Les Grenades

In Sandrine Kelecom We Trust, "en tant que femme dans le bâtiment je dois en faire deux fois plus"

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Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Pour ce premier épisode de l’année 2023, plongeons dans l’univers de Sandrine Kelecom, peintre en bâtiment qui doit se battre pour exister dans un secteur très masculin où les stéréotypes de genre restent ancrés.

Mardi 24 janvier, 9h30, Liège. Nous retrouvons Sandrine Kelecom entre deux chantiers. "C’est super de parler des femmes dans la construction. Il y a encore du boulot pour faire changer les mentalités", avait-elle livré préalablement par téléphone. Aujourd’hui, autour d’un café, elle revient sur son parcours.

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De la pharmacie au chantier

"Petite, je ne me serais jamais imaginé travailler dans le bâtiment… Je me rêvais médecin", introduit-elle. À l’âge de 17 ans, elle quitte le foyer familial. Après de quelques galères sur les bancs de l’université, elle préfère se diriger vers l’assistance technique en pharmacie et c’est dans ce domaine qu’elle entame sa carrière. Les années passent. Elle se sent stagner dans son métier. Quelle voie emprunter désormais ?

En plein questionnement, à l’occasion de la rénovation d’un bien immobilier, elle se découvre un grand intérêt pour la construction. "Je n’avais pas grand-chose à perdre, j’ai décidé de me reconvertir dans la peinture en bâtiment à l’âge de 28 ans." Pour ce faire, elle passe par ConstruForm Liège, un centre de compétence du Forem dédié aux métiers de la construction. Elle est alors la seule femme du cursus. Après une formation de 6 mois, elle est engagée comme ouvrière par l’un des instructeurs. "Assez rapidement, je me suis dit ‘si je peux travailler pour un patron, je peux travailler pour moi-même.’ L’accès à la profession étant protégé par certaines règles, j’ai dû passer le jury central."

Son diplôme en poche, en 2011, elle prend le statut d’indépendante. Déterminée à poursuivre ses aspirations, elle fait fi des stéréotypes et des appréhensions. "Je crois que parmi mon entourage, beaucoup se sont dit que j’allais me casser la figure. À l’époque, il y avait vraiment peu de femmes dans le bâtiment. Heureusement, j’ai reçu le soutien de ma maman et de mon frère."

Contrainte de "prouver" sa valeur

Alors qu’elle commence sa carrière en tant qu’indépendante, elle tombe enceinte. "Ça a été compliqué. J’étais maman solo… Je jonglais entre les chantiers, les nuits sans dormir, les soins au petit…" Elle persévère. Ensuite, elle rencontre celui qui deviendra son compagnon. Ensemble, le couple a un deuxième enfant. "Il est menuisier, je peux comparer directement nos réalités et j’observe de grandes différences liées au genre dans le bâtiment. Par exemple, très peu d’architectes font appel à mes services. Je dois en faire deux fois plus pour qu’on me fasse confiance."

Notre interlocutrice explique que constituer sa clientèle lui a pris beaucoup plus de temps. "J’ai trouvé les client·es par le bouche-à-oreille, mais au début c’était franchement galère. J’ai dû prouver que j’étais aussi capable que mes collègues masculins. Encore aujourd’hui, comme il n’y a pratiquement que des hommes dans ce milieu, ils forment une espèce de club et se renseignent l’un à l’autre. Je vois bien, personne ne me dit ‘j’ai un chantier à te donner.’"

Beaucoup se sont dit que j’allais me casser la figure

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Comme de nombreuses femmes, en plus de devoir assurer professionnellement, elle assume la majorité de la charge mentale du foyer. "Je dois être une femme, un homme sur chantier, une mère… On nous attend au tournant dans tous nos rôles. Au travail, si on se casse la gueule, on va dire ‘oui, mais c’est une femme’, si à la maison on n’assure pas, ça nous retombe dessus et on finit en burn-out parental… La charge et la pression que la société exige de nous, c’est vraiment compliqué !"

Une société qui ne s’adapte pas au corps des femmes

Très concrètement, depuis plus de quinze ans maintenant, le métier de Sandrine Kelecom est de peindre les murs intérieurs ou extérieurs, de réaliser des enduits, des sols en béton ciré… Des activités physiques où jour après jour elle porte, supporte, transporte. "Je vais avoir 45 ans, et mon corps s’use prématurément. Je souffre d’arthrose cervicale et de l’épaule. Aussi, je dois porter des bas de contention en permanence ; nous les femmes sommes plus sujettes à des problèmes de circulation."

Très peu d’architectes font appel à mes services. Je dois en faire deux fois plus pour qu’on me fasse confiance

Au-delà des spécificités liées au secteur, trop souvent, les caractéristiques biologiques des femmes telles que les menstruations sont encore taboues dans le milieu professionnel, et dès lors ne sont pas prises en compte. Cette réalité est particulièrement marquée dans les domaines très masculins comme la construction.

"Quand tu as tes règles et que tu travailles sur un chantier, si les toilettes sont sales et qu’il n’y a pas d’évier, c’est parfois franchement compliqué. Aussi, moi je souffre énormément pendant cette période, mais je vais quand même bosser. Rien n’est prévu pour nous puisque le sujet demeure tabou. Nos souffrances sont gardées sous silence." Selon elle, tant que le monde professionnel sera imaginé pour et par les hommes, les problématiques liées à la santé des femmes resteront un impensé. Une société plus inclusive requerrait qu’une plus grande attention soit portée à la mise en place d’espaces qui conviennent aux corps de toutes et tous.

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Rester positive, mais réaliste

En Belgique, selon Statbel, 96,6% des ouvrier·es dans le bâtiment sont des hommes. Les modèles féminins dans le secteur restent très rares. Lorsqu’on questionne notre interlocutrice sur sa manière de se percevoir, sa réponse ne se fait pas attendre : "Je ne prétends pas être un modèle. Mais je veux rappeler aux femmes de bien réfléchir avant de se lancer parce que ce n’est pas facile. Malheureusement, il faut avoir du caractère pour ne pas se laisser démonter."

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Malgré tous les obstacles, Sandrine Kelecom garde espoir. Selon elle, l’évolution des mentalités et des pratiques ne se révélera envisageable que par la création d’outils concrets : des espaces adaptés, des modèles féminins, la déconstruction des stéréotypes de genre… "Ce n’est pas normal qu’en 2023, on doive encore se battre en tant que femme pour exercer le métier qu’on souhaite. Il faut faire bouger les lignes. La prochaine personne que je prendrai en stage d’apprentissage, j’aimerais que ce soit une femme pour qu’à travers moi, elle voie les difficultés, mais comprenne que c’est possible d’y arriver", conclut-elle.


Dans la série In… We Trust (Nous croyons en)


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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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