Guerre en Ukraine

Il bénit les missiles, soutient "l'opération spéciale" et condamne l'homosexualité: qui est Kirill, le patriarche de Moscou, allié de Poutine ?

Le patriarche orthodoxe russe Kirill en compagnie du président russe Vladimir Poutine.

© 2017 Mikhail Svetlov

Par Anthony Roberfroid

C’est un autre Vladimir qui exerce son pouvoir à l’Est, à la tête non pas du pays mais de la religion orthodoxe. Vladimir Mikhaïlovitch Goundiaïev, patriarche de Moscou et de toutes les Russies depuis 2009, est au centre d’un jeu d’influence entre les croyants et le pouvoir du président Poutine.

Exerçant son pouvoir religieux sur 150 millions d’orthodoxes russes, celui mieux connu sous le nom de Kirill (ou Cyrrille en français) a mis son influence au service du Kremlin et de celui qu’il qualifie de "miracle de Dieu" pour la Russie. Tous les deux ont une mission commune : "Unir toutes les Russies". Le patriarche voit, tout comme son président, l’Ukraine et la Biélorussie comme des pays "frères", qui auraient dû rester sous la houlette de Moscou.

Entre soutien aux lois homophobes et bénédiction de missiles, le dirigeant religieux âgé de 75 ans est un fervent défenseur de "l’opération spéciale" initiée par Poutine en Ukraine. Une prise de position qui lui a valu d’être dans le viseur de la Commission européenne, qui a envisagé de le sanctionner au même titre que d’autres dirigeants russes.

Une vie dédiée à la foi, à son pays mais aussi à son profit

Contrairement à son grand-père, un prêtre victime des répressions staliniennes, Vladimir Goundiaïev fait ses premiers pas dans l’Eglise de l’époque soviétique, soumise à l’URSS.

En 1965, à seulement 19 ans, il fait son entrée au séminaire de Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), ville natale qu’il partage avec l’autre Vladimir. Il rédige ensuite une thèse, enseigne à l’Académie ecclésiastique et fini par enfiler l’habit monacal quatre années plus tard. Un choix, qui selon sa sœur Elena, citée dans le quotidien populaire Tvoï Den, avait été fait durant ses études : "Si je ne rencontre pas une fille avec laquelle je veux passer le reste de ma vie, je deviendrai moine" aurait-il déclaré.

Il accède ensuite à son premier poste diplomatique dès 1971 en tant que représentant du Conseil œcuménique des Églises à Genève. C’est une fois en place en confédération helvétique qu’il aurait intégré, tout comme le président russe en devenir, les services secrets du KGB.

En Suisse découvrira également le goût du luxe : chalets, ski et montres "swissmade". Un amour de l’horlogerie de qualité que le service de presse du patriarche essaiera d’ailleurs de cacher en 2012, sans succès. Une photo maladroitement retouchée laissant entrevoir dans le reflet de la table une montre Breguet d’une coquette valeur estimée à 30.000 dollars et dont le modèle répond au doux nom de "Réveil du Tsar".

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Quelques années plus tard, en 1989, Kirill prend la tête du département des relations extérieures, équivalent d’un ministère des Affaires étrangères.

Dans les années 90, alors que l’ère post-URSS plonge la Russie dans une léthargie économique, l’homme à l’épaisse barbe blanche fait sa fortune grâce au tabac et à l’alcool. L’État Russe exemptait en effet l’Église orthodoxe de taxes sur ces deux produits, ce qui lui a permis de s’enrichir grâce à la vente de cigarette et de vodka, tout en se voyant attribuer le surnom de "métropolite du tabac et de la vodka". Une dispute de voisinage révélera aussi que le patriarche est propriétaire d’un appartement dans l’un des immeubles moscovites les plus en vue.

Poutine et Kirill font bon ménage

L’arrivée de Vladimir Poutine à la présidence du pays en 2000 va rapprocher le pouvoir et l’Église. Alors que le président ne peut réussir à unir géographiquement les anciens territoires russes, l’union spirituelle reste encore possible. Une vision partagée par Kirill, qui possède une énorme influence envers les orthodoxes de l’est. Et cette influence est une carte indispensable pour celui qui relancera 22 ans plus tard la guerre en Europe.

Succédant en 2009 au défunt patriarche Alexis II qui avait reconstruit l’Eglise après la chute de l’URSS et de son système athée, Kirill a fait de l’orthodoxie russe une véritable machine politico-religieuse au service du Kremlin.

L’homme d’Église a soutenu les différents "combats" de Vladimir Poutine, condamnant par la même occasion l’opposition qui était faite au président. Ce fut notamment le cas en 2012 lorsque quatre jeunes femmes cagoulées, membres des Pussy Riot, ont interrompu une de ses messes dans la cathédrale du Christ Sauveur, la principale de Moscou, et y ont chanté une prière anti-Poutine. Trois d’entre elles sont arrêtées et condamnées à des peines de prison ferme. Kirill a rejeté les appels à la miséricorde et a dénoncé un "blasphème", rappelant régulièrement que le fidèle orthodoxe ne doit pas protester. Il a d’ailleurs condamné les grands rassemblements après l’arrestation en janvier 2021 de l’opposant Alexeï Navalny, parlant de "crise au sein de la jeune génération".

Profondément homophobe, Kirill s’est également satisfait de la loi promue par Vladimir Poutine, condamnant les "crimes de propagandes homosexuelles".

Mais la consécration pour Kirill arrive en 2020, lorsqu’une référence à Dieu est inscrite dans la Constitution de la Russie. Une réforme validée en même temps que celle autorisant Vladimir Poutine à rester au pouvoir jusqu’en 2036 et celle définissant le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme.

Soutien à la guerre en Ukraine

Les liens qui unissent le Kremlin à Kirill sont toujours puissants en 2022. Le patriarche a notamment soutenu le déploiement russe en Ukraine dans une messe prononcée trois jours après l’invasion du pays, qualifiant l’intervention de "guerre sainte" et estimant que les soldats russes y pratiquent un "acte de résistance héroïque contre des forces voulant détruire l’unité historique entre Kiev et Moscou."

Mais à l’Ouest et en Ukraine, les propos ne passent pas. Son confrère catholique, le Pape François, a qualifié ce dernier d'"Enfant de chœur de Poutine" et l’a invité à "ne pas utiliser le langage de la politique, mais le langage de Jésus".

En Ukraine, présentée par Poutine comme berceau des Rus' de Kiev et de la civilisation russe, l’église orthodoxe a annoncé le 29 mai rompre ses liens avec son penchant russe, en prenant sa pleine indépendance et son autonomie : "Le concile condamne la guerre, qui est une violation du commandement de Dieu "Tu ne tueras point", et exprime ses condoléances à tous ceux qui souffrent à cause de la guerre", a expliqué dans un communiqué l’Eglise ukrainienne. De quoi faire perdre l’unité spirituelle voulue par Poutine et le patriarche.

Mais les soutiens à Kirill sont tout de même présents en Europe. Dernier exemple en date, alors que l’Europe envisageait de sanctionner le patriarche, un veto de la part de Victor Orban a protégé ce dernier. De quoi réaffirmer son soutien à Vladimir Poutine et faire un pied de nez à l’union des 27.

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