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Il y a 80 ans, Stefan Zweig nous quittait

Stefan Zweig

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Le 22 février 1942, à Petropolis au Brésil, l’écrivain autrichien choisit de se donner la mort avec Lotte, sa deuxième épouse en absorbant des barbituriques. Très apprécié de son vivant, Stefan Zweig partage avec Agatha Christie et William Shakespeare le privilège d'être un des auteurs classiques étrangers les plus vendus en Europe. Connu principalement pour ses nouvelles, Stefan Zeig est aussi l’auteur d’un seul roman ( La pitié dangereuse) et de nombreuses biographies de personnages célèbres à travers lesquels il partagait son goût pour l’Histoire. Tombé dans le domaine public en 2012, le phénomène n'a fait que s'accélérer puisqu'on compte pas moins de six traductions du Joueur d'échec en français et que ses œuvres continuent à s’écouler à près de 300.000  exemplaires chaque année.

Né le 24 novembre 1881 à Vienne dans une famille de riches industriels juifs – non pratiquants, Stefan Zweig aura été le témoin en 60 ans d’existence de deux guerres mondiales et des totalitarismes du XXe siècle : le fascisme, le national socialisme et le bolchévisme. Il sera riche et respecté mais devra fuir l'Autriche comme un paria parce que juif. Voyageur infatiguable, il connaitra aussi l'exil en Angleterre, aux Etats-Unis puis au Brésil.

Citoyen du monde

Stefan Zweig se passionne dès son plus jeune âge pour la littérature et l’histoire. Il étudie la philosophie à l’Université de Vienne, obtient son doctorat en 1904. Il publie un premier recueil de poèmes à 15 ans puis se tourne rapidement vers la forme courte dans laquelle il excelle.

Vienne est alors capitale d'un empire, l'Autriche-Hongrie et ville cosmopolite. Zweig dont la mère native d'Ancone parle italien, se sent l'âme nomade.  Il parle cinq langues, voyage beaucoup à travers l’Europe : Paris, Bruxelles, Londres et un peu plus tard, l’Inde, les Etats-Unis et le Canada.  

Zweig aime ce qui est nouveau. Et ce début du XXème siècle, de nombreuses inventions voient le jour : le télégraphe, le téléphone, les trains, les automobiles, les premiers avions. Mais c'est aussi surtout, l'avènement d'une nouvelle discipline qui va bouleverser les manières de penser, la psychanalyse. Sigmund Freud ouvre la voie de l'insconscient et ce qu'il révèle à ses patients dans son cabinet, Zweig fasciné, n'aura de cesse de le transposer dans ses écrits. En 1911, il publie Un brulant secret, l'histoire d'un homme à femmes qui se sert d'un enfant de douze ans pour séduire sa mère. Zweig y interroge les interdits, les méandres du désir, l'éveil à la sensualité, la jalousie. Cette nouvelle sera son premier grand succès. Lui qui voue un véritable culte à la littérature, doute cependant de son talent. Il a 30 ans.

Un goût pour la confession

L'écrivain n'a pas son pareil pour sonder la psychologie des hommes. Il apparaît comme un spéléologue de l'âme. Ses nouvelles s'agencent souvent autour d'une même trame. Le narrateur rencontre un personnage qui se livre à lui comme à un psychanaliste. Cette confession emprunte de pudeur, laisse supposer que le temps a fait son oeuvre et que les choses se sont appaisées. Mais très vite, l'armure se fend et laisse apparaitre une personnalité fragile gouvernée par une force incontrolable qui la mène tragiquement à l'humiliation, la folie, l'autodestruction.

Zweig sonde les passions, débusque les secrets indicibles, les désirs refoulés, décortique les forces obscures qui gouvernent ses personnages sans qu'ils en aient conscience. Les textes de l'écrivain sont empreints d'empathie, l'analyse est fouillée et à travers ces personnages brisés, Zweig pose un regard critique sur la morale sociale dans ce qu'elle a de plus rigide et d'impitoyable. 

Des idéaux pacifistes chahutés

En  juin 1914, l'assassinat de l'empereur d'Autriche plonge l'Europe dans la guerre. Zweig voit s'éloigner ses idéaux pacifistes et multiculturalistes.  Jugé inapte pour le front, il est recruté dans les services d’archives militaires et à ce poste, prend conscience des horreurs de ce conflit ainsi que de la mise à l’écart des Juifs. 

Après la guerre, il rentre en Autriche, se marie avec Friderike Maria Burger, une jeune divorcée mère de deux filles. Commence alors une période de grande production littéraire. En 1922, il publie un recueil de nouvelles Amok qui contient notamment Lettre d’une inconnue. Suivent alors ses œuvres les plus connues : La Confusion des sentiments et Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme en 1927 mais aussi des essais sur ses maitres Balzac, Dickens et Dostoïevski ou encore Freud.

La montée du nazisme, l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 chamboule à nouveau la vie de l’écrivain. Ses livres sont brulés lors d’autodafés à Berlin. En tant que Juif, la menace est quotidienne. Après une perquisition, il s’enfouit à Londres en février 1934 sans son épouse qui ne partage pas son pessimisme politique.  En 1938, l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne a pour conséquence que Zweig perd sa nationalité autrichenne. Il publie son unique roman achevé La pitié dangereuse, divorce de sa première épouse, adopte la nationalité britannique en 1940 et se remarie avec Lotte Altmann , sa secrétaire. La progression de l'armée allemande vers l'ouest le pousse à traverser l'Atlantique et à se réfugier aux Etats-Unis.

Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen de Stefan Zweig
Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen de Stefan Zweig © Tous droits réservés

Les Américains ne sont pas nécessairement accueillants envers les exilés allemands, Zweig part s'installer au Brésil à Petropolis en 1941 et se lance dans son autobiographie Le monde d'hier. Souvenirs d'un Européen où il fait le portrait de l'Europe d'avant 1914. Le 22 février 1942, Stefan Zweig envoie son manuscrit achevé avec une lettre d'adieu à son éditeur et se suicide avec son épouse à l'aide de barbituriques.

" Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec ma lucidité, j’éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m’a procuré, ainsi qu’à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j’ai appris à l’aimer davantage et nulle part ailleurs je n’aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l’Europe, s’est détruite elle-même.

Mais à soixante ans passés il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d’errance. Aussi, je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde.

Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux. "

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