Le fantôme de la radio

Histoire - Quand les radios libres ont envahi les ondes

Une histoire toute illustrée d'archives sonores... souvenirs, souvenirs... ici Radio pirate à Andenne, années 80

© Belga Image

Par RTBF La Première/Eric Loze via

A la fin des années 70, les radios libres font leur apparition en Belgique. Créées de manière spontanée par le milieu associatif et par des activistes libertaires, ces radios locales diffusent leurs programmes subversifs sur la bande FM en toute illégalité. A cette époque en effet, la radiodiffusion reste un monopole d’Etat réservé à la RTBF et à la BRT. Malgré les interdictions, les intimidations et les saisies d’émetteurs effectuées par les autorités, ces radios libres vont continuer à émettre envers et contre tout, fidèles à leur esprit insoumis, frondeur et contestataire. Le Fantôme de la Radio vous raconte en deux épisodes l’histoire de cette guerre des ondes qui a profondément modifié le paysage radiophonique.

Entre 1978 et 1980, les radios libres et locales poussent comme des champignons dans les villes et villages, provoquant une belle pagaille sur les ondes : les fréquences disponibles ne sont pas assez nombreuses, certains émetteurs sont beaucoup trop puissants et, last but not least, quelques stations n’hésitent pas à utiliser la publicité comme source de financement alors que cette pratique est rigoureusement prohibée. C’est une évidence : sans cadre légal, le chaos règne sur la bande FM.

Il faut attendre l’année 1981 pour voir apparaître un premier arsenal législatif qui fixe les conditions d’existence et de reconnaissance des radios locales ou radios libres. Par la suite, de nombreux débats dans les assemblées et le vote de nouvelles réglementations contribueront à la pacification du monde des radios en Belgique.

Intriguée par le phénomène qui, d’une certaine manière, remettait en cause sa toute-puissance, la RTBF s’est intéressée de près à l’éclosion des radios libres et a tendu son micro à ceux qui en étaient les pionniers, laissant de nombreux reportages, dûment numérisés et préservés.

Le phénomène des radios pirates

Pour comprendre le phénomène des radios libres des années 70, il faut d’abord remonter aux radios pirates, apparues en Europe au début des années 60.

Ces radios pirates naissent au Danemark, en Suède, aux Pays Bas et au Royaume-Uni. Pour leurs créateurs, il s’agit de briser cette 'fatalité' qui veut que seules les radios publiques, financées par les Etats, ont le droit d’émettre des programmes sur les ondes.

Avec un ton décontracté et une parole libre, les animateurs font écouter aux jeunes les nouvelles musiques subversives de l’époque, comme le rock, la pop et la soul music, qui trouvent peu de place sur les radios officielles ou de service public.

Interdites dans leurs pays respectifs, ces radios musicales émettent, au tout début des années 60, depuis des bateaux qui naviguent en Mer du Nord, en dehors des eaux territoriales. C’est le cas de Radio Veronica, Radio London, Radio Noord Zee ou encore Radio Caroline, la plus célèbre d’entre elles.

Très irrités par ces mouvements transgressifs, les gouvernements interviennent par la force. Ils font prendre d’assaut les navires émetteurs, confisquent le matériel et n’hésitent pas à incarcérer les dirigeants de ces radios, comme c’est le cas en Suède. Ces réactions autoritaires n’empêchent pas d’autres radios pirates de voir le jour. Comme Radio Atlantis, considérée comme une station néerlandaise, mais financée par un homme d’affaire belge.

Radio Veronica, radio pirate offshore indépendante, qui a émis depuis un bateau-phare à destination des Pays-Bas et d’Europe du Nord à partir de 1960
Radio Veronica, radio pirate offshore indépendante, qui a émis depuis un bateau-phare à destination des Pays-Bas et d’Europe du Nord à partir de 1960 © Wikipedia

Vers les radios locales, libres, voire libertaires

Ce phénomène des radios clandestines va faire tache d’huile. En Italie surtout, le mouvement prend une dimension considérable. Dès 1975, des radios locales naissent dans la péninsule. A Milan, les radios libres mangent littéralement la bande FM. D’abord pirates et donc illégales, ces stations voient leur statut évoluer en 1977, suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle italienne qui limite le monopole de la RAI en matière de radiodiffusion.

