"Je suis née en 1930 à Soignies. Je suis l’ainée de 8 enfants. Mon père était médecin. Après Soignies, nous avons déménagé dans un village, à Neufvilles. J’étais une petite fille qui aimait lire et jouer dans le jardin", dit-elle de sa voix douce. En 1942, en pleine guerre, elle part étudier dans une pension pour jeunes filles. En 1944, l’école ferme, les enfants sont renvoyées chez elles. Elle suit alors des cours de français et de mathématique avec des religieux installés au village à la suite de la réquisition de leur bâtiment par l’Occupant.
"Avec eux, j’ai découvert les plaisirs de l’algèbre. Il n’y a pas d’incompatibilité à aimer les maths et les livres." Elle termine ses humanités et se dirige vers une licence en mathématiques. C’était sans compter les obstacles… "Mon père m’a dit : ‘tu as des frères’. Sous-entendu, il trouvait que dépenser de l’argent pour les études d’une fille n’était pas la priorité… Il m’a ‘proposé’d’aller suivre des cours de secrétariat. Ce qui m’a le plus marquée, c’est que ma mère qui se disait féministe ne m’a pas défendue…"
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Sans conviction, et avec un sentiment d’injustice, la jeune femme entre à l’Ecole Supérieure de Secrétariat. À 20 ans, elle commence à travailler. Entre-temps, pour s’évader de son village, à partir de 1946, elle se rend aux plaines de jeux du Borinage où elle œuvre comme monitrice. Elle loge alors chez une famille du coin. "Il y avait la grand-mère et ses quatre filles célibataires dans une partie de la maison. De l’autre côté, la cinquième fille mariée, son conjoint et leurs quatre enfants dont trois garçons." L’aîné de cette fratrie, Jean, deviendra son compagnon. "Nous nous sommes fréquenté·es en cachette, mais à chaque fois qu’on allait quelque part, on rencontrait des gens qu’on connaissait, donc on a officialisé la relation." L’union est célébrée en 1956. Plus tard, Jean devient magistrat, Marie-Claire Desmette doit quitter son travail. "Une femme de magistrat ne pouvait pas travailler comme employée pour des questions d’indépendance. C’était comme ça à l’époque."
Rappelons que les femmes peuvent voter en Belgique seulement depuis 1948. Marie-Claire Desmette avait alors pile 18 ans. Et il fallut attendre 1976 et la réforme des régimes matrimoniaux pour que la suppression de la puissance maritale soit effective. "Avant ça, je ne pouvais pas voyager avec mes enfants sans autorisation. Une autorisation du mari était aussi nécessaire pour acheter une voiture ou ouvrir un compte en banque. Aussi, aux yeux de l’administration, j’étais ‘femme à charge’, ce n’est pas drôle comme intitulé."