Drôle de réveil pour les Vénézuéliens : tous les habitants vont perdre six zéros sur leur compte en banque ce vendredi matin. La Banque centrale a divisé par un million le cours de sa monnaie. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ? Que se passe-t-il au Venezuela ?
Imaginez, vous avez 10.000 bolivars sur votre compte en banque. Le lendemain, vous n’avez plus qu’un centime. Une telle dévaluation semble étonnante vue d’ici. En effet, cela fait longtemps que nous n’avons plus recours à cette pratique en Europe.
►►► À lire aussi : Inflation : tous les prix n’explosent pas, il y a certains produits qui sont moins chers
Mais le Venezuela connaît une hyperinflation depuis plus de cinq ans. Conséquence : la monnaie perd de sa valeur à vue d’œil. Heure par heure, tous les jours, les achats du quotidien demandent de plus en plus d’argent. À tel point qu’aujourd’hui, certains Vénézuéliens vont acheter du pain munis d’une brouette de billets.
Alors, pour calmer cette flambée des prix et redonner un peu de crédibilité à sa monnaie, le Venezuela a décidé de dévaluer le bolivar. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois, c’est la troisième fois qu’ils le font en 12 ans. En tout, ils ont déjà enlevé 14 zéros au cours de leur monnaie.
Comment expliquer l’hyperinflation ?
Le problème de l’économie vénézuélienne, c’est qu’elle est quasiment exclusivement tournée vers le pétrole. Le pays est un gros producteur, il est donc tributaire des prix auxquels on vend l’or noir. C’est le revenu national qui en dépend.
Mais malheureusement, la production de pétrole a diminué dans le pays. "Le pétrole vénézuélien a une particularité, c’est-à-dire que c’est un pétrole très lourd, c’est de la boue de pétrole qu’il faut pouvoir transformer et traiter pour le vendre. Cela implique des coûts de production qui sont très élevés", explique Xavier Dupret, économiste à la Fondation Jacquemotte et fin connaisseur de l’Amérique latine.
On a observé une chute impressionnante du cours des matières premières
"Or, à partir de 2014, on a observé une chute impressionnante du cours des matières premières, ce qui veut dire que le pétrole vénézuélien n’était plus compétitif par rapport aux cours internationaux. Et donc la production de pétrole a diminué au Venezuela."
Les revenus du Venezuela se sont donc effondrés ces dernières années. On observe une baisse de 80% du produit intérieur brut en quelques années.
►►► À lire aussi : Venezuela : le bolivar, de billet de banque à jouet pour enfants
Pour donner un ordre de grandeur, ils sont passés de plus de trois millions de barils de pétrole produits par jour dans "les bonnes années", à un demi-million aujourd’hui. Pour compenser, la banque centrale a fait tourner la planche à billets pour continuer à financer les dépenses publiques. Il y a eu une suroffre monétaire, et donc une diminution de la valeur relative de la monnaie vénézuélienne.
Une économie à deux vitesses ?
L’on pourrait imaginer que la valeur de la monnaie et les prix évoluent dans les mêmes proportions pour tout le monde. Dans ce cas, tout le monde garderait finalement le même pouvoir d’achat.
Mais ce n’est pas le cas au Vénézuela. Vu l’instabilité totale de cette monnaie ces dernières années, les gens qui ont pu se le permettre ont commencé à utiliser d’autres monnaies plus stables, le dollar en particulier. Et là, une économie à deux vitesses s’est développée dans le pays.
Il y a une dollarisation de fait de l’économie vénézuélienne
"Ça a surtout impliqué un formidable appauvrissement de la population vénézuélienne puisque ne sont favorisés, au terme d’un processus d’hyperinflation, que les ménages qui disposent de devises fortes. Ces gens doivent absolument, pour réaliser leurs transactions, utiliser du dollar. Il y a une dollarisation de fait de l’économie vénézuélienne", constate Xavier Dupret.
"En revanche, un processus d’hyperinflation pour des ménages plus pauvres va impliquer, puisqu’ils ne disposent pas de dollars, une disparition des échanges marchands. Puisque lorsque vous avez un bolivar en main, sachez qu’au bout d’une heure, il ne vaut plus un bolivar. Et classiquement, en Amérique latine, lorsque des processus de ce type éclatent, les gens ont recours au troc."
La crédibilité du bolivar
Les uns payent en dollars, les autres qui font du troc. Voilà la réalité du Vénézuela. Dans la réalité, le bolivar n’est quasiment plus utilisé, ou alors de manière électronique. Et donc, aujourd’hui, l’objectif en le dévaluant est de lui redonner de la valeur, de la crédibilité, et donc de l’usage dans le pays.