Un jour dans l'histoire

Histoire – Radio Bruxelles, radio collabo

Un livre revient sur le jugement du personnel de Radio Bruxelles, pendant l'épuration qui a suivi la guerre

© Presses Universitaires de Namur

La fin de la guerre sonnera l’heure des règlements de compte pour la radio belge collaborationniste. Un livre revient sur le jugement des quelque 600 chroniqueurs, acteurs, chanteurs, musiciens, dactylos, secrétaires et autres fonctionnaires qui ont fait le succès de Radio Bruxelles, la radio volée, entre 1940 et 1944. Ils deviendront le symbole d’une justice parfois ambiguë.


Céline Rase, journaliste et docteure en histoire de l’Université de Namur, est l’auteure d’Interférences – Radios, collaborations et répressions en Belgique, paru aux Presses Universitaires de Namur.


Le 6 décembre 1943, à Bruxelles, Gabriel Figeys, directeur des émissions francophones à Radio Bruxelles, radio collaborationniste émettant depuis les bâtiments de l’INR (l’Institut national de Radiodiffusion), reçoit une lettre que lui adresse un auditeur anonyme. " Oh sois tranquille, tu ne seras pas le seul à expier et il y a un beau nettoyage à faire à " Ratio Prussel ", ironise son correspondant.

Au fur et à mesure de l’Occupation, ce genre de lettres va s’accumuler sur les bureaux des responsables de la radio de propagande. La fin de la guerre sonnera l’heure des règlements de compte. Pour conserver leur travail, les collaborateurs de Radio Bruxelles devront passer devant des commissions d’épuration.
 

La radio et le pouvoir de propagande

Le premier à se rendre compte du pouvoir de conviction des voix radiophoniques et à utiliser la TSF pour lancer son appel à tous et s’emparer du pouvoir, c’est Lénine.

La radio est un média né dans l’entre-deux-guerres et qui est donc tout jeune quand il part sur le front en 1940. Après Lénine, il y aura Staline, Roosevelt aux Etats-Unis, Mussolini en Italie, puis Hitler en Allemagne. Ce sont des hommes qui comprennent qu’ils ont là un média qui permet de parler à des foules et surtout d’entrer dans l’intimité des électeurs.

En Belgique, en 1939, plus de 3 millions d’auditeurs peuvent se brancher sur les fréquences de 16 stations privées ou de l’INR.
 

Le ministère de la propagande

Les politiciens du IIIe Reich sont persuadés qu’une des raisons pour lesquelles l’Allemagne a perdu la Première Guerre mondiale, c’est qu’elle n’avait pas assez misé sur la propagande. A peine arrivé au pouvoir, Hitler va mettre en place son ministère de la propagande et nommer Goebbels, qui va museler les médias et en particulier la radio, enchaînée aux ambitions totalitaires de cet Etat.

Le plan du IIIe Reich, en quête d’espace vital, est de s’étendre sur l’Europe entière. L’invasion commence sur les ondes. On veut parler au monde entier et on crée donc, dans les années 30, un centre d’émissions en ondes courtes, en de multiples langues. En Belgique, avant la Seconde Guerre mondiale, on peut ainsi capter des émissions allemandes en français, en néerlandais ou en allemand.
 

Vers une radio militarisée

Ni en France, en Angleterre, ni en Belgique, on n’est conscient de cet impact de la radio. Ces démocraties considèrent que la radio est un instrument de paix et de fraternité universelle, comme l’ont conçue les pionniers de la radiodiffusion. Les politiciens sont attachés à leur politique de neutralité et il n’est pas question pour eux d’une quelconque propagande.

"Cela reste naïf face à une Allemagne qui est en train, sans se cacher, de militariser sa radio", commente Céline Rase.

Les nazis s’emparent des émetteurs des pays occupés et mettent en place un réseau de radiodiffusion européen, la Deutsche Europa Sender. Mais en Belgique, ils ne trouveront pas d’émetteur pour relayer leur propagande. Le personnel de l’INR a effectivement saboté les installations de la Maison de la Radio à Flagey et les deux émetteurs de Veltem. Il faudra 18 jours aux Allemands pour remettre en route tout cela.
 

La radio belge s’exile

A partir du 28 septembre 1940, les Belges vont émettre de l’étranger, non seulement de Londres, mais aussi du Congo et des Etats-Unis. Au début, c’est la BBC qui a l’initiative de créer des radios, pour relayer la voix des différents gouvernements en exil dans sa capitale, dont la Belgique. C’est là que naîtra Radio Belgique, avec Victor de Laveleye.

Pour sortir de la main-mise des Britanniques, de Churchill, le gouvernement belge va vouloir créer sa propre radio, la Radio Nationale Belge, grâce à un émetteur monté à Léopoldville. Il y aura aussi des studios aux Etats-Unis.

"Pour les auditeurs, cela ne fait pas grande différence. Qu’ils écoutent la RNB, Radio Belgique ou la BBC, ils écoutent la Résistance, point barre", observe Céline Rase.
 

L’INR occupée

Le 28 mai 1940, l’occupant envahit le paquebot de l’INR, place Flagey. Il lance une programmation trilingue.

Les Allemands ne prennent pas eux-mêmes le micro, ils pilotent dans l’ombre. Les émissions sont majoritairement écrites et lues par des Belges, mieux encore, elles sont lues par les mêmes voix que celles d’avant l’Occupation, de façon à inscrire cette radio volée dans la généalogie de la précédente, et à masquer la propagande.

Au début, la majorité des membres du personnel va reprendre le travail sous l’Occupation. Ils s’interrogent bien sûr, mais beaucoup font le choix d’être là, en patriotes, plutôt que de laisser tout le contrôle aux Allemands.

