Belgique

Il y a 30 ans, le dimanche noir : quand le Vlaams Blok a bouleversé la politique belge

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Par Bertrand Henne

Le 24 novembre 1991, le Vlaams Blok fait une entrée fracassante sur la scène politique Belge. Le parti d’extrême droite flamande existe depuis 1978, mais il n’avait jamais fait plus de 2 députés à la chambre. Ce jour-là il va récolter 6 fois plus de sièges, 12 sièges au total ! Un score que pas grand monde n’avait vu venir. Dans le Sud la tendance est toute autre. C’est Ecolo triomphe en Wallonie et à Bruxelles. Les deux jeunes formations (elles ont été fondées à la fin des années 70) vont s’imposer durablement dans le paysage politique. Perte de confiance dans les partis traditionnels, divergence marquée entre nord et sud, nouvelles préoccupations politiques, le dimanche noir a marqué la fin d’une époque et fait entrer la politique belge dans le 21e siècle. Récit d’une soirée électorale pas comme les autres.

Les 12 élus du Vlaams Blok en décembre 1991
Les 12 élus du Vlaams Blok en décembre 1991 © Tous droits réservés

Une soirée noire en Flandre

Lors de la soirée électorale de la RTBF, les représentants des partis traditionnels flamands sont invités à réagir. Gerolf Annemans, député du Vlaams Blok attribue la victoire de son parti à son programme. Nous sommes très contents, nous récoltons les fruits de 4 ans de travail. Les électeurs ont choisi notre programme : stop à l’immigration, indépendance de la Flandre, lutte contre la criminalité.

Mais, pour les partis traditionnels flamands, qui ont tous perdu ou ne progressent pas, le constat est tout autre. Ce soir-là commence un débat, qui n’est toujours pas terminé aujourd’hui : comment expliquer le vote du Vlaams Blok ? Pour y répondre ce soir-là la RTBF a invité quatre représentants des principaux partis flamands. Ce sont quatre incontournables de la politique belge.
Il y a Herman Van Rompuy du CVP, dont le parti est au pouvoir avec les socialistes. C’est tout à fait inattendu. Il y a un mouvement très profond d’agressivité et de ras-le-bol par rapport au monde politique. La Belgique et la Flandre sont devenues de moins en moins gouvernables.

Les scores des partis en Flandre
Les scores des partis en Flandre © RTBF

A côté de lui, il y a son partenaire de majorité, le jeune Frank Vandenbroucke du SP… Et oui déjà. Son parti c’est l’autre grand perdant de la soirée. Fraîchement revenus au pouvoir, les socialistes flamands atteignent leur plus mauvais score de l’après-guerre. Entrés dans le dernier gouvernement Martens, ils ont été contraints d’accepter des restrictions budgétaires et des privatisations. Mais pour Frank Vandenbroucke tout le monde à perdu : Je crois que c’est une défaite dramatique pour tous les partis. Majorité comme opposition. Le PVV (libéraux) et Agalev (verts) malgré une opposition très dure ne récoltent rien.

Ce soir-là les socialistes flamands n’ont sans doute pas vraiment compris l’ampleur de ce qui arrivait. Les libéraux flamands non plus du reste. A côté de Frank Vandenbroucke trône un autre inoxydable un certain Herman de Croo du PVV, l’ancêtre du VLD. Si la majorité actuelle panique devant le Vlaams Blok moi je ne panique pas. C’est un phénomène important mais temporaire. Ce qui se passe c’est que les électeurs en ont assez des réformes de l’Etat et que les problèmes angoissants, l’environnement, la sécurité, la sécu, les immigrés n’ont pas été pris à bras-le-corps par la majorité actuelle.

Enfin, ce soir du 24 novembre 1991, la RTBF donne la parole à Magda Alvoet d’Agalev (les verts flamands). Le cri qui vient de la population indique qu’il y a un problème irrésolu. Moi, je me pose ce soir la question : dans quel état d’esprit les immigrés vont-ils aller se coucher ? Car ils vont avoir peur. Et moi j’ai peur des partis qui vont vouloir suivre le succès du VB en essayant d’imiter leur programme.

Guy Spitaels, président du PS, au bureau de vote à Ath en 1991.
Guy Spitaels, président du PS, au bureau de vote à Ath en 1991. © Belga

Une soirée verte en Wallonie et à Bruxelles

Mais la victoire du VB n’est pas le seul événement de la soirée électorale. Sur le plateau un brouhaha annonce maintenant l’arrivée de Guy Spitaels, le très puissant président du PS. Il arrive pour le grand moment de la soirée, le débat avec les autres représentants des partis francophones. Dans le sud du pays, le dimanche n’est pas noir, il est vert. C’est un autre parti, non traditionnel, qui gagne ce jour-là. Ecolo passe de 3 à 7 sièges. Et comme le Vlaams Blok, Ecolo attribue sa victoire à son programme, le député vert Marcel Cheron prend la parole en premier. Nous sommes heureux. Nous avons toujours voulu faire de la crédibilité de nos propositions une chose importante. Nous avons prouvé qu’on pouvait, avec des moyens limités, faire de la politique autrement.