La France est aussi touchée par la vague de ces radios ‘hors-la-loi’que l’on appelle de plus en plus radios libres. La première à émettre, à Paris, en 1977, est Radio-verte, pilotée notamment par l’écrivain – polémiste Jean-Edern Hallier. Une tentative immédiatement étouffée dans l’œuf par la France giscardienne, qui supporte très mal à l’époque toute tentative de déstabilisation du paysage médiatique.

En Belgique, comme en Italie et en France d’ailleurs, la radio libre devient très vite un moyen de lutte et d’opposition contre l’ordre établi. Les mouvements libertaires et frondeurs s’emparent de l’outil radiophonique, idéal pour faire circuler les idées minoritaires et contestataires qu’ils défendent et qui ne trouvent pas écho sur les ondes des radios nationales.

C’est dans cet état d’esprit que voit le jour, en toute illégalité, la première radio libre francophone, à Couvin en mars 1978 : Radio Eau noire.

Les radios militantes

Le mouvement est lancé, rien ne peut plus l’arrêter…

En 1978 et 1979, une véritable déferlante s’abat sur la fréquence modulée. Ceux qui ont une cause à défendre, un combat à mener, utilisent désormais la voie des ondes. Ces pionniers prennent possession d’une grande partie de la bande FM, véritable espace vierge quasi inoccupé où tout est à construire. Le sentiment de liberté est total, l’antenne est ouverte à tous.

D’abord éphémères, ces stations deviennent permanentes. La plupart sont des radios engagées qui émettent dans un rayon très limité. A commencer par Radio Fourons Wallonie.

Parmi les radios militantes en Wallonie et Bruxelles, on compte plusieurs stations anti-nucléaires, comme Radio Bassinia à Huy ou Radio Wéwé à Andenne. Mention spéciale pour Radio Activité à Bruxelles qui, à la même époque, fait sur ses antennes œuvre de pédagogie en expliquant à ses auditeurs non sans ironie ce qu’il faut faire en cas d’explosion nucléaire.

En 1979, une grande partie de ces radios se regroupent sous la bannière de l’Association de Libération des Ondes, l’ALO ou A.L.O, qui jouera un rôle important dans l’affirmation et la reconnaissance des radios libres en Belgique.

Les radios de divertissement

Il n’y a pas que des radios engagées qui voient le jour. Apparaissent également des radios où le divertissement est majoritaire. Elles diffusent principalement de la musique mais ouvrent également l’antenne à des groupements divers qui ont des idées ou des opinions à faire valoir. C’est le cas de Radio Sunny locale, à Écaussinnes, lancée en février 1979. Une équipe de 40 personnes assure plus de trente heures d’émissions chaque week-end.

L’une des plus anciennes radios libres pluralistes et de divertissement, c’est Radio Louvain-la-Neuve, qui émet depuis le campus universitaire. Une machine déjà bien huilée : 100 personnes, des étudiants pour la plupart, se relaient pour produire près de 3000 heures de programmes par an.

Ecoutez ici ce premier épisode, illustré des archives sonores de l’époque, grâce à la Sonuma

Hors-la-loi !

Les radios libres investissent la bande FM dans la plus parfaite illégalité. En Belgique, la radiodiffusion est encore à cette époque-là un monopole d’Etat. A part la RTBF et la BRT, personne n’a le droit d’émettre sur les ondes.

​​​​​​Mais sans cadre légal, le chaos s’installe rapidement sur les ondes : dans certaines localités, par exemple, les radios sont trop nombreuses et surchargent la bande FM. Ou encore, il arrive fréquemment que des stations écrasent littéralement leurs concurrents à cause d’émetteurs trop puissants.

