et à la distribution.

Image d'illustration

Pour le transport, c’est le gestionnaire de réseau de transport qui s’en charge (Elia). Concrètement, ce gestionnaire s’occupe d’acheminer le courant via des lignes à haute tension. Mais pour que l’électricité puisse être utilisée dans nos maisons, il faut faire diminuer la tension électrique.

Pour cela, il faut des transformateurs. Là, Elia va donc confier l’électricité à un gestionnaire des réseaux de distribution. Ce gestionnaire actif dans 75% des communes de Wallonie, c’est ORES.

Les régulateurs (CREG au fédéral, BRUGEL pour Bruxelles, la CWaPE en Wallonie et la VREG pour la Flandre) sont là pour veiller au bon fonctionnement du marché.

Décortiquons cette facture…

Comme nous l’indique ORES, la répartition se fait comme ceci :

Sur une somme de 1000 euros, votre fournisseur verse 227 euros au gestionnaire de réseau (ORES, par exemple), 44 euros au "transporteur" Elia et 409 euros aux pouvoirs publics.

Graphique de répartition de la facture énergétique résumé par Ores
Graphique de répartition de la facture énergétique résumé par Ores © Capture d’écran www.ores.be

Pour ces postes, Elia soutient principalement le renouvelable (éolien off-shore et certificats verts du photovoltaïque, par exemple). ORES, lui, soutient les ménages en difficulté de paiement, l’énergie verte et l’éclairage public.

Une somme donc d’environ 40% de votre facture va donc directement vers l’Etat. Qu’en fait-il ? La TVA, cotisations et diverses redevances en prennent une large part (un peu moins de la moitié de la somme versée à l’Etat). Ensuite, il y a le soutien aux énergies vertes (171 euros sur 409) et la mise en œuvre de la politique énergétique fédérale et régionale.

Il reste donc 320 euros pour votre fournisseur. C’est notamment sur ce point que les ménages peuvent faire des économies (ça dépend du fournisseur, du type de contrat, de la consommation…). On estime donc que la part d’électricité proprement dite à environ un tiers de la facture totale. Une proportion qui dépend aussi des fournisseurs, comme Luminus, qui assure que sa part dans la facture est de 39%.

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Dans le futur ?

Pour que les prix baissent, il faudrait notamment peaufiner notre mix énergétique. Améliorer nos sources d’approvisionnement – ainsi qu’une moindre dépendance au gaz russe —, fournir plus de renouvelable et disposer aussi d’une plus grande capacité de stockage, notamment. Mais l’électricité, nous en aurons de plus en plus besoin.

Une "électrification" de plus en plus prégnante de notre société est en cours (nos moteurs de voiture, un monde du digital en expansion…) qui fera augmenter encore un peu les tarifs de réseaux. Cela ne permettrait donc pas, selon de nombreux spécialistes, une diminution des prix avant l’été 2023.

Déclic du 20 janvier :

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