Les Grenades

In Paula Yunes We Trust, brasseuse et fière de l’être

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Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Aujourd’hui, nous poussons la porte de la brasserie Atrium à Marche-en-Famenne pour découvrir le récit de la brasseuse Paula Yunes. Du Brésil à la Belgique, elle nous conte son histoire de boissons houblonnées et de déconstruction de stéréotypes genrés…

9, rue des Brasseurs, Marche-en-Famenne : bienvenue à la Brasserie Atrium. Dès l’entrée, le bar, suivi du couloir qui mène à la zone de production. Des cuves, des fermenteurs, des tuyaux, une embouteilleuse, des sacs de malt, des caisses de bières… Une petite équipe saffaire.

Ici, la co-maitre des lieux cest Paula Yunes. Entre deux brassins, pour Les Grenades, la zythologue de 36 ans revient sur son parcours….

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Le goût de la bière

"Je suis née à São Paulo au Brésil. J’y ai habité jusqu’à mes 12 ans. C’est une mégapole où il y a beaucoup de trafic, c’était stressant. Avec mes parents, nous avons ensuite déménagé dans une ville plus petite." Étudiante en marketing, cest pendant les fêtes universitaires quelle se familiarise au plaisir de la mousse. "Le Brésil est le troisième pays en termes de production brassicole. C’est normal de boire de la pils là-bas ; quant au mouvement artisanal, il a commencé il y a une vingtaine d’années…"

À la sortie de ses études, après deux ans au service marketing d’une multinationale de l’agroalimentaire, elle rejoint l’un de ses amis qui lance alors un site de vente en ligne de bières artisanales. "Il a financé mon cours de zythologie pour que je comprenne mieux les types de boissons. À travers les cours, j’ai appris comment les goûter, j’ai découvert les différentes caractéristiques… La professeure était la première zythologue au Brésil ! C’était super que l’enseignement soit promulgué par une femme."

Pour Paula Yunes, cette plongée dans le milieu brassicole se révèle un véritable coup de cœur. "C’était passionnant, directement je me suis dit que plus jamais je ne pourrais travailler dans un autre domaine !"

À l’horizon, la Belgique

Après cette expérience dans la vente en ligne, elle commence à collaborer avec un importateur de bières étrangères dont nombre de Belges. "J’étais commerciale, notre portfolio comptait de super produits notamment de la brasserie Cantillon, Fantôme, Drie Fonteinen, Struise…"

Pour sa société, elle engage plusieurs personnes, dont un Belge installé au Brésil : Valéry De Breucker. Très vite entre les deux zythophiles démarre une histoire d’amour houblonnée. En 2015, avec son compagnon et un ami, elle crée un concept de voyages autour de la bière. "On a organisé un premier séjour en Belgique. Nous sommes resté·es un mois ici ; nous avons visité plein de brasseries, de bars, c’était très chouette ! Au moment de retourner chez moi, j’ai pleuré, je ne voulais pas partir…"

En 2015, le Brésil est traversé par une crise politique et économique. La société dans laquelle Paula Yunes travaille alors fait faillite. Valéry, son compagnon se retrouve lui aussi sans emploi. Il frappe à différentes portes et en Belgique, la brasserie Fantôme située à Soy lui propose un contrat. Nouveau départ pour le couple qui déménage en 2016 et s’installe à Marche-en-Famenne, rue des Brasseurs (ça ne s’invente pas !). "Nous ne pensions rester que deux ans en Belgique et ensuite rentrer au Brésil pour ouvrir une brasserie." Le destin en décidera autrement…

Le début de la grande aventure

En arrivant, Paula Yunes apprend le français et vit de petits boulots ici et là. Rapidement, elle se lance dans une formation en microbrasserie organisée à l’IFAPME tout en travaillant comme stagiaire dans une brasserie de la région liégeoise. "Avec Valéry, notre idée était de produire des bières créatives tout en proposant une salle de dégustation. Nous nous sommes vite rendu compte qu’à Marche-en-Famenne, il n’y avait pas de brasserie… Alors pourquoi ne pas monter notre projet ici ? Nous en avons discuté avec l’agence de développement local qui nous a encouragé·es et nous a parlé d’un ancien atelier de boulangerie de 300 mètres carrés vide et à louer."