Ces troubles et autres désordres sur la fréquence modulée vont attirer l’attention des pouvoirs publics qui, il faut bien le dire, n’ont pas pris toute la mesure du phénomène des radios libres. 

En toute logique, la première réaction du législateur pour régler ce problème sera de créer… une loi. En 1979, un texte relatif aux 'radiocommunications' est voté : il soumet à autorisation l’installation de stations de radiodiffusion privées. Et c’est là que les choses se compliquent. Cette autorisation doit être délivrée à la fois par le Ministre des PTT du gouvernement national et par le Ministre communautaire qui a la radiodiffusion dans ses attributions.

La guerre des ondes

Fidèles à leur esprit frondeur, la plupart des radios libres se passent de cette autorisation et continuent à émettre. Devant ce qu’elles considèrent comme de la provocation, les autorités passent alors à la vitesse supérieure : elles décident de réduire au silence les récalcitrants en saisissant les émetteurs, notamment à Namur et à Charleroi. C’est le début de ce que l’on a appelé 'La guerre des ondes'.

Pas vraiment impressionnées devant ce qu’il faut bien appeler une démonstration de force, les radios libres refusent de courber l’échine et de se soumettre. Elles se regroupent en associations et s’organisent afin de conserver coûte que coûte ce nouvel espace de parole acquis de haute lutte. La plus puissante de ces associations est l’ALO, l’Association pour la Libération des Ondes. 

A Charleroi, la saisie des émetteurs s’accompagne même de poursuites judiciaires. Les responsables de Radio Terril et Radio Charleroi sont convoqués devant le tribunal correctionnel en février 1980.

Les radios libres se préoccupent peu des autorisations. Elles s’asseyent aussi sur une autre règlementation, en occupant des fréquences strictement prohibées sur la bande FM, entre 104 et 108 Mghz. Une attitude, une posture jugée dangereuse par le ministre des PTT qui fait procéder à la saisie des émetteurs de ces stations hors la loi.

Face à l’intransigeance du Ministre, l’ALO, l’Association pour la libération des ondes réagit à sa manière, en lançant Radio Riposte, une station qui émet dans la zone de fréquence interdite.

Radios commerciales, radios politiques...

La situation se complique encore un peu plus car d’autres acteurs apparaissent dans le paysage radiophonique… A commencer par Radio Contact qui émet pour la première fois le 9 février 1980. Station de pur divertissement, Radio Contact se distingue très nettement des radios du milieu associatif notamment par sa volonté, à moyen terme, de financer ses activités par la publicité. D’autres radios dites commerciales vont également voir le jour à Bruxelles et en Wallonie. 

Apparaissent également des radios plus ou moins soutenue par des partis politiques. Les formations de gauche et de droite ont très vite compris l’intérêt de se rapprocher d’un outil de communication innovant, en vogue et prisé par les jeunes générations. Cette tendance est très présente à Bruxelles avec, par exemple, Radio Microclimat épaulée par le Parti socialiste. Il y a également Radio IRIS, proche du FDF (Le front démocratique des francophones, aujourd’hui Défi), et le cas très étonnant de Radio Ixelles, financée à l’époque par les deniers personnels du bourgmestre de la commune, le libéral Albert Demuyter.

Pour l’ALO, l’Association pour la libération des ondes, ces stations ne partagent pas les principes qui ont fait naître les radios libres en Belgique.

Trop de monde !

Cela commence à faire beaucoup de monde sur la bande FM, dans un espace limité entre 100 et 104Mhz. Et c’est un peu la pagaille : interférences, brouillages, radios devenues inaudibles…

Il est temps de mettre un peu d’ordre. Une des premières mesures prévues par les autorités est de limiter la puissance des émetteurs de toutes les stations à 100 watts.