Puis, parlent les autres présidents francophones qui vont largement tenter de minimiser la victoire d’Ecolo en pointant un vote rejet. Guy Spitaels s’y emploie activement : Je me demande si le fond de l’affaire n’est pas un rejet significatif des partis qui ont géré, plutôt qu’un attrait extraordinaire pour les propositions qu’Ecolo a présenté. Ce qui est troublant c’est qu’il y a le même mouvement au nord qui s’exprime vers un autre parti qui n’a pas les mêmes propositions.

Les résultats dans le sud du pays.
Les résultats dans le sud du pays. © RTBF

Le débat des présidents clôture la soirée électorale. Voilà qui est frappant, ce 25 novembre 1991 les principaux acteurs et observateurs, y compris très largement la presse, font le constat d’un vote de rejet, d’un vote sanction. Pas grand monde ne perçoit que la part de conviction qui se cache dans ces votes. Le malaise identitaire, thème porté par le Vlaams Blok va pourtant s’imposer pour les décennies à venir. La préoccupation environnementale portée par Ecolo aussi. Xavier Mabille, directeur du CRISP, le centre de recherche et d’information sociopolitique est chargé de faire le bilan de la soirée. Il résume : C’est un peu un vote sanction contre les grands partis qui monopolisent la représentation au gouvernement. Une de leur faiblesse est de pratiquer beaucoup trop le circuit fermé. Ces hommes politiques parlent beaucoup entre eux et oublient de maintenir le contact avec les gens qui ne sont pas dans les partis. Les vieux clivages belges fonctionnent moins bien que d’habitude. C’est l’affirmation d’un courant écologiste qu’on retrouve ailleurs en Europe et une nouvelle extrême droite qu’il ne faut pas nécessairement assimiler aux formes traditionnelles de l’extrême droite. On peut considérer que ceux qui ont voulu faire de la surenchère par rapport à ceux-là ont contribué à leur succès.

30 ans plus tard

30 ans plus tard, le successeur de Xavier Mabille, Jean Faniel confirme le constat de son prédécesseur. On a connu, déjà à ce moment-là plusieurs affaires qui révélaient de la collusion et de l’entre-soi entre les partis. Mais depuis 1991 on a documenté depuis le fait que les partis qui attiraient un électorat de gauche, comme le SP et le CVP ont progressivement perdu le contact avec la population. C’est le Vlaams Blok qui a pris cette place, à effectuer ce travail de fourmi sur le terrain.

Ce dimanche noir a aussi révélé un vote très contrasté entre nord et sud. Baptiste Hupin journaliste à la RTBF : Il y a un vrai premier déséquilibre qui s’installe à ce moment-là et qui va avoir des répercussions encore aujourd’hui. Deux paysages politiques différents vont naître et ne cesser de se séparer depuis.

En 2004 le Blok devient le Belang et remporte, malgré le cordon sanitaire, les élections en 2004 et 2007. Mais le déclin s’annonce. Ce qu’on remarque c’est un mouvement de percée politique de nouvelles forces dit Jean Faniel. Après le VB, c’est la Lijst Dedecker qui va faire son entrée au parlement et puis et surtout en 2009 et 2010 la N-VA qui devient le premier parti flamand. Le VB a creusé le sillon de la Lijst Dedecker qui a creusé le sillon de la N-VA. Il devenait assez clair que l’électorat du VB s’était lassé du cordon, lassé de voir son vote perdu et qu’il a voté pour d’autres partis de droite (pas d’extrême droite) utiles qui reprenait une partie des thèmes du VB.

Tom Van Grieken en septembre 2014, lors de son élection à la tête du VB
Tom Van Grieken en septembre 2014, lors de son élection à la tête du VB © Belga

Du fond du trou au sommet

En 2014 le VB perd 9 députés au profit de la N-VA. L’opération menée par Bart de Wever a parfaitement fonctionné. La défaite est cuisante pour le Belang. Pas grand monde ne croit encore à l’avenir du parti. Le jeune Tom Van Grieken prend alors la barre. Baptiste Hupin explique : tout le monde pense qu’il va manger son pain noir. Mais c’est le contraire qui va se passer, il va casser les codes. Il va utiliser intensivement les réseaux sociaux. C’est le premier parti à sentir le potentiel d’un réseau social comme Facebook. Il joue la carte du martyr et de la victimisation avec succès.

Avec 800.000 voix le VB est le deuxième parti du pays. Tom Van Grieken est reçu par le roi et mène de longues négociations avec Bart de Wever pour tenter de former un gouvernement en Flandre. Sans succès car N-VA et VB ont besoin d’un troisième partenaire et que les autres partis n’en veulent pas. Jean Faniel : La N-VA n’a jamais approuvé le cordon sanitaire. Ils ont une relation ambiguë avec le VB qui est l’origine une dissidence de la Volksunie. C’est un parti d’extrême droite, mais c’est aussi un parti nationaliste flamand. Malgré les réticences internes l’alliance avec la N-VA pourrait fonctionner en 2024 mais ce n’est pas certain. On voit bien que la question va se reposer. La pandémie polarise les positions. Si ça continue comme ça, 2024 pourrait être un carnage sur le plan électoral pour les partis au pouvoir.

Baptiste Hupin : La grande différence avec 1991 c’est que la nouvelle génération du Belang croit et veut aller au pouvoir. Ils ont goûté à la possibilité d’aller au pouvoir lors des négociations de 2019 avec la N-VA. Ça les galvanise.

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