Un entrepôt situé justement rue des Brasseurs, à quelques pas de leur appartement ! Pour le couple, tout s’aligne ; armé·es d’un business plan bien ficelé, les deux parviennent à convaincre les investisseurs publics et privés. Début 2018, la création de leur société est signée, mais tout est encore à organiser… "Au début, je stressais énormément, les travaux ont pris beaucoup de retard. Aussi par souci d’économies, nous avons beaucoup construit nous-mêmes. Ça a été très dur, très lourd, mais je suis devenue une pro du chantier", sourit-elle.

Houblon et résilience

Après des mois de labeur, la brasserie ouvre ses portes début décembre 2018. "La première année, on courait partout : la production la semaine, la gestion du bar le weekend. Ensuite, la pandémie nous a imposé un gros coup." Leurs bières étant largement destinées à l’horeca, la fermeture des bars et restaurants entraine alors une chute des ventes. "Très vite, on a créé un webshop pour pallier le manque à gagner. Nous réalisions les livraisons nous-mêmes, c’était super chouette de pouvoir rencontrer les client·es pendant cette période étrange d’isolement…"

L’année 2022 apporte elle aussi son lot de mauvaises surprises. "Avec la crise, les prix ont flambé, les malts ont augmenté de 40%, c’est vraiment la folie !"

À la brasserie, parfois les gens viennent et demandent à parler ‘au chef’ alors que je me trouve devant eux

Malgré les difficultés qui s’enchaînent, Paula Yunes reste motivée. Le challenge se révèle immense, mais le succès est au rendez-vous ; la demande croit année après année. Par ailleurs, leurs bières artisanales sont régulièrement récompensées par différents prix internationaux.

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Sexisme, sexualisation et nécessité de visibilisation

Derrière cette success-story, il ne faut pas oublier le sexisme du milieu brassicole. Quand Paula Yunes a commencé, les brasseuses en Belgique francophone se comptaient sur les doigts d’une main. Figure féminine minoritaire dans ce monde d’hommes, elle explique avoir entendu de nombreuses remarques liées à son genre ou à ses origines. "Par exemple, à l’IFAPME, nous étions 4 femmes sur 50 étudiants. Je me souviens d’un prof particulièrement sexiste… Dans les foires aussi, j’ai reçu pas mal de commentaires."

Notre interlocutrice confie que souvent lorsqu’elle se trouve avec Valéry, certains hommes ont tendance à s’adresser seulement à lui pour poser des questions ou discuter bouteilles. "À la brasserie, parfois les gens viennent et demandent à parler ‘au chef’alors que je me trouve devant eux." Elle pointe également la sexualisation des femmes dans ce secteur. "Longtemps, le marketing des bières objectifiait les corps féminins. Ça va beaucoup mieux, même s’il demeure des marques problématiques dans leurs campagnes… J’ai observé que lorsque la bière est par exemple très amère ou difficile à boire, les hommes ont tendance à l’apprécier sous prétexte que ‘ce n’est pas une bière de femmes.’"

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Notre interlocutrice confie que souvent lorsqu’elle se trouve avec Valéry, certains hommes ont tendance à s’adresser seulement à lui pour poser des questions ou discuter bouteilles. "À la brasserie, parfois les gens viennent et demandent à parler ‘au chef’ alors que je me trouve devant eux."

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Elle pointe également la sexualisation des femmes dans ce secteur. "Longtemps, le marketing des bières objectifiait les corps féminins. Ça va beaucoup mieux, même s’il demeure des marques problématiques dans leurs campagnes… Aussi, j’ai observé que lorsque la bière est par exemple très amère ou difficile à boire, les hommes ont tendance à l’apprécier sous prétexte que ‘ce n’est pas une bière de femmes.’"

À la santé de tous·tes !

Si les violences persistent, le secteur brassicole semble néanmoins tendre vers plus d’inclusivité, et ce, notamment grâce à des pionnières comme Paula Yunes.

Lorsqu’on lui demande si elle se sent fière de son parcours, la zythologue répond par l’affirmative : "Au début, j’avais beaucoup de doutes, ça pouvait me fragiliser, aujourd’hui, j’ai gagné en confiance. C’est important de visibiliser les brasseuses, beaucoup de femmes aiment la bière, mais ne se lancent pas, car elles pensent que c’est un milieu hostile… Mais oui, je sens que ça bouge, je vois de plus en plus de femmes dans les bars spécialisés, dans les brasseries et ça, c’est super !"


Dans la série In… We Trust ("Nous croyons en…")


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