Les Grenades

In Kate Houben We Trust : soigner les morts, accompagner les vivants

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Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Dans cet épisode, place à Kate Houben. De graphiste à entrepreneure de pompes funèbres, elle nous conte son histoire tissée de beauté, de rituels et de profondeur à travers les sens. Son credo : "Prendre soin de l’âme du défunt, c’est avant tout prendre soin de son âme à soi".

C’est chez elle, près de Beersel, que nous la retrouvons. Dans son jardin, des rubans de couleur accrochés aux arbres, un carillon qui résonne au gré du vent. Sur son bureau, plusieurs objets symboliques autour de la mort. Qu’on se le dise, Kate Houben a le souci du détail et de l’esthétique.

Graphiste pendant plus de 20 ans, elle est depuis peu devenue entrepreneure en pompes funèbres et a créé sa structure Le Cerf Blanc. La vie dans la mort, la mort dans la vie, elle nous confie son récit…

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Est-ce possible de procéder autrement ?

Née en 1969, Kate Houben grandit à Bruxelles. Passionnée de sport, le début de son existence est marqué par l’autodiscipline, le dépassement de soi et la persévérance. Dès l’adolescence, elle se dirige vers l’enseignement artistique et s’inscrit à l’issue de ses secondaires à La Cambre en option typographie. "Je me sentais à ma place dans cet univers, comme plus en accord avec les images et les couleurs plutôt que les mots." Très vite, à la sortie de ses études, elle est engagée comme graphiste. Indépendante dans l’âme, elle finit par monter sa propre boite avec deux associées. "J’ai mené ma barque à travers ce milieu du design graphique en ayant beaucoup de travail et très peu de temps pour penser à autre chose…"

Un événement vient bouleverser sa vie. "Ma maman est décédée en 2015. Je ne suis pas croyante, et son départ a entrainé une perte de repères abyssale. J’ai été terriblement touchée par ce passage obligé que sont les pompes funèbres, c’était tellement froid et procédurier…." Au fil des mois, en plus de sa peine, une question ne finit pas de la hanter : "Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire autrement ?"

Depuis quelques années, un mouvement est en marche, moins attiré par l’appât du gain, mais en quête de gestes justes. Et cette nouvelle approche est, je l’observe, largement portée par des femmes

Plus tard, la perte de deux amis proches à un mois d’intervalle vient renforcer sa volonté de changement. "J’ai commencé par effectuer des recherches et à additionner des lectures. Je me posais une grande question : Qu’est-ce que signifie en ce début de XXIème siècle le rituel funéraire ? J’ai aussi cherché à savoir pourquoi et comment nous en étions arrivé·es à ce niveau de déshumanisation, à cette vision de la mort synonyme de froideur et de laideur ?"

Mission : redonner à l’humain toute sa présence

Elle creuse, interroge et décide finalement de passer à l’action. En 2019, âgée de 50 ans, elle s’inscrit à l’EFP pour suivre une formation spécialisée. Au cours de cet enseignement, elle passe à la pratique auprès d’une entreprise familiale. "J’ai tout appris pendant mes stages : la toilette du défunt, les soins, la logistique des transferts de la morgue au funérarium, l’accompagnement des familles, l’organisation des cérémonies, les relations interprofessionnelles, les questions administratives ainsi que les procédures…"

Durant cette formation de deux ans, dans la perspective d’ouvrir sa propre structure, elle mène des enquêtes pour analyser les attentes des familles et des proches. "Les résultats se sont traduits en quatre besoins fondamentaux : de l’humanité, de la beauté, de la nature, une liberté de rituels. Ces réponses ont confirmé mon ressenti, et j’ai fait de la beauté, à travers les sens, mon fil conducteur pour redonner à l’humain toute sa présence."

De l’importance des gestes

En 2022, après des années de maturation, elle lance son projet : le Cerf Blanc. "Je me sentais confiante, et en même temps ce saut dans le vide me faisait un peu peur. Mes premières funérailles ont été organisées pour une personne de ma famille, et puis le bouche-à-oreille a fait le reste."

