Les Grenades

In Joanna Peczenik We Trust, lutter contre le patriarcat et le racisme sous toutes leurs formes

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Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Aujourd’hui, nous retrouvons Joanna Peczenik co-présidente de l’Union des Étudiants Juifs de Belgique. Féministe intersectionnelle, elle œuvre au décloisonnement des esprits et ouvre au dialogue.

Mardi 7 mars, le rendez-vous est donné au foyer de l’Union des Étudiants Juifs de Belgique (UEJB), à quelques pas de l’ULB. Joanna Peczenik, étudiante en troisième année d’ingénieure de gestion nous accueille. Dans le salon, quelques personnes rangent les restes de la fête de Pourim qui s’est déroulée sur le temps de midi.

Sur une table, les pancartes préparées pour le piquet de grève de l’ULB à l’occasion du 8 mars, Journée Internationale des Droits des Femmes. Entre deux évènements, dans un bureau au calme, la co-présidente de l’UEJB nous raconte son parcours.

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Se retrouver autour des valeurs de partage

"Mes parents sont belges, mais mes grands-parents sont d’origines diverses : espagnoles, tunisiennes, polonaises. Du côté maternel, nous sommes séfarades et du côté paternel, ashkénazes", introduit-elle. Curieuse de nature, son implication dans différentes activités commence dès le plus jeune âge.

Outre le sport et la musique, en secondaire déjà, elle s’engage au sein de la rédaction du journal de son école et comme déléguée. "Avec l’école, je suis partie avec Move With Africa au Sénégal pendant deux semaines. Cet échange culturel s'est révélé fondateur dans mon histoire."

Ancienne membre de la JJL (la Jeunesse Juive Laïque), en rentrant à l’ULB, elle décide pousser la porte de l’UEJB, union étudiante reconnue comme organisme de jeunesse. "C’était important pour moi de garder un attachement à la communauté juive, de me retrouver avec d’autres autour de ces valeurs de partage. Ce que j’ai directement aimé ici, c’est l'ouverture ; on essaye de ne pas entretenir un entre-soi. Par exemple, ce midi, nous avons célébré la fête de Pourim, et c’était super aussi de convier nos ami·es du campus qui ne sont pas juif·ves pour pouvoir célébrer ce moment ensemble. Au sein de l’UEJB, il y a une grande diversité des approches dans la culture : certain·es personnes sont très religieuses, d’autres comme moi, ne le sont pas, mais sont juives de tradition..."

Questionner le sexisme de l’organisation

À ses débuts, Joanna Peczenik se positionne d’abord comme observatrice : elle organise quelques repas de shabbat, s’implique ici et là. Et ce jusqu’au grand déclic... "Pendant ma première année à l’université, la pandémie est entrée dans nos vies durant le second quadri. À l’UEJB, nous venions justement d’engager un détaché pédagogique. Il nous a préparé plein de conférences en ligne autour de l’extrême droite, du racisme, de l’antisémitisme.... Le truc, c’est que durant ces visios, nous avons réalisé que les hommes prenaient beaucoup plus la parole que les femmes. L’écart était vraiment frappant."

Face à ce constat, notre interlocutrice initie un partenariat avec l’association CRIBLE dont l’objectif est de former des jeunes autour de la notion de genre et des stéréotypes de genre en abordant les thématiques d’identité, d’expression, de sexisme, d’intersectionnalité, de masculinités... "Parallèlement, j’ai lancé un groupe en non-mixité pour permettre de vrais échanges sur nos expériences de femmes. C’était fort, beaucoup de réflexions super intéressantes sont ressorties, et ce, notamment autour de la répartition de la parole, ou de la prise en charge des tâches domestiques lorsqu’on part tous·tes en weekend, ou encore de certains comportements sexistes.... Du côté des hommes, il y a eu une prise de conscience, ils ont réalisé que même dans cet espace qui se veut safe, il y avait du sexisme. Il y a aussi eu quelques résistances évidemment.... Mais le fait d’en avoir discuté en non-mixité avant nous a rendu plus fortes parce qu’il y avait un consensus et un soutien mutuel."

Le patriarcat et le racisme constituent la base des systèmes de domination. Pour renverser les choses, il est nécessaire de se rassembler

Au-delà de la question du genre, Joanna Peczenik commence à s’engager pour la lutte antiraciste et la défense des droits humains. Au fil des mois, elle se fait repérer. "Après deux ans, Sacha Guttmann qui était président m’a proposé qu’on se présente ensemble. Je trouvais que ça faisait sens pour une question de représentation, mais aussi de dialectique." Et c’est ainsi que lors des élections de juin 2021, elle devient l’une des pionnières de cette organisation qui ne compte que très peu de femmes dans l’histoire de sa présidence. 

