Exposition - Musées

"Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie" le destin des triangles roses mis en lumière à la Caserne Dossin

 Photographies d’identité judiciaire de  Fritz Kitzing en 1936

© Coll. Landesarchiv Berlin

100.000 homosexuels ont été fichés par le régime nazi entre 1933 et 1945. Entre 5000 et 15.000 ont été transférés dans des camps de concentration. Les trois quart des déportés ne survivront pas aux camps de concentration. Le sort des homosexuels et des lesbiennes sous le régime nazi a longtemps été méconnu. Une réalité étudiée très récemment par les historiens et largement ignorée du grand public. L’exposition Homosexuels et Lesbiennes dans l’Europe nazie, à la Caserne Dossin de Malines, met en lumière la situation en Allemagne, mais aussi en France, aux Pays-Bas et dans notre pays. Une exposition événement.

Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition
Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition © Xavier Ess

A travers des documents et surtout des histoires personnelles, l’exposition donne une vue d’ensemble de la vie des gays et des  lesbiennes - principalement en Allemagne - avant et pendant le régime nazi. La dernière partie de l’exposition est consacrée à la lente reconnaissance de ce pan de l’histoire longtemps jugé indigne par les tenants de la mémoire.

 

Jeanne Mammen, Sie Repräsentiert ( détail), 1928
Jeanne Mammen, Sie Repräsentiert ( détail), 1928 © VG Bild Kunst, Bonn 2017

Les folles années folles

Dans les années 20 à Berlin, Londres et Paris la vie homosexuelle est florissante. A Berlin, les homos et les lesbiennes font la fête dans les bars et les cabarets. L'Eldorado, le plus célèbre d'entre eux deviendra le QG local du parti nazi dès 1933. Ils et elles publient des revues, organisent des bals pour oublier la crise économique, qui amènera Hitler au pouvoir, et les millions de morts de la Grande Guerre. Marlène Dietrich fait la garçonne, mais la fête va bientôt tourner au cauchemar.

 Vue extérieure du cabaret Eldorado, Berlin, 1932
Vue extérieure du cabaret Eldorado, Berlin, 1932 © Coll. Bundesarchiv. Bild 183-1983-0121-500
Vue extérieure du cabaret Eldorado devenu le QG local du parti nazi, Berlin, 1933
Vue extérieure du cabaret Eldorado devenu le QG local du parti nazi, Berlin, 1933 © Coll. Landesarchiv, Berlin

Le paragraphe 175

Malgré la visibilité de cette subculture, les préjugés homophobes, relayés notamment par les discours religieux et médicaux, étaient fortement ancrés en Europe et de nombreux pays pénalisaient les relations sexuelles entre hommes (les lesbiennes sont ignorées). En Allemagne, le paragraphe 175 du code prussien criminalise l'homosexualité masculine, le "coït anal", dès 1871 et jusqu'en... 1994.

§ 175 Les actes sexuels contre nature qui sont perpétrés, que ce soit entre personnes de sexe masculin ou entre hommes et animaux, sont passibles de prison ; il peut aussi être prononcé la perte des droits civiques

Ce paragraphe fera le malheur des homos allemands, et dès l'accession d'Hitler au pouvoir, les interdictions se multiplient (fermeture des clubs et cabarets, suppression des publications) et la répression s'accentue. De 8000 condamnations entre 1920 et 1932, on passe à 53.000 entre 1933 et 1945.  

Pour le détail de la mise en place de ce système répressif de plus en plus radical, lisez l'article de Bénédicte Beauloye ci-dessous et écoutez l'émission Un Jour dans l'Histoire avec la commissaire de l'exposition, l'historienne Florence Tamagne

Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition
Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition © Xavier Ess

Dr Magnus Hirschfeld, l'infatigable militant

Le sexologue Magnus Hirschfeld considère l'homosexualité comme une simple variable sur laquelle il est impossible d'agir. Dès 1897, il avait lancé une pétition pour l'abolition du paragraphe 175. Elle rassemblera 5000 signatures dont celle de Freud, Zola, Einstein... A Berlin, Hirschfeld accueille transexuel.les et transgenres dans son Institut de sexologie qui sera incendié par les nazis en 1933. Trois ans auparavant, comme l'explique Florence Tamagne, il réalise  "la première opération connue de réassignation sexuelle " sur la personne de la peintre Lili Elbe. 

Soirée costumée à l'Institut de sexologie d'Hirschfeld, Berlin, 1920
Soirée costumée à l'Institut de sexologie d'Hirschfeld, Berlin, 1920 © Magnus-Hirschfeld-Gesellschaft e.V., Berlin
Rudi Pallas, 1930-1931 -vue de l'exposition
Rudi Pallas, 1930-1931 -vue de l'exposition © Xavier Ess

Robert et Rudi

En 1919, Robert Oeldermann fonde le mouvement de jeunesse Nerother Bund. En 1933, tous les mouvements indépendants doivent rejoindre la Jeunesse hitlérienne. En 1936, Oeldermann est condamné à 21 mois de travaux forcés au titre du §175. Envoyé à Sachsenhausen après 18 mois, il y organise avec Rudi Pallas, un ancien chef scout, des activités de résistance avec des prisonniers politiques et homosexuels. Déporté à Dachau, il meurt en 1941. Rudi Pallas, relâché en 1940 est incorporé sur le front de l’Est (envoyé en première ligne, tout comme les soldats de la Wehrmacht condamnés pour homosexualité; quand ils n’étaient pas exécutés). Rudi Pallas se suicide en 1952, après une nouvelle enquête de la police allemande sur sa sexualité.  

Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition
Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition © Xavier Ess
Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition
Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition © Xavier Ess

"La question du lesbianisme n’apparut jamais comme prioritaire" écrit Florence Tamagne. Les lesbiennes ne seront pas déportées en tant que telles, mais désormais elles se font discrètes, elles changent de look et font des mariages blancs. 

Gertrude Sandmann est une peintre juive allemandeEn 1942, elle reçoit un ordre de déportation. Elle simule un suicide pour échapper à la Gestapo et survivra cachée dans un placard grâce à son amante Hedwig Koslowski et à des proches. Les deux femmes vivront ensemble jusqu'en 1956. Dans les années septante elle milite pour la visibilité lesbienne, elle fonde le groupe L74 et publie le magazine lesbien UKZ. D'autres connaissent un destin tragique comme Eva-Chawa Zloczover, écrivaine polonaise réfugiée aux Etats-Unis et renvoyée en Pologne après la publication de Lesbian Love. Arrêtée en 1943 à Paris, elle est déportée à Auschwitz, où elle est assassinée. 

Les homosexuels étaient désignés par un triangle rose
Les homosexuels étaient désignés par un triangle rose © Xavier Ess

Si le drapeau arc-en-ciel (créé en 1978 à San Francisco) est "l'emblème" LGBTQI aujourd'hui, les militants des années septante avaient adopté le triangle rose, celui attribué aux homos dans la nomenclature des camps nazis. Act Up l'utilisera en le retournant, en signe de réappropriation de l'injure. On trouve des homosexuels dans les camps de concentration dès 1933, mais ils n'y constitueront qu’une très petite minorité. "Ils étaient de fait, à certaines périodes, au plus bas de la hiérarchie des camps, juste au-dessus des juifs" écrit Florence Tamagne. Ils sont assignés aux compagnies disciplinaires (Strafkompanie), astreints aux travaux les plus pénibles et recevant moins de nourriture; ils subissent le sadisme des kapos et la méfiance des autres prisonniers.

Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition
Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition © Xavier Ess

Dans certains camps, à Dachau et à Buchenwald, les homosexuels ont été utilisés pour des expériences médicales, sur la typhoïde et la malaria entre autres. La plupart des homosexuels présents à Buchenwald auraient été castrés, quand ils ne sont pas systématiquement éliminés. Ce sera la destinée de Walter Richter, un domestique berlinois qui aime se travestir. Victime d'une dénonciation anonyme, il est condamné et envoyé au camp de Sachsenhausen. Il sera un des 180 à 200 autres homosexuels assassinés entre juillet et septembre 1942. Plus d'un demi-siècle plus tard, deux rescapés qui eurent le courage de témoigner. Pierre Seel en 1994 et Rudolph Brazda, le dernier survivant connu qui témoignera en 2008, à l'âge de 95 ans, et jusqu'à sa mort en 2011. On peut entendre son témoignage dans une courte vidéo. 

Pierre Seel témoignera dans un livre paru 1994 aux éditions Calmann-Lévy
Rudolph Brazda en 2010

Maigre chapitre belge 

L'homosexualité n'étant pas criminalisée en Belgique, ce n'est pas une priorité pour l'occupant allemand. Dans cette partie belge, on découvre la vie, discrète mais libre, de la communauté homosexuelle à Bruxelles à travers le témoignage en vidéo de la critique de cinéma Suzan Daniel. En 1953, elle fondera la première association homosexuelle de Belgique, le Centre Culturel Belge... et la quittera l'année suivante suite (déjà) au sexisme qu'elle y subit. 

Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition - portrait de Suzan Daniel
Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie - vue de l'exposition - portrait de Suzan Daniel © Xavier Ess

Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie est la première exposition francophone de grande ampleur organisée par une institution importante non-lgbt, le Mémorial de la Shoah à Paris. La reconnaissance officielle de la persécution des gays et lesbiennes et de leur présence dans les camps de concentration nazis a été très tardive. 1985 en Allemagne, 2004 en Belgique, 2011 en France.

À voir jusqu'au 10 décembre 2023.

Plaques commémoratives pour les homosexuels, les témoins de Jéhovah et les déserteurs de la Wehrmacht au camp de concentration de Buchenwald
Plaques commémoratives pour les homosexuels, les témoins de Jéhovah et les déserteurs de la Wehrmacht au camp de concentration de Buchenwald © Horacio Villalobos/Corbis/Getty Images

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