Au quotidien, chaque situation, chaque histoire, chaque réalité est unique. "J’arrive assez rapidement sur place, à l’hôpital ou à la maison. Je me rends auprès de la personne décédée, je passe du temps avec la famille et les proches. Une fois qu’un·e médecin certifie le décès de la personne, je peux commencer les soins de son corps, c’est un moment très intime. J’accorde beaucoup d’importance aux gestes. Parfois, si je sens une ouverture, je propose aux proches de m’aider…. Accompagner le corps est une étape qui me semble importante dans le processus de deuil."

Ensuite, en général, au lendemain du décès, Kate Houben retrouve les proches pour poser le cadre des funérailles et signer les papiers nécessaires. "J’écoute les volontés, récolte les informations et tente de mettre en lumière les besoins. Enfin, pendant les funérailles, je reste à ma juste place, mais bien sûr, je suis toujours très touchée."

Souffle féminin sur le secteur funèbre

"Aujourd’hui, nos pas sont moins guidés par la religion, nombre d’entre nous se retrouvent face à une page blanche. Nous vivons un moment de transition, qui je le crois, est propice à de belles inventions en termes de rituels. Depuis quelques années, un mouvement est en marche, moins attiré par l’appât du gain, mais en quête de gestes justes. Et cette nouvelle approche est, je l’observe, largement portée par des femmes."

Pour comprendre ce renouveau, il importe de regarder en arrière. On a tendance à loublier, mais autrefois, c’étaient les femmes qui soccupaient, prodiguaient le soin aux défunt·es. La professionnalisation du secteur les a écartées de ce métier pour le transformer en bastion masculin. Nombre de pompes funèbres ont été (et restent) des entreprises familiales où la succession a été majoritairement assurée par le fils.

"On parle aussi dun métier très physique, car les cercueils et les corps sont très lourds à déplacer, mais aussi très dur moralement, puisque lon est sans cesse confronté à la tristesse et au malheur des gens. […] Aujourdhui, les choses changent et les femmes investissent les métiers du funéraire. Attention toutefois à ne pas renverser les stéréotypes, puisquon avance aujourdhui des qualités dites féminines, en adéquation avec les exigences du secteur, comme la capacité d’écoute et dempathie quapprécient les familles des défunts. Finalement, on pourrait rapprocher les métiers du funéraire des métiers du care, cest-à-dire les métiers de soin et de sollicitude, au même titre quinfirmière ou sage-femme qui sont encore très majoritairement exercés par des femmes", écrit notre consœur Clara Brelot d’Amari.

Des objets pour consoler les vivant·es

Ancrée dans ce renouveau des métiers de la mort, Kate Houben développe en parallèle de ses accompagnements toute une approche autour de ce qu’elle appelle "les objets de consolation".

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"Par exemple, lors de la première rencontre, j’offre un mouchoir. S’il fait référence au mouchoir de deuil du 19e siècle, pour moi il fait surtout office de doudou ; le tissu passe par le toucher, il reste dans la poche, à proximité pour réconforter si besoin. Aussi, à la fin des funérailles, je remets aux proches une boite. Celle-ci contient les papiers administratifs nécessaires, mais aussi une broche. Aujourd’hui, on ne s’habille plus de noir, nous ne portons plus de signe extérieur de deuil pour communiquer à toute personne que quelque chose a changé… J’essaye à travers cette broche de réintégrer cette symbolique."

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Elle propose également un autel du souvenir conçu pour y déposer de petits objets à la mémoire de la personne décédée, ou un carillon à vent pour se connecter aux défunt·es au gré des vibrations… Autant dobjets qui peuvent réconforter et adoucir la douleur de la séparation.

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"Le deuil nous métamorphose et fait partie de nous jusqu’au bout de notre vie. Prendre soin de l’âme du défunt, c’est avant tout prendre soin de son âme à soi. Mon rêve serait douvrir un lieu de recueillement pour que les familles et les proches puissent se retrouver auprès du corps le temps nécessaire, ça demande des investissements financiers énormes, mais jy crois…. Et ensuite, ce sera à mon tour de léguer ce projet aux générations futures…"


La série In… We Trust (Nous croyons en…)


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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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