Les Grenades

In Yasmine Laassal We Trust, porter son histoire sur scène pour en finir avec les secrets

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Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Dans cet épisode, nous retrouvons la comédienne Yasmine Laassal. Avec poésie et sincérité, l’artiste lève les tabous et questionne nos représentations.

À quelques jours de la grande première, en pleine préparation de son spectacle Défaut d’origine, Yasmine Laassal nous convie à l’Espace Magh. Du 17 au 19 novembre, c’est sur la scène qu’elle racontera son histoire, mais pour l’heure c’est aux Grenades qu’elle confie son récit…

Amours cachés

Pour comprendre le parcours de notre interlocutrice, il faut remonter le fil, le sien, mais aussi celui de ses parents. Sa mère nait en 1936 dans les alentours de Mouscron. "Ma grand-mère était tombée amoureuse de l’ouvrier de son père et ensemble ils avaient ouvert une boucherie. Ma mère, elle, rêvait de dessiner des tapis, mais pour ses parents, c’était hors de question."

Faute de pouvoir suivre la carrière qu’elle souhaite, la jeune femme devient vendeuse dans une boutique haut de gamme à Mouscron. "Elle se rendait à Lille, Bruxelles, Paris, cependant elle vivait encore chez ses parents, devait leur verser sa paye et n’avait aucun homme dans sa vie !"

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À Tournai, âgée de 35 ans, elle se lie d’amitié avec deux étudiants marocains. Leurs discussions l’inspirent et elle décide de partir visiter le Maroc avec l’une de ses amies. "Le dernier jour du voyage, le chauffeur de leur bus les a invitées à participer à une fête. Ma mère y a rencontré un homme, celui qui allait devenir mon père. Ce soir-là, ils ont échangé des adresses." De 1971 à 1973, les deux correspondent et la Mouscronnoise finit par retourner au Maroc. Petit à petit s’installe une relation secrète et à distance. "Je ne sais pas exactement ce qu’il s’est passé entre eux, mais en 1976, j’ai vu le jour ! À 40 ans, ma mère a fait un enfant toute seule avec un 'Arabe en province'… Pour mon père, il était hors de question de venir vivre en Belgique, mon existence était liée à un secret de famille au Maroc."

À 14 ans, une fille a traversé toute la cour pour m’apporter une éponge en me demandant de me nettoyer la peau

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Père fantasmé et trouble d’identité

Petite, Yasmine Laassal grandit seule avec sa mère. "J’ai vécu une enfance très solitaire, je m’abreuvais de la télé des années 80." Son père vit loin, elle le voit tous les deux ans quelques heures seulement. "En raison de son absence, je fantasmais sur lui. J’espérais qu’on se retrouve dans une vie normale et au moment où mon père a manifesté l’envie de se rapprocher de moi, il est mort. J’avais 12 ans", confie-t-elle l’émotion vive.

Entre la nostalgie d’un passé quelle n’a pas connu et un secret de famille, grandir et s’épanouir se révèle très complexe. Ladolescence rime également avec sa prise de conscience du racisme. "C’est suite aux réflexions et aux comportements dont j’étais victime que j’ai découvert que j’étais arabe. Ça a été un choc. Jusque-là je me percevais comme les filles que je voyais à la télé ; pour moi, j’étais blanche, j’étais blonde. Je ne m’étais jamais posé la question, parce qu’avec ma mère on vivait dans le déni de mes origines. D’un coup, on me renvoyait que j’étais une bohémienne, une bougnoule. À 14 ans, une fille a traversé toute la cour pour m’apporter une éponge en me demandant de me nettoyer la peau."

Si à l’école elle souffre de cet environnement violent, le théâtre la maintient hors de la noyade. "Après la mort de mon père, nous avons déménagé à Tournai où je me suis lancée dans le théâtre à fond. À l’Académie, c’était merveilleux parce que ma prof n’accordait aucune importance aux apparences. Ce qui comptait c’était de jouer !"

Dire les mots des autres

À 19 ans, elle s’inscrit au Conservatoire de Mons. "Ce qui m’a attiré au théâtre, c’est le show, le rouge, la lumière, les mots. Je suis une petite fille, une ado, une jeune femme qui s’est tue. Dire les mots des autres calmait mes angoisses. L’endroit de sécurité maximum de ma vie, c’est la scène de théâtre. Le théâtre m’a sauvée ; sans ce rouge, cette lumière, cette chaleur… je ne serais pas là."

Au Conservatoire, elle découvre le même universalisme qu’à l’Académie : pas de place pour le racisme, l’art avant tout. La chute n’en est que plus brutale. "À la fin du cursus, on m’a dit ‘tu ne joueras jamais Juliette, tu joueras les servantes’, ‘tu ne peux pas jouer la fille d’une famille de blancs’."

L’avertissement se révèle véridique. Tout au long de sa carrière, les rôles qu’on lui propose lors de castings et auditions sont quasi systématiquement stéréotypés. "J’ai commencé à jouer sur les planches en Belgique à 23 ans, et là j’en ai 46. Deux fois j’ai été engagée pour des rôles avec des prénoms occidentaux. Mon héritage corporel est associé à un groupe les Marocain·es de Belgique et les gens, avant même que jarrive, me collent une histoire qui n’est pas la mienne et projettent sur moi des fantasmes orientalistes."

Avec Bouchra on se dit que ce genre de spectacle est nécessaire, parce que des représentations de femmes comme nous, il n’y en avait pas à la télé

Mise en récit du vécu

Dans le spectacle Défaut d’origine présenté à l’Espace Magh du 17 au 19 novembre, la comédienne raconte sa propre histoire. Porter sa parole sur les planches, elle y songeait depuis de nombreuses années. Ce souhait s’est concrétisé après ses retrouvailles avec son ancienne collègue de Conservatoire Bouchra Ezzahir. "Nous travaillons ensemble sur le spectacle depuis trois ans. La pièce parle de corps. Bouchra m’a aidé à donner une valeur à mon histoire. Je suis fragile et forte à la fois, elle est mon garde-fou."

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Défaut d’origine traite notamment de la dissonance entre l’image renvoyée et son intériorité. Ce spectacle autobiographique se veut une enquête intime et un retour vers un héritage difficile à s’approprier, car marqué par la blessure. La pièce parle également de la non-reconnaissance des diversités, du racisme ordinaire, des violences intégrées. "Sur le plateau, les voix du passé dialoguent avec la voix de la femme devenue adulte, qui, devant nous, transforme sa honte en outil de liberté", indique le dossier de présentation.

"Avec Bouchra on se dit que ce genre de spectacle est nécessaire, parce que des représentations de femmes comme nous, il n’y en avait pas à la télé, et il y en a encore trop peu aujourd’hui. Si petite, j’avais grandi avec plus de modèles de diversité, est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Est-ce que mes souffrances auraient été moins sévères ? C’est possible que oui", conclut l’artiste.

Infos pratiques : Défaut d’origine, une co-production du Théâtre des Chardons et de l’Espace Magh à voir à l’Espace Magh du 17 au 19 novembre.

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Dans la série In… We Trust (Nous croyons en)


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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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