En théorie, un diplôme de master obtenu dans le réseau francophone belge est équivalent à ce même diplôme obtenu en Flandre. Et pourtant, certains enseignants qui travaillent de l’autre côté de la frontière linguistique n’arrivent pas à faire reconnaître leur diplôme. Résultats ? Ils sont moins bien payés et doivent encore repasser sur les bancs d’école s’ils veulent recevoir le salaire.
"Les diplômes obtenus en Communauté française, flamande ou germanophone sont automatiquement reconnus comme équivalents entre eux", lit-on sur le site fédéral consacré aux équivalences de diplômes. Voilà pour la théorie.
Dans la pratique, ce n’est pas toujours aussi simple. Prenons par exemple le cas d’Aurore Lemoine. En 2002, cette Liégeoise d’origine obtient sa licence en traduction à la Haute-Ecole Cooremans-HEFF de Bruxelles. C’était avant que le décret de Bologne n’harmonise les diplômes de bachelier et de master au niveau européen. La Communauté française reconnaît alors son diplôme comme un master dans le nouveau système.
Après plusieurs années en Espagne, Aurore Lemoine déménage en Flandre où elle passe son agrégation (diploma van Leraar) à Anvers en 2017. En parallèle des cours dans des écoles pour adultes, elle se lance à temps partiel dans l’enseignement secondaire au collège Saint-Michel à Brasschaat (Anvers).
En septembre 2020, elle trouve une place à temps plein de professeure de français du premier degré dans le même établissement. "Je m’attendais donc à recevoir un salaire équivalent à un diplôme de bachelier", commente-t-elle. Mais, quelle ne fut pas sa surprise quand elle a découvert qu’elle était payée au barème 300, c’est-à-dire comme enseignante sans diplôme reconnu. Au niveau du salaire, cela représente une différence de près de 500 euros par an avec le barème 301, un bachelier dans l’enseignement.
Mais, il y a pire : "Étant donné que vous donnez principalement cours au premier degré avec un autre titre de compétence, vous ne pourrez pas être nommée au premier degré", lui répond une agente de l’administration flamande. En plus, si un candidat ayant un diplôme avec le titre requis se présente pour le poste, il sera prioritaire et l’enseignante risque de perdre son poste.
Master sans bachelier ?
École, ministère, syndicat, université… l’enseignante prend contact avec plus d’une dizaine de personnes pour tenter de trouver une solution. En Flandre, comme en Belgique francophone, l’organisme en charge des reconnaissances de diplôme s’appelle NARIC. Le hic, c’est que cet institut ne s’occupe que de la reconnaissance des diplômes étrangers et non ceux obtenus en Belgique…
Au final, la réponse de l’agente du ministère de l’enseignement est sans appel : "En Communauté française, un diplôme de candidature équivaut légalement à un diplôme de bachelier si l’on réussit également la première année du cours de licence. Il s’agit d’une disposition légale qui n’existe pas en Flandre."
Le cabinet du ministre flamand de l’enseignement, Ben Weyts (N-VA) ajoute : "Si l’enseignante est effectivement titulaire d’un diplôme de licence et d’une formation pédagogique, elle pourra être rémunérée selon le barème 501 [diplôme reconnu] dans les 2e et 3e degrés de l’enseignement secondaire. En revanche, si elle donne cours au 1er degré de l’enseignement secondaire, elle est rémunérée sur la base du barème 300."
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Le problème c’est qu’il y a très peu de chance que des postes de professeur de français au deuxième et troisième degré se libèrent dans les écoles avoisinantes. L’enseignante se sent désemparée : "Je suis sous-payée alors que j’ai toutes les qualifications requises : diplômes de master, titre pédagogique. Pour obtenir un salaire au barème de bachelier, il est très probable que je doive repasser des cours qui n’existaient pas lors de mon cursus. Ce qui veut dire payer et étudier. Aujourd’hui, je ne suis plus étudiante mais mère de famille avec un petit garçon de 2 ans, et employée à temps plein. Cela aurait un grand impact sur la qualité de la vie de ma famille."
De l’article 20 à titre en pénurie
Il n’y a pas qu’en Flandre que la reconnaissance des diplômes francophones se passe avec difficulté : c’était aussi le chemin du combattant pour Martin Verbeke, professeur de français à l’athénée Bouillon-Paliseul. Après un bachelier en traduction à l’université de Mons, cet étudiant originaire de Ciney obtient un master en français avec anglais en option à l’université d’Anvers et par la suite un doctorat à Stirling, en Écosse.
