Un court laps de temps après le départ, Simon comprend que le train s’arrête. "J’ai entendu des coups de feu, des hurlements en allemand et des gens qui couraient le long du train. C’étaient les gardiens. Je ne voyais rien, je ne savais rien. Mais j’ai appris après la guerre que ce sont trois jeunes garçons de 25 ans qui ont arrêté le train entre Malines et Louvain, à Boortmeerbeek, en mettant sur les rails une lampe-tempête avec un papier rouge qui était un signal d’arrêt pour le machiniste."
Le train s’est arrêté. "Ils ont ouvert un wagon, pas le mien, et ont fait sortir et libérer 17 personnes." Le train est ensuite reparti et Simon est tombé endormi dans les bras de sa mère. Pendant ce temps, des hommes "encouragé par le bruit de l’attaque" essaient d’ouvrir la porte du wagon.
Sa mère le réveille, le conduit vers la porte et l’aidera à sortir. "Les derniers mots que j’ai entendus de ma mère… Je l’entends me dire 'Le train va trop vite". Elle me dit ça dans sa langue en yiddish. Mais le train a ralenti et j’ai sauté." Simon attend sa mère alors que le convoi continue à rouler lentement et puis s’arrête. Les gardes viennent dans sa direction. Simon veut rejoindre sa mère car elle ne peut plus sortir sans risquer de se faire prendre. Finalement, "j’ai couru dans les bois".
Simon va errer dans les bois toute la nuit, seul en culotte courte. Dans les ronces, la boue et sans savoir où il se trouve. "Je me demande si je suis déjà en Allemagne ou encore en Belgique." Il comprendra plus tard qu’il était dans le Limbourg.
Pour la première fois de toute la nuit, j’ai tremblé de peur
Le petit scout sait comment se débrouiller et surtout sait qu’il doit garder son histoire secrète. Arrivé dans un village, les vêtements plein de boue et quelque peu déchirés, il frappe à la porte d’une petite maison d’ouvrier. Une dame lui ouvre. "Madame, lui dit-il. J’ai joué ici avec des enfants, je me suis perdu et je dois retourner à Bruxelles chez mon père." Il est conscient que l’explication ne tient pas la route mais son interlocutrice ne veut pas en savoir plus. Elle le conduit à bicyclette dans la maison d’un gendarme.
"Quand je le vois avec son uniforme et son revolver, pour la première fois de toute la nuit, j’ai tremblé de peur. Je me disais 'celui-là va me ramener à la Gestapo." Si le gendarme n’est pas dupe et fait le lien avec le train arrêté, il ne le dénonce pas. Son épouse et lui recueillent le petit Simon, l’aident à se laver, s’habiller et l’aident à prendre le train vers Bruxelles. Il passe entre les mailles du filet des contrôles. "J’avais réussi. C’était une évasion. Un miracle." Du sang froid aussi pour un petit garçon de 11 ans.
Simon Gronowski est l’un des rares à s’être évadé de cette manière et surtout, à ne pas s’être fait arrêter par la suite. Beaucoup de ceux qui se sont enfuis ont été "pris" dans les heures, les jours qui ont suivi. "Moi, je me suis caché. Terré." C’est auprès de la famille d’un de ses amis scouts que le petit Simon trouve refuge pendant 17 mois. Il finit même par retrouver son père qui avait échappé à la rafle car hospitalisé le jour de son arrestation. Mais il n’a jamais retrouvé sa mère, ni sa sœur.
La vie est belle dans notre pays, démocratique et libre
Il lui a fallu 60 ans pour raconter son histoire en détail. "Je voulais vivre dans le présent. […] Je voulais mener une vie dont mes parents auraient été contents. Ma mère m’a sauvé la vie pour que je sois heureux". Aujourd’hui, il la raconte "pour ne pas oublier", pour l’échange avec les jeunes dans les classes, pour le travail de mémoire. "Parce que je sens que j’apporte quelque chose de positif, qu’il ne faut jamais désespérer et que je leur rappelle que, bien que ce soit un combat quotidien, la vie est belle dans notre pays, démocratique et libre."