Les Grenades

In Laura De Pauw We Trust, "en tant que femme mécano, je dois constamment prouver ma légitimité"

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Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Aujourd’hui, Laura De Pauw nous raconte son parcours de combattante pour faire sa place dans un monde particulièrement masculin : la mécanique automobile.

Direction Grimbergen : nous retrouvons notre interlocutrice sur son lieu de travail, Bogemans Automotive. Dans l’atelier de ce concessionnaire, une quinzaine de mécanos s’affairent. Parmi eux une femme : Laura De Pauw. Sa présence fait figure d’exception, puisqu’en Belgique, selon Statbel, 99,2% des mécanicien·nes de véhicules à moteur sont des hommes.

La garagiste nous fait la visite ; elle, son truc, ce sont les camionnettes. Chaque pont élévateur est composé de 4 colonnes. Au plafond pendent les tuyaux d’eau, d’huiles ou de liquide refroidissement. Sur le côté, on retrouve son chariot sur lequel sont installés ses outils. Elle nous prévient : les lieux sont encore un peu nouveaux pour elle...

La jeune femme vient d’y signer un CDI après trois mois d’essai ; une étape importante dans son parcours mouvementé. Pendant des années, elle a dû redoubler d’énergie pour obtenir la confiance de ses pairs. Ensemble, nous remontons le fil...

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Les galères de l’apprentissage

"Petite, j’aimais déjà les voitures. J’ai grandi avec trois grands frères. Aussi, j’ai adoré le film Fast and Furious", introduit-t-elle en riant. Adolescente, elle rencontre un garçon ; ce premier compagnon est alors en apprentissage mécanique. Elle entre dans un monde qui jusque-là lui était inconnu... "Il avait une voiture qu’il retapait, j’ai commencé à m’en occuper avec lui. J’ai réalisé que jaimais ça !" Elle envisage cette option de carrière avec ses parents. "Ça a été un peu un choc, mais j’ai eu la chance qu’ils soient derrière moi."

À 16 ans, elle quitte son école d’enseignement général et s’inscrit dans une formation de trois ans en alternance. En première année, elle est alors la seule fille sur une classe de 25 personnes. "J’ai cherché un garage, on avait trois mois pour signer un contrat. Ça a été très difficile de trouver un patron qui voulait bien de moi. Ils me donnaient des excuses typiques ‘on ne prend pas d’apprentis’, ‘on n’a pas de place’. Un jour, je suis tombée sur un ouvrier qui me disait que son garage était à la recherche de quelqu’un. La semaine suivante, le patron m'a annoncé qu'il ne cherchait personne ! Le discours avait changé d’une semaine à l’autre et je me suis bien rendu compte que c’était parce que j’étais une femme."

Pendant ce temps, tous ses collègues de classe, eux, décrochent un contrat et mènent leur apprentissage. "C’était très frustrant : comme je ne trouvais pas de patron, je ne pouvais pas suivre les cours." Bloquée dès le départ en raison de son genre, Laure De Pauw se redirige vers l’enseignement général.

Cependant, c’est en mécanique qu’elle se projette, c’est cette matière qu’elle veut étudier. Finalement, en mars, elle est engagée dans une usine de voitures. "Je suis restée un an là-bas, mais j’ai fini par avoir des soucis ; certaines personnes de l’équipe me percevaient comme celle qui doit nettoyer derrière eux. J’avais 16 ans, c’était mon premier travail, je n’ai pas osé dire que ça n’allait pas à mes parents."

Les tâches qu’on lui propose alors sont inintéressantes, elle n’apprend pas correctement. Son contrat est arrêté, mais elle passe au niveau supérieur grâce à ses bonnes notes en théorie.

Le discours avait changé d’une semaine à l’autre et je me suis bien rendu compte que c’était parce que j’étais une femme

Des machos ou des frères

En deuxième année, de 25 élèves, la classe se réduit à 10 personnes. "C’était mieux parce qu’avant certains se moquaient de moi, du coup au début je suis restée très fermée. Quand le groupe s’est rétréci, on est devenu une bande d’amis. Dans ce milieu, tu tombes soit sur des machos et ça ne va pas du tout, soit sur des personnes qui deviennent tes frères. C’est tout ou rien."