De retour en Belgique, Martin Verbeke commence à donner cours d’anglais et de néerlandais en secondaire dans la région de Ciney en 2013, avant la réforme des titres requis. À ce moment-là, il appartient à la catégorie "article 20", c’est-à-dire un enseignant qui ne dispose pas de tous les titres nécessaires (diplôme, formation) pour exercer sa fonction.
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"Aux yeux de la Communauté française, mon diplôme de master en français avec option anglais à Anvers équivaut à un master en romanes. C’est comme si j’avais fait les romanes, sauf que je n’ai pas eu du tout d’espagnol : j’ai gardé l’anglais", explique le professeur.
Trois ans plus tard, la réforme sur les titres requis entre en vigueur. "Je suis alors tombé en statut de pénurie, car je n’avais pas encore d’agrégation. Ceux qui ont un titre requis sont prioritaires, on peut te prendre ta place alors que ça fait des années que tu l’occupes", s’inquiète l’enseignant.
Sans titre requis, pas d’avenir
Ni une ni deux, Martin Verbeke veut s’inscrire à l’agrégation, à mi-temps pour pouvoir combiner avec son horaire de professeur. Il envoie sa candidature à l’université de Liège. "Après délibération par un jury, l’université de Liège a refusé de reconnaître que mon diplôme était l’équivalent des romanes, la formation n’était pas équivalente selon eux", explique l’intéressé, amer. Il a néanmoins pu trouver une place à l’université de Louvain où il a finalement obtenu son agrégation avec la plus grande distinction.
L’administration en Fédération Wallonie-Bruxelles évoque alors la notion de "similarité" pour expliquer le refus de l’université de Liège : "Pour ce qui concerne l’accès ou l’admission, cette similarité est à l’appréciation de l’établissement d’enseignement supérieur. En la matière, il ne revient pas à l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles d’intervenir et encore moins au service des équivalences, qui pour rappel ne traite que des diplômés délivrés en dehors de la Belgique."
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Quand des candidats décident d’entamer leur agrégation, ils doivent choisir les cours qu’ils veulent donner par la suite. Alors qu’il aurait préféré donner cours d’anglais et néerlandais, il a opté pour le français : "J’avais peur de ne pas être accepté par le jury en raison de mon parcours en Flandre. Comme j’ai déjà été refusé pour le français à Liège, je me suis dit que je ne pouvais pas risquer de passer à côté : je n’aurais plus eu la possibilité de me réinscrire cette année-là en cas de nouveau refus. "
L’enseignant a donc privilégié la sécurité d’emploi à sa vocation : "J’ai donné cours d’anglais et de néerlandais pendant presque sept ans, mais je n’avais pas d’avenir : sans titre requis, je passais après les autres. C’est dommage car les postes de professeur de langues sont en pénurie."
Mieux vaut aller étudier à l’étranger !
Recevoir un salaire en dessous des barèmes, ne pas pouvoir être nommé, choisir une autre matière pour privilégier la sécurité de l’emploi… Les problèmes sont nombreux pour les personnes qui n’arrivent pas à faire reconnaître leur diplôme, alors qu’il s’agit d’un diplôme émis dans le même pays.
Contactée par la RTBF, la Fédération Wallonie-Bruxelles concède : "Il existe dans certains cas des difficultés à établir une correspondance entre les diplômes délivrés par l’une ou l’autre communauté, notamment lorsque la législation ou les règles internes de recrutement visent des diplômes spécifiques appartenant à l’une ou l’autre communauté."
Et c’est précisément le cas des diplômes dans l’enseignement : depuis la communautarisation de l’enseignement fin des années 80, le recrutement des professeurs et la description des fonctions se fondent sur des titres propres à chaque communauté.
Même si les différentes instances communautaires ont établi des listes de correspondance de diplômes pour assurer la mobilité des enseignants formés d’un côté ou de l’autre de la frontière linguistique, il arrive encore que des diplômés restent sur le carreau.
Après près de sept ans comme professeur d’anglais/néerlandais, Martin Verbeke est quant à lui finalement nommé depuis janvier 2021 comme professeur de français à l’athénée de Bouilllon-Paliseul. Perplexe, il ironise : "Mieux vaut aller étudier en Allemagne ou aux Pays-Bas. Si tu vas à l’étranger, tu as le droit d’obtenir une équivalence officielle !"