Du côté des radios libres, on n’est pas sur la même longueur d’onde. Deux associations s’affrontent à propos de cette limitation de puissance des émetteurs. D’un côté l’ALO, plutôt favorable ; et de l’autre le GRIB, le groupement des radios indépendantes de Belgique, qui rassemble des radios à vocation commerciale et qui est franchement opposé à cette mesure.

Enfin, un cadre juridique

Le décret, évoqué précédemment par les associations, est adopté par le Conseil de la Communauté française (que l’on appelle aujourd’hui le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles) en juillet 1981. Ce texte reconnaît les radios qualifiées de locales, ce qui sous-entend que leur public doit être limité à un quartier, une commune ou une agglomération urbaine. Ces radios ne peuvent en aucun cas faire partie d’un réseau, ni poursuivre de but lucratif et encore moins diffuser de la publicité. Les influences politiques directes sont également interdites. Restent admises les collaborations avec les pouvoirs locaux.

A la même période, au niveau national cette fois, un arrêté royal impose aux radios locales une règlementation très stricte : limitation de la puissance de l’émetteur à 100 watts, limitation de la hauteur des antennes à 35m, utilisation de certaines fréquences situées uniquement entre 100 et 104 Mhz et paiement à l’Etat d’une redevance annuelle.

Il y a enfin un revers inattendu à cette médaille : puisque les radios libres et indépendantes sont enfin reconnues, elles devront désormais payer à la SABAM des droits d’auteur sur la musique qu’elles diffusent. Des dépenses impossibles à honorer pour des radios locales comme Radio LLN.

Un décret, un cadre juridique, c’est bien… Mais encore faut-il l’appliquer. Un nombre important de radios négligent ou omettent volontairement de se plier aux règles. Par conséquent, la saisie d’émetteurs et/ou les mises sous scellés des installations repartent de plus belle. La RTT (la Régie des Télégraphes et des Téléphones), appuyée par la gendarmerie et le service de contrôle du spectre, passe massivement à l’action. Radio Contact fait partie des stations sanctionnées.

La fin de la guerre des ondes

Lorsque les libéraux forment une majorité à la Communauté française sans les socialistes, le dossier évolue favorablement pour les radios indépendantes à vocation commerciale, principalement entre 1985 et 1987. En 1985, 162 radios libres sont reconnues officiellement. La publicité est autorisée sur les antennes des radios indépendantes et il n’y a plus d’obstacles au groupement de ces radios en réseau.

Les plus connus d’entre eux sont Contact, RFM et SIS. De nouvelles fréquences sont également ouvertes aux radios libres, au détriment de la RTBF notamment.

Malgré les nombreuses frictions entre le Ministre Monfils et la RTBF à propos des fréquences, un plan est adopté en 1986 par la Communauté française. Il entraîne la reconnaissance de centaines de radios en leur attribuant des fréquences fixes qu’elles doivent parfois partager avec d’autres. Un plan qui met fin à la guerre des ondes.

Véritable Far West de la Radio où régnaient l’audace, la subversion, parfois aussi la loi du plus fort, la Bande FM devient alors un espace quadrillé et réglementé qui sera, année après année, colonisé par de puissants groupes de médias, belges et étrangers, laissant peu de place aux amateurs.

Mais l’esprit des pionniers subsiste encore au sein de quelques rares stations libres et autonomes. Comme par exemple, dans la province de Namur, Radio Chevauchoir, radio familiale de proximité, qui occupe toujours le 105.5 sur la bande FM.
 

Ecoutez ici le deuxième épisode, illustré des archives sonores de l’époque, grâce à la Sonuma


Les séquences entendues sont extraites du Journal Parlé, du Journal Télévisé et de l’émission Strip-Tease.

Et pour en savoir davantage sur les radios libres, une vraie mine d'or : L'asbl Mémoire de la Radio de Gilles Grosjean et Yves Castel.


 

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