Les Grenades

In Maud Van den Brande We Trust, "C’est important de donner beaucoup de douceur"

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Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Aujourd’hui, place à Maud Van den Brande qui a passé sa carrière à prendre soin des personnes âgées.

Le rendez-vous est fixé au Parvis de Saint-Gilles. Maud Van den Brande, 67 ans, débarque en scooter. Derrière ses grandes lunettes, des yeux lumineux ; sous son masque, un large sourire. Elle nous offre une généreuse accolade.

Dès le premier regard, le ton est donné : cette aprèm, on célèbrera la chaleur humaine. Toutes les deux, nous nous blottissons dans un restaurant. Autour d’une bonne soupe, Maud Van den Brande commence son récit, celui de son moteur intérieur, de sa capacité à prendre soin des autres, et en particulier des aîné·es.

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De quelques visites au lancement d’une carrière

"J’étais étudiante au Lycée Berkendael. Entre les cours, on allait boire des coups dans les bistrots du quartier, c’était très chouette, mais un jour, à 16 ans, je me suis dit ‘c’est quand même du temps perdu ! Je passais souvent devant une maison de repos, je suis allée sonner pour demander s’il n’y avait pas une personne sans famille à qui je pourrais rendre visite..." Ce jour-là, on lui répond par l’affirmative et c’est ainsi que tout commence.

Au fil de ses allers et venues auprès des pensionnaires, elle se fait repérer. La directrice des lieux lui propose un job étudiant pendant les vacances. "C’était mon premier boulot et j’ai beaucoup aimé. J'adorais les personnes âgées, je les trouvais belles. J’ai pris l’habitude de chercher un job dans une maison de repos pendant les congés. Un jour, je suis arrivée dans un lieu qui me plaisait énormément, je travaillais pendant les vacances et j’ai continué pendant toute l’année scolaire à rendre des services."


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La jeune fille tombe alors amoureuse de la patronne. "Je n’osais rien dire parce qu’à l’époque, l’homosexualité, surtout entre femmes, c’était motus et bouche cousue. On ne voyait jamais de lesbiennes, je n’avais pas de référence, je me sentais seule au monde."

La vie avance, elle se lance dans un régendat littéraire tout en travaillant dans cette maison de repos. "Un jour, j’ai appris que cette patronne dont j’étais amoureuse était lesbienne. J’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai déclaré ma flamme. Elle m’a dit ‘je ne t’aime pas, mais je t’aime bien, si tu veux si tu peux rester.’ Je suis restée, elle m’a appris le métier d’infirmière et j’ai abandonné mes études pour travailler."

"Pour moi prendre soin, c’est quelque chose de naturel"

Pendant plusieurs années, elle œuvre dans toute une série d’endroits en intérim et continue d’apprendre sur le tas. "Un beau jour, je suis tombée sur une maison de repos dans laquelle je suis restée 27 ans !" Pour des raisons administratives et afin d’assurer ses droits, à la fin de la vingtaine, elle se lance en parallèle de son emploi dans des études en soins infirmiers. "Moi ce qui m’intéresse, c’est le contact humain, pas le côté médical. Bien-sûr, c’est important aussi, mais c’est un reproche que je fais ; maintenant les maisons de repos sont beaucoup trop médicalisées. On oublie que les gens sont là pour vivre, qu’ils ne sont pas nécessairement malades."

À près de 50 ans, elle quitte ce lieu et entre dans une autre maison où elle restera quinze ans. Durant sa longue carrière, elle consolide un réseau de familles. Pensionnée depuis deux ans, il lui arrive d’accompagner des personnes quand le besoin se fait sentir. "Pour moi prendre soin, c’est quelque chose de naturel, c’est une vocation, même si le mot est un peu bateau. Petite, j’aimais déjà prendre soin, sauver."

En Belgique, 8,5% de la population âgée de 65 ans et plus vit en structure de soins résidentielle (maison de repos et de soins, résidence pour personnes âgées). "Il n’y a pas assez d’alternatives aux maisons de repos. Il faudrait plus d’habitats groupés, de logements intergénérationnels pour que ces gens puissent mieux prendre part dans la société."

Elle ajoute : "Par rapport aux maisons de repos, il y a deux solutions : on y va quand on est encore très bien et on décide de s’installer là comme si on allait à l’hôtel. Dès lors, on peut créer des liens à l’intérieur de cette maison avec le personnel et les résident·es et donc, le jour où on tombe malade, on souffre moins parce quon a des liens. Ou bien, on attend la dernière minute, mais alors c’est trop tard pour créer tout ça."