Nouvelle année, nouveaux challenges. Elle trouve un autre patron, mais les problèmes de confiance persistent ; on continue de lui mettre des bâtons dans les roues en ne lui proposant aucune fonction intéressante. "Je passais mon temps à faire des petites retouches."

À ce moment-là, elle apprend que son père est malade. Tant au niveau personnel que professionnel, les difficultés s’accumulent. "Je ne savais plus où j’en étais, ni, si je voulais poursuivre dans la mécanique. J’ai mis fin à mon contrat en février." À nouveau, elle passe son année grâce à la théorie. "Je me suis donné l’été pour réfléchir. J’avais envie de reprendre malgré tout et mon père m’a un peu poussée à persévérer. Ce n’était pas facile, mais j’ai décidé de continuer."

En troisième, elle entre dans un garage où on lui donne enfin sa chance. "C’est seulement durant ma dernière année que jai véritablement commencé à apprendre. Ils m’ont vraiment permis d’évoluer, je les garde en mémoire comme mes deux parrains."

Son apprentissage terminé, une fois son diplôme en poche, elle trouve un emploi chez un concessionnaire où elle reste six ans.

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Apprendre à s’affirmer

"À cause de toutes ces expériences, j’ai dû affirmer mon caractère. À la base je suis très introvertie et timide, taper du poing, ce n’était pas mon truc, mais au fil du temps j’ai appris."

Qui des client·es ? "C’est au garage de Boitsfort que j’ai eu le plus de problèmes parce que c’était en même temps une station-service. On proposait aux clients de faire leur plein, de gonfler leurs pneus. Autant il y avait des personnes admiratives de voir une femme, autant d’autres doutaient de mes connaissances, et ce, rien que pour gonfler des pneus ! Face à eux, j’avais parfois du mal à garder mon sang-froid", souffle-t-elle. Heureusement, les mentalités évoluent. "Les jeunes sont étonnés, mais font moins de remarques."

Si j’avais eu plus d’exemples de femmes mécanos, ça aurait pu me motiver dans les années compliquées

Depuis quelques mois donc, c’est dans l’atelier de Grimbergen que la garagiste officie au sein de l’équipe chargée des camionnettes. "Je me sens bien avec ces véhicules. Je ne suis pas limitée à une tâche, je touche à tout et c’est super pour apprendre. Aussi, le monde automobile évolue énormément, aujourd’hui il y a beaucoup plus d’électricité. Le métier devient de plus en plus technique."

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Faire ce qu’on veut

La jeune femme de 26 ans est maman de deux enfants. Son conjoint est également mécanicien ; elle l’a rencontré à travers son emploi précédent. "Le weekend, quand on chipote aux voitures dans notre garage, ma fille de trois ans met sa petite combinaison et vient nous aider. C’est chouette de savoir que plus tard, elle pourra choisir le métier qu’elle voudra, peu importe son genre."

Quand on lui demande ce qu’elle dirait aux jeunes filles qui désirent se lancer en mécanique, sa réponse est sans attente : "Ne craignez pas les moqueries et les personnes qui se positionnent contre nous en nous disant que ce n’est pas notre place. Il faut oser et surtout avoir confiance en soi." Les représentations et les rôles modèles sont déterminants pour déconstruire les stéréotypes. "Si j’avais eu plus d’exemples de femmes mécanos, ça aurait pu me motiver dans les années compliquées."

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Aujourd’hui, le rôle-modèle, cest elle, Laura De Pauw prend la parole par engagement. "J’ai été contactée plusieurs fois par une ASBL qui m’a invité à parler de mon parcours dans les classes de début de secondaire, et ce pour ouvrir les horizons des jeunes. C’était chouette."

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Il est l’heure pour elle de retourner à ses outils. À côté du pont élévateur où elle vient de garer une camionnette dont elle s’apprête à faire l’entretien, son collègue s’exclame : "Je suis dans le milieu depuis quatorze ans et jusqu’ici, jamais je n’avais vu de femme en mécanique. Elle est très douée." En l’entendant, Laura De Pauw sourit avant de remettre ses mains dans le cambouis !

En espérant que sa force de volonté change la donne, et ce chiffre de 0,8% de femmes dans la mécanique de véhicules à moteur...


Dans la série In… We Trust (Nous croyons en) :


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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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