L’antisémitisme sous silence

L’une des missions de l’UEJB est de prévenir et de contrer l’antisémitisme. En effet, une enquête réalisée en 2019 et 2020 révélait que 26 % des Belges âgé·es de 18 à 75 ans seraient modérément antisémites et 4 % le seraient fortement. "Toutes les formes de racisme comportent des spécificités et des similitudes. Le truc, c’est que la majorité des personnes juives sont considérées comme blanches, alors il peut y avoir une différence dans la manière dont les discriminations peuvent se manifester pour notre communauté."

Pour objectifier la problématique au sein du campus et mettre en lumière ces réalités silenciées, l’UEJB a rassemblé une cinquantaine d’étudiant·es juif·ves autour de ces questions. "Nous avons pris conscience de plusieurs aspects qui touchent la plupart d’entre nous. Premièrement, à partir du moment où la personne en face se rend compte de notre judaïté, ça entraine toute une série de stéréotypes et de préjugés autour de la richesse, des médias, de la connexion à Israël, de caractéristiques physiques comme le gros nez... Même sous forme de ‘blagues’, c’est assez violent. Perso, on me présente souvent comme ‘mon amie juive’, ça peut se révéler lourd. Même chose, concernant le conflit, je suis juive pas israélienne, c’est déplacé de me poser automatiquement des questions à moi, de m’en vouloir à moi."

Dès lors, pour se prémunir contre ces formes de stigmatisations, Joanna Peczenik explique que nombre de personnes juives anticipent ces stéréotypes et adaptent leur comportement pour ne pas se faire remarquer. "Depuis l’enfance, on nous apprend à être discret·es, à ne pas porter d’accessoires ostentatoires... Lorsqu’on a demandé à l’assemblée qui avait des réticences sur le campus à dire à ses ami·es qu’il ou elle était juif·ve, une personne sur deux a levé la main... C’est quand même significatif !"

 

L’importance de la convergence des luttes

Pour faire front commun contre les idées d’extrême droite, aujourd’hui, face à l’urgence, la jeunesse se rassemble. "Nous échangeons beaucoup avec la Fédération de la Jeunesse Musulmane. À la suite de la dégradation d’un slogan féministe pour en faire ressortir le signe SS, nous avons publié un communiqué commun sur la montée de l’extrême droite sur le campus fin 2022.

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Y sont dénoncés les actes racistes, islamophobes, antisémites, sexistes, antiféministes, transphobes. Les deux fédérations ont d’ailleurs rencontré ensemble la ministre de l’Enseignement supérieure Valérie Glatigny pour discuter de la question de la sensibilisation au racisme et de l’accompagnement des étudiant·es victimes de discriminations. "C’était un moment hyper important en termes de convergence des luttes. Je crois que c’est essentiel de pouvoir aborder les discriminations avec une approche intersectionnelle. L’extrême droite met toutes les minorités dans le même panier. La concurrence victimaire nous divise. Le patriarcat et le racisme constituent la base des systèmes de domination. Pour renverser les choses, il est nécessaire de se rassembler."

La relève féministe souffle un vent nouveau

Âgée de 21 ans, Joanna Peczenik s’est construite en tant que femme dans une société post #metoo. Nous la questionnons sur son regard sur les évolutions de la société. "Il y a beaucoup de choses que ma génération ne laisse plus passer. Ça bouge, mais encore trop lentement... Les étudiant·es engagé·es sont visibilisé·es dès lors, on a l’impression que c’est vraiment vaste comme phénomène, mais dans la réalité, nombre de personnes restent insensibles à ces problématiques liées au genre et au racisme. Mais soyons positives, je pense que lentement mais surement, on tend vers une prise de conscience de plus en plus généralisée...."

Comme pour nombre de jeunes femmes, c’est à travers Instagram qu’elle tire "son éducation féministe". "Par exemple, je suis Illana Weizman, la co-créatrice du hashtag #MonPostPartum. Elle est militante féministe et a écrit aussi le livre Des blancs comme les autres ? Les juifs l’angle mort de l’antiracisme. On l’invite justement à une conférence sur ce sujet le 19 mars."

Parmi les comptes à suivre, Joanna Peczenik conseille également @mecreantes, @olympereve, @sansblancderien... Nous la quittons et la laissons à ses préparatifs du 8 mars pour porter son message clair : ensemble pour mettre un terme au système de domination.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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