On leur demande de signer une charte de discrétion, mais à partir de 1942, une radicalisation s’installe et ils sont priés de suivre le national-socialisme.

L’Occupation en 1943 n’est plus la même qu’en 1940 : il y a eu la déportation, le travail obligatoire, la famine… Collaborer n’est plus la même chose, donc beaucoup démissionnent. Ils seront remplacés par de nouveaux éléments, choisis par les Allemands, plus dociles ou carrément convaincus par l’idéologie nazie. La propagande deviendra donc plus manifeste dans la seconde partie de la guerre.
 

Au programme : du divertissement !

Au programme de Radio Bruxelles, il y a les bulletins d’information, mais il y a surtout du divertissement. Il y a 10% de musique en plus qu’avant-guerre : Charles Trenet, Edith Piaf, toutes les stars à la mode, du jazz, des jeux radiophoniques, beaucoup de sports,…

La programmation, à beaucoup d’égards, est meilleure que celle d’avant-guerre. Elle fait la part belle au répertoire national et rencontrera au moins un succès d’audience, à défaut de rencontrer un succès d’estime.

Fini, la programmation élitiste de l’INR ! Les Allemands sont passés maîtres dans l’art de faire participer l’auditeur aux programmes. Il y a des émissions qui rebondissent sur le courrier des auditeurs, des jeux pour la jeunesse, des émissions où les auditeurs sont invités en studio, pour enregistrer des messages qui seront diffusés en Allemagne, à destination de proches qui y sont prisonniers, légionnaires ou travailleurs. L’occupant apparaît alors tout à coup comme celui qui réunit des familles séparées par la guerre.

 

Une propagande schizophrénique

Les 5 à 6 bulletins d’informations quotidiens sur Radio Bruxelles sont rédigés et lus par des Belges, sur base des communiqués de presse et directives allemands. Ils font la part belle aux succès militaires allemands, faisant abstraction par exemple du débarquement allié. A l’été 1944, les Allemands sont toujours en train de gagner la guerre !

Céline Rase explique : "Sur la fin, on est clairement dans une propagande complètement schizophrénique, qui a perdu totalement pied avec la réalité. Les chiffres sont tronqués. A côté de cela, on a des billets de propagande, antisémites, antibolchéviques."

Les voix des bulletins d’infos ne sont pas toujours anonymes, mais ceux dont le nom est connu, car ils donnent une certaine légitimité aux contenus, vont recevoir des menaces de mort de la part de la Résistance.
 

L’épuration de Radio Bruxelles sera sévère, mais sera-t-elle juste ?

Pour les résistants oeuvrant depuis Londres, et qui n’ont pas vraiment vécu l’Occupation, sanctionner la collaboration va être une manière de proclamer leur légitimité, récupérer leur autorité, redorer leur blason. Pointer la faute patriotique, c’est en miroir, mettre en avant son propre mérite patriotique, souligne Céline Rase.

Il y aura la répression populaire, la répression judiciaire et l’épuration, qui est moins connue, administrative et professionnelle. Chaque métier va avoir envie de trier, parmi les collègues, le bon grain de l’ivraie.

La volonté de justice au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n’est plus la même qu’après la Première Guerre mondiale, ni dans le chef de la population, ni dans le chef des autorités, parce qu’on estime qu’il y a récidive. Cette fois, on veut taper fort et le Code pénal est d’ailleurs revu pour toucher l’ensemble des comportements des collaborateurs.
 

Le procès de la radio

La collaboration radiophonique n’existe pas au niveau pénal, elle est difficile à définir, car très intellectuelle. Au début, on patauge complètement, on ne sait pas bien qui punir.

Au final, on retient sur le banc des accusés des rédacteurs, des speakers, des responsables. Mais pour pouvoir retrouver leur emploi à la radio, les 395 membres du personnel vont devoir rendre des comptes et ils seront nombreux à être condamnés. Beaucoup de responsables, en fuite, seront condamnés par contumace.

Les peines envers les gens de radio seront relativement sévères, jusqu’à la peine de mort. On reprochera à ces intellectuels d’avoir trompé l’opinion publique. La preuve de leur délit est clairement enregistrée et leurs procès seront donc rapides à instruire, ils viendront avant d’autres grands coupables, sur le terrain économique et politique, à un moment où les passions sont encore mal éteintes.

Ce sera en quelque sorte aussi le procès de la radio. "Cette sévérité s’explique par le fait qu’on a bien compris que le média radio est très puissant. Il s’agit vraiment d’assurer la rédemption idéologique du média, de lui rendre une légitimité et de ne plus le laisser aux mains de potentiels traîtres."
 

Et puis, la révision des jugements

Les sanctions, souvent intransigeantes dans un premier temps, iront du blâme à l’exclusion définitive. Dans leurs jugements, les commissions épingleront des comportements extrêmement variés, par exemple le fait d’avoir accepté une promotion sous l’Occupation. Nombre d’accusés se défendront d’avoir eu une attitude antipatriotique.

Dès les années 50, des commissions de révision porteront un nouveau regard sur cette collaboration et reviendront sur les peines, considérant qu’il y avait une sorte d’inévitabilité, de nécessité de travailler. Il y aura aussi plus de compréhension pour une certaine courtoisie qui aurait pu naître au-delà des camps de la guerre.

Il y aura réparation, réhabilitation, mais malheureusement aussi un jugement inconstant : des cas semblables seront traités différemment. Certains ne retrouveront jamais leur place à la radio, tandis que des personnalités suspectes seront jugées indispensables à la qualité de la programmation.
 

Les explications de Céline Rase, c’est par ici

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