Un jour dans l'histoire

Histoire – Matrimoine, quand des femmes occupent l’espace public

Gabrielle Petit, espionne et héroïne belge fusillée en 1916 par les Allemands

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Par RTBF La Première

Quelles traces les femmes ont-elles laissées dans l’espace public, quelle place les hommes leur ont-ils réservée ? De quelle manière le matrimoine témoigne-t-il au nom de celles qui ont contribué, aussi, à bâtir notre monde ? Quels sont les rapports entre genre et narration de l’Histoire ?

Réponses avec Thomas Franck, chargé de recherche à MNEMA-Cité Miroir, à Liège. Il a collaboré au numéro 2 des Cahiers du CPTM (Centre Pluridisciplinaire de la Transmission de la Mémoire) : 'Matrimoine – Quand des femmes occupent l’espace public'.

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L’invisibilisation de la femme

Le matrimoine, un mot inventé ces dernières années ? Pas du tout. Le terme existe au moins depuis le 12e siècle, pour décrire les biens hérités de la mère.

Il a été progressivement abandonné au profit de celui de patrimoine, qui inféode, dès le Moyen Âge, les femmes aux propriétés des pères et des maris. C’est au 17e siècle, au siècle de l’Académie française, que les grammairiens, lexicologues, à l’imaginaire patriarcal affirmé, vont décider que ce terme est burlesque. Progressivement, la réalité de l’héritage des mères va être inféodée à cet héritage des pères, au patrimoine, et va reconduire une forme de domination masculine.

"A partir des années 2000, cette notion de matrimoine réapparaît pour insister sur le rôle des femmes dans le développement culturel, mais il faut l’émanciper des idées de mère, d’épouse, d’héritière, la réinvestir de manière critique : on ne veut pas faire de la mère cet archétype de la femme, mais plutôt essayer de comprendre comment elle a été réduite à ce statut, comment, au cours de l’histoire, des processus d’invisibilisation ont eu lieu", explique Thomas Franck.

Le rapport entre espace public et espace privé guide aussi les réflexions de ce cahier du CPTM : comment penser la manière dont les femmes ont été privées de l’espace public, comment elles ont été reléguées au foyer. Comment vers le 19e et le 20e siècle, elles ont progressivement occupé une place dans l’espace public, dans les débats politiques, dans les maisons du peuple…

"Chaque fois qu’un conflit apparaît, on tente de renvoyer la femme hors de l’espace public, dans une forme d’essentialisation de la condition de la femme : il y aurait une essence féminine qui l’amènerait vers des formes de soin, liées à la famille." Cette forme de relégation des femmes, en marge du pouvoir démocratique, est un héritage de l’Antiquité.
 

Une connivence entre l’Eglise catholique et le pouvoir industriel

L’enfermement du corps des femmes s’est opéré de longue date sous le christianisme, souvent couplé plus tard, dans les phases de l’industrialisation, à une politisation, à une répression, à une rentabilisation du corps féminin par les appareils économiques.

Dans le Bas Moyen Âge en particulier, on enferme les femmes dans des cloîtres, qui sont l’expression du patriarcat catholique hiérarchisé, où les soeurs seront réprimées mais pourront s’assembler en communautés et créer des oeuvres culturelles.

Il existe des cas attestés de connivence entre l’Eglise catholique et le pouvoir industriel, souligne Thomas Franck. En France, notamment à Lyon, dans les 'couvents soyeux', des patrons d’entreprises se sont servi de la moralisation par le christianisme pour pouvoir rendre ces femmes, qui étaient enfermées, rentables.

Les cloîtres et les béguinages signifiaient donc à la fois émancipation, éducation culturelle – à travers l’enluminure, le recopiage de manuscrits -, et main-mise du patrimoine.
 

L’industrie culturelle, une libération ?

Au 20e et 21e siècle, on invente l’industrie culturelle, avec des nouveaux modèles : les stars, les sex symbols, les influenceuses. Peut-on parler d’une émancipation, d’un progrès ?

La régulation par le père est supplantée par une régulation par l’industrie culturelle. On a de nouveaux modèles stéréotypés, des stars, des sex symbols, et le surmoi va être régulé non plus par un père autoritaire, mais par des instances sournoises, par des processus de séduction. L’industrie culturelle reproduit des stéréotypes de genre, très sexués, à l’égard autant des hommes que des femmes.

La question du matrimoine est donc toujours très actuelle. "Elle soulève des questionnements politiques sur les rapports aux référents culturels, sur les rapports de domination qui se créent au sein de la culture, et comment inconsciemment on va reproduire des modèles qui nous semblent libérateurs, mais qui ne le sont pas nécessairement."
 

L’impact des deux guerres mondiales

Contrairement à la France et à l’Angleterre, les lendemains de la Première Guerre mondiale vont être décevants en Belgique. Ce ne sera pas l’occasion de reconnaître une existence économique aux femmes, en tant que salariées, qu’ouvrières. Les progrès entrevus pendant le conflit, via leur rôle de soignantes bien souvent, seront rapidement gommés. Les figures, notamment issues de certaines mouvances catholiques, qui défendent des personnes comme Gabrielle Petit, vont par après défendre le fait que les femmes doivent rester au foyer.

Gabrielle Petit, infirmière et résistante belge, qui sera exécutée par les Allemands, est à la fois une figure d’exception par son rôle d’espionne en faveur des Anglais, et l’image de la reconduction de stéréotypes de genre : on parle de femme sacrificielle, pure, de Jeanne d’Arc belge.


>>> A lire : 14-18 : Gabrielle Petit, espionne et héroïne belge fusillée en 1916


 

La résistance anti-fasciste pendant la Seconde Guerre mondiale permettra à toute une série de femmes de se politiser, telle Jeanine Davin. Ce seront les prémices des revendications sociales et politiques qui toucheront toutes les couches sociales. Le droit à l’avortement sera ainsi porté par une certaine élite bourgeoise, tandis que des revendications pour une égalité salariale émaneront du milieu ouvrier, avec par exemple les femmes grévistes de la FN Herstal en 1966 et en 1974.
 

Ecoutez ici la suite de l’entretien !

'Matrimoine – Quand des femmes occupent l’espace public', c’est aussi une exposition, à voir jusqu’au 17 octobre à la Cité Miroir, à Liège.

La Cité Miroir propose une exposition originale consacrée à plusieurs trajectoires de femmes wallonnes qui se sont distinguées dans des lieux exceptionnels. L’occasion de mettre en lumière ces sites qui portent en eux la mémoire des actions, des luttes et des créations de ces femmes.

Sous la forme d’un parcours photographique au cœur du matrimoine wallon, le visiteur est invité à s’interroger sur la place des femmes dans l’espace public, leur rôle dans différentes dynamiques architecturales, sociales et politiques en Wallonie.

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