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In Maroua Sebahi We Trust, le foot pour décloisonner

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Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Maroua Sebahi est joueuse de futsal, enseignante d’éducation physique, mère de trois enfants et coach de foot. Son combat à travers ses engagements : la promotion d’une société plus inclusive.

Nous retrouvons notre interlocutrice du jour à Saint-Gilles, dans les locaux de l’asbl Déclik qui lutte contre le décrochage scolaire. Maroua Sebahi, 34 ans y est bénévole. Active sur tous les fronts, elle revient pour nous sur son parcours.

Le foot, de la rue à la salle

C’est dans le quartier de la place de Bethléem qu’elle grandit avec ses quatre frères et sœurs. Très vite, elle suit ses aînés aux matchs informels qui se déroulent dans les rues aux alentours. À 8 ans, elle commence déjà à faire dribler le ballon. Alors qu’elle est la seule joueuse dans cet univers masculin, rien ne l’arrête ; le foot est sa passion.

En secondaire, vers 16 ans, elle connait un passage difficile et vit un grand sentiment d’injustice vis-à-vis de certain·es enseignant·es. Au bord du décrochage scolaire, un instructeur d’éducation physique la rattrape. Il l’encourage, croit en elle, en ses capacités. Elle décide de poursuivre sa carrière dans le sport.

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À 20 ans, en plein cursus pour devenir enseignante en éducation physique, un de ses professeurs la repère et lui propose de rejoindre l’équipe féminine de futsal amateur qu’il coache à Uccle. Le principe : du football en salle, cinq contre cinq. "Je n’avais jamais joué dans une structure, je ne connaissais que le foot de rue. Et là, j’ai eu le déclic. Je jouais enfin avec des filles, contre des filles, c’était super. Contrairement à moi, elles avaient évolué dans des clubs auparavant. Aussi, j’étais la seule Maghrébine du groupe, mais on a eu une belle cohésion d’équipe."

Après Uccle, elle rejoint le projet d’un coach du RWD Molenbeek. "Il voulait créer une équipe nationale marocaine de filles venant de Belgique, de Hollande, de France... On a organisé un match de Gala au Palais du Midi avec une équipe de Brésiliennes de Laeken. Elles étaient au top du championnat provincial, on les a battues 3-0. C’était incroyable. Mais surtout, c’était très réconfortant de se retrouver entre filles ayant toujours joué dans la rue. Nous avions un espace safe."

Incompréhension et discrimination

Avec les joueuses de l’équipe marocaine, elle s’engage à travers l’asbl Déclik dans des projets d’aide humanitaire au Maroc en lien avec le soutien scolaire. "On a décidé de créer notre propre structure de foot féminin : FC Déclik. On a été championnes du Brabant, on a joué la Coupe de Belgique et on est arrivées finalistes dans un tournoi international à Nantes. C’était fort ! Mais petit à petit l’équipe s’est dispersée, chacune a continué son chemin."

Pour elle qui a "des ballons de foot dans les veines", pas question d’arrêter. Elle rejoint le club du RWD Molenbeek. Entre-temps, elle fait le choix de porter le turban et lors du premier match, c’est l’incompréhension. "Une autre jeune fille portait le turban et l’arbitre a refusé d’arbitrer le match pour cause de tenue non réglementaire. Moi, j’avais envie d’un loisir, de m’amuser et la seule chose qui me faisait vibrer, c’était le foot et là on m’en empêchait. C’est la première fois que je vivais une véritable discrimination."

En 2018, elle retrouve la motivation et s’inscrit dans un autre club : le LART Bruxelles. "Nous étions trois à porter le turban dans l’équipe. Le premier match, pas de remarque... Et puis après quelques matchs, à nouveau, un arbitre a refusé de nous arbitrer."

Malgré les commérages, ma mère répétait ‘ma fille, elle fait ce qu’elle veut’

"La commission d'arbitrage s'est en fait basée sur le règlement de la ligue qui précise que l'équipement d'un joueur se compose exclusivement d'un maillot, d'une culotte courte, de bas de sport et de chaussures. Mais pour le club, le voile n'est pas explicitement interdit par ce même règlement", écrit alors notre consœur de la RTBF, tandis que les médias se saisissent de l’affaire.

"J'ai décidé de me battre pour les suivantes"

Cette fois, Maroua Sebahi a la volonté de ne plus laisser passer. "Moi, j’avais déjà trente ans, mais en voyant les autres jeunes filles, je me suis dit qu’on devait agir. J'ai décidé de me battre pour les suivantes", confie-t-elle très émue en se remémorant les événements.

La sportive prend contact avec la ligue. "J’entendais des propos comme ‘une jeune fille qui joue avec son voile est soumise, on doit la libérer.’ Mais enfin, si je veux me sentir libre avec mon turban, laissez-moi !"

En parallèle, elle participe au projet "Israël-Palestine : pour mieux comprendre" organisé par Simone Susskind. "J’y ai rencontré, Patrick Charlier, co-directeur de Unia, le Centre contre les discriminations. On a discuté, je lui ai dit que les filles voilées ne pouvaient pas jouer au mini foot, il m’a répondu qu’il allait voir ce qu’il pouvait faire."