On oublie que les gens sont là pour vivre, qu’ils ne sont pas nécessairement malades

Nous lui demandons si un jour, elle aurait envie d’aller en maison de repos. "Personne n’a envie ! Mais fatalement, si j’ai la chance de vieillir, il y a un jour où je devrai me poser la question... Mais si je peux vivre d’une autre manière, ce serait plus chouette."

"C’est un travail qu’il faut faire parce qu’on l’aime"

Le personnel des maisons de repos compte encore une très grande majorité de femmes. "Mais il y a déjà plus d’hommes qu’avant, ça évolue !", s’exclame Maud Van den Brande. Ce qu’elle dénonce, ce sont les conditions de travail. "Il faut que les gens soient bien payés, mais surtout que les conditions de travail soient correctes, parce que ce n’est pas l’argent qui fait tout. Il faut assez de personnel, il faut que la personne puisse s’investir et trouver le temps de s’occuper humainement des patient·es. Tu peux rentrer chez toi épuisée, si tu as eu le temps d’échanger, d’avoir des relations humaines, tu seras nourrie."

Depuis deux ans, elle participe à des présentations organisées par la mission locale de Saint-Gilles à destination des futurs aides-soignantes et aides-soignants. "Je leur dis toujours : ‘quand vous commencez vos études, voyez si vous aimez ça, si oui, foncez, si pas, ne faites surtout pas ce métier, vous serez épuisées et vous ne serez pas heureuses. Ce n’est pas un travail qu’on prend parce qu’il y a des débouchés. C’est un travail qu’il faut faire parce qu’on laime.’" Pour elle, c’est clair, ce métier, on le fait avec amour ou on ne le fait pas. Elle conseille aussi aux jeunes générations de se syndiquer. "C’est très important de pouvoir réclamer ses droits et de pouvoir s’affirmer. Certaines maisons de repos sont des machines d’exploitation."

Prendre de la distance

Parmi les multiples difficultés de la profession, il y a la mort. "Il m’a fallu du temps pour devenir raisonnable dans mon rapport à la mort. Les premières années, quand je perdais quelqu’un que j’aimais bien, je pouvais pleurer trois semaines. Au fil du temps, j’ai accepté la perte. Je suis toujours triste bien sûr, mais j’ai beaucoup de photos de personnes chez moi que j’ai soignées. Ça me réchauffe le cœur de voir leurs visages."

Maud Van den Brande a pris sa retraite peu de temps avant la pandémie. "J’ai été très choquée par la situation, j’étais en lien avec mes collègues. C’était l’horreur, mais je me protégeais. La fragilité de la vie, ça me touche trop, j’essaie de me blinder.


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Dans les maisons de repos, la crise sanitaire a été particulièrement horrible. Plus que jamais, les personnes âgées ont été isolées. "Elles [les épreuves du confinement et les restrictions de libertés, NDLR] ont renforcé des situations d’isolement qui préexistaient et mis sur le devant de la scène la “mort sociale” des résidents. (...) Cette crise a mis en lumière d’autres obstacles structurels majeurs auxquels les MR/S font face depuis longtemps : financement insuffisant, manque de coordination entre le secteur de la santé et le secteur des soins de longue durée, reconnaissance insuffisante accordée au personnel réalisant ces soins, etc. ", rapporte Unia dans une étude.

Écouter et soulager

À travers, ces cinquante années passées auprès des personnes âgées, notre interlocutrice en a entendues des histoires, et ce particulièrement à la maison de retraite israélite... "Les récits des rescapé·es de lholocauste étaient horribles. J’ai rencontré des personnes extraordinaires. Là-bas, il y avait beaucoup de gens considérés comme apatrides et des personnes de tous les pays."


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Pour elle, l’écoute est au cœur du métier. "Les gens se racontent au personnel soignant, il faut du temps pour les écouter. Mais aujourd’hui, il n’y a pas le temps, il faut courir-courir-courir pour exécuter les tâches. La maison de repos est la dernière maison, c’est pour ça que c’est important d’accompagner les gens avec douceur et amour. Une personne qui va mourir, il faut pouvoir s’assoir à côté d’elle, lui chanter une petite chanson, lui faire un petit bisou. C’est important de donner beaucoup de douceur."

De ces années en institutions, elle garde également de belles amitiés, aussi bien parmi ses collègues que les patient·es. 

C’est un travail qu’il faut faire parce qu’on laime

© Maud et Regina

Avant de nous quitter et de repartir en scooter, elle confie : "J’adore le film Harold et Maude (un film sorti en 1971). Je me suis toujours dit que si en vieillissant je pouvais devenir joyeuse et libre comme Maude ce serait génial !"

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Dans la série In... We Trust (Nous croyons en) :


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