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Il y a 50 ans, l’Irlande du Nord vivait son "Bloody Sunday". Que s’est-il passé ce jour-là ?

Immortalisée sur un mur du quartier de Bogside, cette scène saisie par un photographe le jour du "Bloody Sunday" montre des manifestants, dont un prêtre qui agite le mouchoir blanc, évacuer l'une des premières victimes des tirs de l'armée.

© PAUL FAITH - AFP or licensors

Par Myriam Baele

Ce dimanche, cela fait 50 ans, jour pour jour, que l’Irlande du Nord a vécu son "Bloody Sunday". Ce qui s’est passé ce jour-là a été immortalisé par la célèbre chanson de U2. Et dans le quartier de Bogside, dans la ville de Derry/Londonderry, une fresque murale raconte les événements, à l’endroit où ils se sont produits.

Mais les habitants du coin n’ont pas besoin de chanson ni de fresque pour s’en souvenir, ce dimanche est encore bien présent dans les esprits.

C’était le 30 janvier 1972.

Au départ, une marche pour les droits civiques

Le 30 janvier, en milieu d’après-midi, 15.000 personnes s’étaient rassemblées à Derry/Londonderry, en Irlande du Nord (Royaume-Uni).

Elles venaient manifester pour les droits civiques, contre certaines discriminations des catholiques vis-à-vis des protestants. L’une des revendications de la marche était la suppression d’une nouvelle décision du gouvernement nord irlandais, l’été précédent : la possibilité d’enfermer quelqu’un sans procès s’il était soupçonné de prendre part aux "troubles", c’est-à-dire les violences qui marquaient le quotidien à cette période-là. C’est ce que les autorités avaient imaginé comme solution pour ramener le calme.

La tension était alors de plus en plus forte en Irlande du nord entre les nationalistes "Républicains", catholiques tournés vers Dublin, favorables à une unification de l’île en grande république d’Irlande, et les "loyalistes", protestants tournés vers Londres, fidèles à la couronne d’Angleterre. Les émeutes, les bombes incendiaires, les confrontations avec les forces de l’ordre se multipliaient. Les paramilitaires de l’IRA, l'"Armée républicaine irlandaise", multipliaient les attaques de soldats britanniques.

Cette mesure d’enfermement sans procès n’a pas apporté le calme escompté. Au contraire, elle a attisé les tensions en toile de fond de cette marche pour les droits civiques.

L’ordre de tirer

Vu le contexte, la marche avait été interdite, mais elle avait été tolérée au démarrage : les soldats britanniques présents avaient reçu l’ordre de canaliser le défilé dans le quartier nationaliste, catholique. Ils avaient dressé des barricades pour empêcher qu’il n’arrive à destination, à l’hôtel de ville de Derry.

Mais les manifestants se sont alors retrouvés en majorité dans le quartier de Bogside, quartier alors agité et hostile aux forces de l’ordre britanniques, terreau de l’IRA. C’est là, sur les barricades, que des heurts ont éclaté, d’abord entre des adolescents et l’armée : jets de projectiles contre balles en caoutchouc et canons à eau.

Puis l’ordre a été donné aux soldats d’entrer dans le quartier pour des arrestations d’abord, mais quelques minutes plus tard il leur a été ordonné de faire feu, à balles réelles : 108 balles ont été tirées.

Quatorze morts et une flambée de violence

Ce jour-là, dans la foule, treize hommes ont été tués dont six jeunes de 17 ans. Un quatorzième est mort quelques mois plus tard de ses blessures. Quatorze autres personnes ont été blessées, douze par balles et deux par des véhicules blindés de l’armée. Aucun soldat n’a été tué ce jour-là.

Sur une stèle commémorative du quartier de Bogside, la liste des morts du Bloody Sunday.
Sur une stèle commémorative du quartier de Bogside, la liste des morts du Bloody Sunday. © PAUL FAITH - AFP or licensors

Une première enquête a blanchi les soldats et les autorités britanniques.

Une nouvelle enquête, bien plus récente, achevée en 2010, conclut au contraire qu’aucun des manifestants tués ce jour-là n’avait une attitude qui justifiait d’ouvrir le feu et qu’aucun n’avait reçu de sommation.

Le "massacre de Bogside" et les conclusions de la première enquête avaient attisé la colère et les violences. Cette violence ne cessera en Irlande du Nord qu’avec les accords de paix dits "du Vendredi Saint", 26 ans plus tard, le 10 avril 1998. Une paix encore fragile aujourd’hui, chargée de traumatismes comme celui du "Bloody Sunday".

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