Les Grenades

In Selma Benkhelifa  We Trust, défendre les droits des opprimé·es

In Selma Benkhelifa We Trust, défendre les droits des opprimé·es

© Marceline Destordeur

Par Jehanne Bergé

Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Pourquoi We Trust ? Parce qu’elles ont suivi leur passion, elles y ont cru. Et nous aussi. Des femmes de caractère qui déconstruisent les stéréotypes à leur manière… Douzième épisode consacré à l’avocate Selma Benkhelifa qui se bat contre l’injustice et promeut une vision pédagogique du droit.

Avocate et spécialiste des droits des étrangers, depuis 20 ans, Selma Benkhelifa milite pour la défense de celles et ceux que la société ne reconnait pas. Nous l’avons rencontrée à l’occasion des 10 ans de la Convention d’Istanbul.

Mardi 11 mai 2021, midi trente, nous arrivons sur le parvis de l’église du Béguinage. Nezha, l’une des responsables des femmes du collectif de sans-papiers nous emmène à l’intérieur de l’édifice. Au sol des dizaines de matelas, des couvertures de couleurs, des tentes. Le lieu est occupé depuis plus de 100 jours par une centaine de travailleurs et travailleuses sans-papiers en attente de régularisation. Ils et elles sont installé·es en Belgique depuis cinq, dix, quinze ans.


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À l’arrière, derrière un rideau dans l’espace des femmes, Nezha explique : "On veut avoir une carte de séjour. Si on est chez nous, on est cachées, personne ne nous écoute. On veut montrer qu’on est là pour se protéger de l’exploitation des patrons. Nous sommes déterminées. Ici, il y a le stress, la pression, le froid, une seule toilette pour nous toutes, ce n’est pas un plaisir."

Il ne suffit pas de signer une convention

Cette journée marque les dix ans de la Convention d’Istanbul, le premier traité européen consacré à la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique. Et c’est pour faire reconnaitre les droits de toutes les femmes, y compris des femmes sans papiers qu’une action est organisée à l’occasion du dixième anniversaire de ce traité. Dehors la foule scande "Une seule solution, la régularisation", "Justice pour toutes", "Les fausses promesses, il y en a marre".


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Selma Benkhelifa arrive, elle est l’avocate du collectif qui organise l’occupation. Sur la table devant l’église, un gâteau de chicons, amer comme la réalité des femmes qu’elle défend. L’avocate s’adresse aux personnes présentes sur le parvis, parmi lesquelles, se trouve la Secrétaire d'État à l'Egalité des chances et des genres, Sarah Schlitz (Ecolo).

In Selma Benkhelifa We Trust, défendre les droits des opprimé·es
In Selma Benkhelifa We Trust, défendre les droits des opprimé·es © Marceline Destordeur

"Il faut le répéter, une femme migrante est une femme avant d’être une migrante, elle a droit aux droits des femmes comme toutes les autres femmes de Belgique", clame l’avocate.

Après cette prise de parole, Sarah Schlitz reconnait que la Belgique ne respecte pas encore la convention d’Istanbul dans son entièreté. Elle assure à la foule que l’un des six axes de son plan de lutte contre les violences faites aux femmes sera dédié aux femmes migrantes et sans-papiers.

In Selma Benkhelifa  We Trust, défendre les droits des opprimé·es
In Selma Benkhelifa  We Trust, défendre les droits des opprimé·es © Marceline Destordeur

Du droit qui a du sens

Après l’action de visibilisation, Selma Benkhelifa revient pour nous sur son parcours et son combat. Cette culture de la lutte lui vient de sa famille. "Je suis belgo-tunisienne. Du côté de ma maman, il y a des résistants communistes au nazisme, certains ont été fusillés. Et du côté de mon père, c’était des résistants à l'envahisseur français." A l’école, la jeune Selma défend déjà les élèves. Naturellement portée par les valeurs de justice, elle commence des études de droit, mais déchante rapidement, la théorie ne reflétant pas du tout ses expériences de terrain. "J’ai grandi à Schaerbeek, à l'époque, il y avait le commissaire Demol et beaucoup de violences policières."

En plus des violences d’État, Selma Benkhelifa a toujours été sensible à la question des sans-papiers. Elle est encore étudiante lors de la première grosse campagne de régularisation en 1999. "Il y avait aussi l'occupation de l'ambassade de Somalie près de l'ULB. J’ai participé à des actions en aidant les personnes à remplir les dossiers. Quand j'étais avec les gens, je trouvais que ce que j’étudiais avait du sens."

À la fin de ses études, elle entre en stage chez un avocat schaerbeekois spécialisé dans le droit des étrangers. Là, d’un coup, tout fait sens. Ensemble, ils lancent le réseau Progress Lawyers Network.

