Quelques coups de batteries, une série de notes de guitare puis la voix de Bono qui surgit comme une plainte : "I can’t believe the news today. Oh, I can’t close my eyes and make it go away". C’est le début d’un tube qui fera le tour du monde. Si la chanson date du début des années 80, l’événement dont elle s’inspire est, lui, un peu plus ancien. Il y a tout juste 50 ans, le dimanche 30 janvier 1972, la ville de Derry était le théâtre d’une fusillade sanglante.
Ce jour-là, une manifestation à l’appel d’associations pour la défense des droits civiques des catholiques a été interdite par le gouvernement de la province britannique. Cette dernière est dominée politiquement, économiquement et socialement par les protestants depuis la partition de l’île en 1921.
Ils sont pourtant plusieurs milliers à défiler dans les rues du Bogside, le ghetto nationaliste de Londonderry (Derry pour les républicains) où, plus de deux ans auparavant, a commencé une révolte contre la discrimination pratiquée par le "gouvernement d’apartheid" protestant.
Le désastre se joue peu après 16h30. Des parachutistes britanniques du premier bataillon amenés en renfort de Belfast sont postés au croisement de Bishop Street et de Rossville Street, à la lisière du Bogside.
L’armée tire sur une foule pacifique
Alors que se termine la manifestation – la plus grande jamais organisée à Londonderry -, des jeunes quittent le flot du cortège pour se diriger vers le poste avancé des soldats. La situation dégénère.
Mais les paras sont sortis de derrière leurs barricades. Ordre leur a été donné d’investir le Bogside. Une fois dans cette forteresse du catholicisme en Ulster, manifestants et militaires disparaissent dans un dédale de petites rues. Les militaires ouvrent le feu. Le bilan de la fusillade est de 13 civils tués, dont six âgés de 17 ans. Tous abattus par balles, la plupart dans le dos. On relève également seize blessés, plusieurs gravement atteints.
Un rapport d’enquête publié en 2010 viendra, après 12 ans de travail, balayer la version officielle établie juste après les événements. Selon ce document, les parachutistes britanniques ont tiré les premiers. Les victimes quant à elles n’étaient pas armées et n’étaient pas des poseurs de bombes de l'Irish Republican Army (IRA). Dans la foulée, le Premier ministre David Cameron présentera des excuses solennelles aux familles, qualifiant au passage d'"injustifiable" l’action de l’armée le 30 janvier 1972.
Une chanson au succès planétaire
Mais entre 1972 et 2010, il y a U2 et sa chanson Bloody Sunday. Les quatre Dublinois ne sont pas les premiers à s’intéresser à cet événement. Avant eux, il y eut John Lennon puis le groupe de punk rock irlandais Stiff Little Fingers. Bono et sa bande sont par contre les premiers à imposer au fil des ans ce titre comme un hymne à la non-violence qui dépassera les frontières de leur pays.
La chanson, qui puise aussi son inspiration dans un autre dimanche funeste en 1920, figure sur l’album "War" en mars 1983, mais sa première présentation sur scène remonte au 1er décembre 1982 à Glasgow. Depuis, U2 a interprété le titre en tout ou en partie plus de 1000 fois selon les comptes du site U2gigs.com.
C’est David Howell Evans, alias The Edge, le guitariste-pianiste-chanteur de la bande, qui écrit le riff de guitare devenu célèbre en 1982. Pendant ce temps-là, Paul – Bono – Hewson est en voyage de noces en Jamaïque avec son épouse Alison.
Au retour du chanteur, tout le monde se met au travail. Larry Mullen empoigne ses baguettes de batteur. Il s’applique, métronome dans les oreilles, pour garder le rythme martial des premières secondes. Sa batterie a été installée à l’initiative de leur producteur dans les escaliers du studio où ils enregistrent. Objectif : profiter de l’écho offert par cet endroit.
We eat and drink while tomorrow they die
Quant aux paroles, leur version originale a été quelque peu modifiée pour en faire un hymne à la paix. Exit les références à l'IRA. Bono qui a coutume de dire que ce n’est pas une "rebel song" veut opposer deux dimanches : celui de janvier 1972 marqué par une violence extrême, et le dimanche de Pâques fêté aussi bien par les catholiques que par les protestants.