En aout 2019, elle reçoit un mail qui lui annonce la grande nouvelle : le règlement est modifié. Désormais, les joueuses peuvent porter leur turban. "Je me sentais si heureuse, on avait réussi !" Ce nouveau règlement entre en vigueur au début de la saison 2019-2020.

Quand une petite me dit qu’elle veut devenir coach de foot, c’est une fierté

Maroua Sebahi est par ailleurs membre du collectif les 100 diplômées, qui lutte contre l'interdiction du port du foulard dans l'enseignement supérieur et met des rôles modèles de femmes voilées en avant via les réseaux sociaux. Ce 13 mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, elles organisent d’ailleurs une marche adeps pour promouvoir l’inclusion.

"Rien n’est impossible, voilées ou pas"

Joueuse de futsal durant ses temps libres... Mais surtout enseignante d’éducation physique au quotidien : après un parcours dans les écoles de la ville de Bruxelles, en 2016, elle rejoint le réseau des écoles de confession musulmane. "J’ai envie rappeler à ces jeunes filles que rien n’est impossible, qu’elles soient voilées ou pas. Souvent, je leur parle de l'importance d’aller au bout de leurs idées, non seulement pour elle-même, mais aussi pour les autres, celles qui les suivent." Elle explique jouer un grand rôle auprès de ses élèves. "Premièrement je viens avec ma bonne humeur pour leur partager l’amour du sport, de plus, à travers mon parcours, elles peuvent se projeter.’"

Contrairement à ce qu’elle a connu en secondaire, l’enseignante se donne comme mot d’ordre de maintenir le dialogue quoi qu’il arrive. À travers ses cours, elle cherche à décloisonner, à emmener les jeunes filles dans d’autres univers ; que ce soit dans une ferme équestre ou à la patinoire. Mais aussi, elle les encourage à rejoindre des structures sportives pour pourquoi pas se découvrir une passion... "De plus en plus de clubs féminins ouvrent leurs portes, de nombreuses femmes prennent l’initiative de créer leurs propres structures."

Rappelons qu’en Belgique, une fille sur huit (13 %) âgés de 11 à 18 ans satisfait aux recommandations de l'OMS qui préconisent de consacrer quotidiennement au moins 60 minutes à une activité physique d'intensité modérée à vigoureuse, contre un garçon sur cinq (20 %).

Un grand besoin de coachs femmes

Vraiment inépuisable, en plus d’être prof, maman, joueuse de futsal, bénévole dans le monde associatif, constamment en formation (elle vient de terminer un master en Sciences de l’Éducation et se certifie à présent comme coach de foot), elle est également entraineuse au club Renaissance Sportive Forestoise.

"J’ai créé la section féminine. Pour la première saison, une dizaine de filles étaient inscrites, cette année une vingtaine, j’espère qu’après, on sera une trentaine, une quarantaine." Pour elle qui tout au long de son parcours, n’a connu que des entraineurs ; c’est important de renverser la tendance. "J’ai ce besoin d’être un exemple pour ces jeunes filles et de savoir qu’elles pourront apporter des choses à d’autres. Quand une petite me dit qu’elle veut devenir coach de foot, c’est une fierté." La sportive ne se contente pas des entrainements classiques, elle propose également des activités diverses, des sorties, mais systématiquement en lien avec l’inclusion ou le décloisonnement.

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Nous lui demandons d’où elle tient sa force intérieure. Notre question suscite beaucoup d’émotions. Les yeux brillants, elle répond : "De ma mère, elle s’est toujours battue. Mon père était très aimant. Pendant dix ans, ils n’ont pas pu avoir d’enfants. Mais à cette époque, il y avait encore plus de pression sociale qu’aujourd’hui. Ils se sont préservés des ragots. Par miracle dix ans plus tard, elle est tombée enceinte et finalement elle a eu cinq enfants. Elle s’est beaucoup occupée de nous." Elle continue : "Je m’habillais comme un garçon, je restais dehors comme un garçon, je jouais au foot comme un garçon. Malgré les commérages, ma mère répétait ‘ma fille, elle fait ce qu’elle veut."

Avant de conclure cet entretien, elle confie : "Quand j’étais jeune, j'aspirais à devenir avocate. J’ai toujours voulu combattre les injustices. Aujourd’hui, c’est ce que je fais, non pas dans la revendication, mais dans l’action. Je crois que c’est important d’être engagée. Ce que j’inculque à mes élèves, aux joueuses et à mes enfants, c’est l’ouverture, l’ouverture coûte que coûte."

Il est bientôt 17h, voici venu le temps de l’entrainement au club de Forest. Un bref passage au terrain qui juxtapose la place de Bethléem pour un petit drible et une photo souvenir et c’est reparti pour sa vie effrénée remplie de sens...

Balance ton sport, les langues se délient - Les Grenades, série d'Eté

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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