Organiser le rapport de force

Cette année, cela fera vingt ans qu’elle a démarré sa carrière d’avocate. "Chaque année, j’ai suivi une occupation. Je pense vraiment que le droit est une question de rapport de force dans la société et pas uniquement de qualité de plaidoirie devant la juridiction."


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Elle dit se percevoir comme "une traductrice". "Je traduis en termes juridiques les revendications que les gens expriment en termes normaux. On s’est arrangé pour que le droit soit une langue incompréhensible pour le commun des mortels. J’essaye de donner accès à ce langage. C’est important que les gens puissent redevenir acteurs et actrices de leur procès."

Concernant les occupant·es de l’église du Béguinage, elle les a aidé·es à rédiger une proposition de loi de régularisation. Sur base des textes de lois existants, ils et elles ont pu rajouter leurs contributions par rapport à leur vécu. Cette proposition va être soumise à travers le système de pétition citoyenne qui permet d’adresser une demande à la Chambre des représentants en vue de faire modifier une politique ou une loi déterminée.

Une femme migrante est une femme avant d’être une migrante, elle a droit aux droits des femmes comme toutes les autres femmes de Belgique

In Selma Benkhelifa We Trust, défendre les droits des opprimé·es
In Selma Benkhelifa We Trust, défendre les droits des opprimé·es © Jehanne Bergé

Elle revient sur l’événement de la journée. "Le fait de reconnaitre que les femmes sans-papiers ne sont pas correctement protégées, c'est déjà une victoire. Maintenant, il faut traduire les discours en actes concrets réels pour les vraies personnes." Pour le grand public, la convention d’Istanbul reste complexe, une action telle que celle-ci permet de la visibiliser, de ramener le politique au cœur de la cité.

Me Benkhelifa rappelle que structurellement, les femmes sans papiers victimes de violences domestiques sont encore plus fragilisées. "L’État devrait être à leur côté. La police devrait traiter le dossier de violence indépendamment de la question du séjour." Toujours concernant les violences domestiques, l’avocate remet en question les procédures. Selon elle, les menaces de mort des maris ne sont toujours pas prises assez sérieusement. "Il faut vraiment que les poursuites soient effectives et que le système judiciaire soit du côté des victimes. Cette espèce d’indifférence, ce sont des armes entre les mains des auteurs."


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Militante et avocate

Selma Benkhelifa se dit militante avant d’être avocate. En 2007, elle entame une grève de la faim avec les réfugié·es Afghan·es. Pour dénoncer le blocage de procédures de régularisation de l’Office des Étrangers malgré sa victoire au Conseil d’État.

Au quotidien, cette femme de caractère recueille des histoires terribles, quand on lui demande comment elle arrive à se préserver, sa réponse est simple : sa famille. "Avec mes enfants, on est dans un monde magique, imaginaire. On raconte des histoires d’elfes, de nains, de pirates, de fées."

"Je fais partie des gens qui ne supportent pas l'injustice, c'est viscéral. J'ai quand même des moments où je me dis 'tu vas te calmer, vivre une existence tranquillou.’ Et puis un nouvel événement se produit et je ne peux pas m’empêcher d’y aller."


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Pour garder une certaine distance malgré tout, elle use d’une technique toute particulière. Grâce à son Nokia 3310, elle n’a pas accès à ses mails sur son téléphone ni à Internet. "Et quand je suis chez moi, je laisse mon téléphone en silencieux et je suis injoignable."

En vingt ans de carrière, elle a pu observer les différents mouvements que traverse notre société. Selon elle, les réseaux sociaux ont permis de visibiliser des réalités qui jusqu’ici demeuraient dans l’ombre. "Le mouvement Black Lives Matter est né parce que les gens ont pu filmer avec un téléphone. Sans cela, nous ne connaitrions pas le nom de Georges Floyd. Cette reprise en main de l’information par les citoyen·nes, c’est une grande avancée."

En revanche, elle constate une libération de la parole raciste. Elle est l’avocate des parents de Mawda et se scandalise des propos qui ont été partagés autour du procès. "Comment en est-on arrivé là ? À ce que le racisme pousse des gens à justifier la mort d’une enfant de deux ans...C’est assez affolant."

Il faut vraiment que les poursuites soient effectives et que le système judiciaire soit du côté des victimes

Malgré tout, les vagues de solidarité et les projets citoyens lui donnent de l’espoir. "Je crois beaucoup à des initiatives comme la plateforme citoyenne qui a aidé de centaines, des milliers de migrant·es. Ils ont d’ailleurs totalement pris en charge la famille de Mawda pendant un an. Nous sommes capables, en nous organisant entre gens de bonne volonté, de faire des choses merveilleuses."


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La série In... We Trust (Nous croyons en...)


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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d'actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

 

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