Environnement

"Incompréhensible", "électoraliste", "désillusion"… Les spécialistes critiquent les propos d’Alexander De Croo sur l’environnement

Diminuer les efforts sur la biodiversité au profit de la lutte contre le réchauffement climatique : bonne idée ?

© Getty Images

Par Jean-Christophe Willems

Tout en ne renonçant pas aux ambitions de lutte pour la réduction des gaz à effet de serre, Alexander De Croo demande à mettre sur pause les autres sujets environnementaux. Le Premier ministre cible la lutte contre les oxydes d’azote ainsi que le règlement européen de restauration de la nature et de la biodiversité. "Est-ce le bon moment pour tout faire en même temps ?", se demande Alexander De Croo.

Pour l’Europe, comme pour la communauté scientifique, la réponse est "oui" !

Des sujets intrinsèquement liés

Il ne faut pas aller bien loin pour trouver un lien entre ces thématiques. Enfin, il faut quand même lire quelques pages du règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la restauration de la nature, publié en juin 2022. Au quinzième point du préambule, il est écrit noir sur blanc que : "La garantie de la biodiversité des écosystèmes et la lutte contre le changement climatique sont intrinsèquement liées. La nature et les solutions fondées sur la nature, notamment les stocks et les puits de carbone naturels, sont fondamentales pour lutter contre la crise climatique." Deux paragraphes plus loin, il est spécifié qu’il est possible de parvenir à une adaptation du changement climatique en promouvant la gestion durable des forêts et terres agricoles : "Le fait de disposer d’un plus grand nombre d’écosystèmes riches en biodiversité permet de mieux résister au changement climatique et offre des moyens plus efficaces de prévenir et de réduire les catastrophes".

Pour les oxydes d’azote, la transition vers la voiture électrique doit jouer un rôle considérable puisque le transport est responsable de plus d’un tiers des rejets de NOx. La décision européenne de passer à l’électrique en 2035 pour réduire les émissions de CO2 (trois à quatre fois moins d’impact sur l’ensemble du cycle de vie de l’auto, selon les études) aura donc un effet direct sur les oxydes d’azote.

Mais si Alexander De Croo évoque l’azote, c’est sans doute plus concernant sa trop grande concentration dans les sols flamands que dans les pots d’échappement. Car la Flandre est empêtrée depuis de nombreuses années dans un problème de pollution de ses sols à l’azote, dû au lisier provenant des élevages intensifs de porcs. Cet azote pollue les nappes phréatiques comme nous l’écrivions ici.

Mettre le problème sur "pause", c’est moins risquer de toucher le puissant secteur agricole flamand.

Reportage dans notre 19h30

Lois climatiques / La pause réclamée par De Croo fait débat

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"C’est incompréhensible !"

La communauté scientifique ne partage pas vraiment les déclarations du Premier ministre. Pour Bruno Danis, professeur associé au Laboratoire de Biologie Marine de l’ULB : "C’est incompréhensible. Cela fait plus de 50 ans qu’on documente ces problèmes et qu’on voit qu’ils sont liés entre eux. C’est indissociable".

Romain Weikmans, chargé de recherches FNRS au Centre d’Etudes du Développement Durable (ULB) relativise la forme : "Ce genre de déclaration s’adresse à un certain électorat en Flandre. De nombreuses voix y sont en effet réticentes lorsque l’on aborde la politique environnementale. La Flandre se situe au même niveau que la Pologne. Mais c’est un peu du vent, car les choses ont été décidées à un autre niveau de pouvoir. Sur le fond, on pourrait envisager de ne pas toucher à certains secteurs, comme l’agriculture et l’élevage par exemple, mais cela reporterait le problème sur les autres. C’est un déplacement du problème de manière géographique (comme la fabrication de la voiture électrique qui aura des répercussions ailleurs dans le monde) ou un déplacement dans le temps (comme les déchets nucléaires qui seront laissés aux générations futures). En tout cas, c’est une déclaration malheureuse car cela a un effet domino. La preuve : c’est déjà repris dans les médias étrangers."

"Electrochoc"

Bruno Danis, lui, ne cache pas son étonnement : "J’étais un peu estomaqué quand j’ai entendu ça à la radio ce matin. On est dans une urgence au niveau climatique et au niveau érosion de la biodiversité et je n’ai pas l’impression que ce soit le moment de négocier avec les lois de la physique et de la nature. L’ensemble du vivant respire, absorbe du CO2. On ne peut pas les dissocier, c’est absurde et ça ne correspond pas à une réalité physique."

Même son de cloche du côté de l’administration, du Service Public Fédéral Santé publique et Environnement. Selon son directeur, Pierre Kerkhofs : "C’est un électrochoc au niveau de nos experts. C’est catastrophique pour les gens qui négocient tous les jours sur les problèmes internationaux. Alors qu’on était pionniers, maintenant la Belgique s’abstient sur les votes concernant l’environnement et le climat. On a l’air ridicule ! D’autant que le projet européen sur la restauration de la nature va sans doute évoluer, mais il passera quand même. On ne peut pas mettre sur pause. Le coût de la non-action sera encore plus élevé."

Enfin, le directeur de l’Agence européenne pour l’environnement, le Belge Hans Bruyninckx nous parle de "désillusion". "Il y a deux crises. Celle du changement climatique et celle de la biodiversité. Et les deux sont liées. Si on veut sauver le climat, il faut la restauration de la nature. Les systèmes écologiques sont fondamentaux pour le climat. Le Green Deal européen, ce n’est pas un projet idéologique : c’est une réponse de l’Europe à ces crises. C’est comme un puzzle géant : si on enlève des pièces, il ne tient pas."

D’ailleurs, pas plus tard qu’il y a deux semaines, l’agence a mis en ligne un article sur le sujet et son titre ne laisse planer aucun doute : "Climat, nature et population : un avenir commun pour notre planète".

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