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Ingrid Betancourt, ancienne otage des Farc, candidate à la présidentielle en Colombie : portrait d’une figure controversée

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Par Esmeralda Labye

Chignon simple tenu par une pince, petit tailleur. Les traits un peu tirés mais le sourire aux lèvres, Ingrid Betancourt se tient droite face à la presse. Après des années de silence, loin du tumulte et pour mieux retrouver sa famille, l’ancienne otage des Farc revient sur le devant de la scène. A 60 ans, elle brigue le poste de présidente de la République.

Face aux journalistes et sous la bannière du petit parti écologiste "verde oxigeno", la franco-colombienne affirme qu’elle demandera compensation, indemnisation et réparation pour chaque fils, chaque fille, chaque père, chaque mère, pour chaque famille du pays touché par un système qu’elle affirme corrompu.

"Le système de corruption qui règne dans notre pays ne reconnaît que les droits des bandits. Eux seuls peuvent revendiquer, eux seuls peuvent être protégés", a-t-elle déclaré.

L’élection présidentielle est prévue au printemps 2022. La candidate devra d’abord participer à une primaire organisée pour départager les candidats de la Coalition de l’espérance, une coalition centriste.

En cas de victoire, Mme Betancourt représentera donc le centre à la présidentielle du 29 mai. Le centre qui se veut une alternative au face-à-face droite-gauche traditionnel et représenté par l’actuel Président Ivan Duqué et par l’ex-maire de Bogota, ancien guérillero Gustavo Petro, aujourd’hui favori dans les sondages.

Ingrid Betancourt a expliqué qu’elle se présentait pour terminer ce qu’elle avait commencé avec le peuple colombien en 2002.

Portrait d’une figure controversée

Ingrid Betancourt Pulecio est née le 21 décembre 1961 à Bogota. Elle appartient à l’élite blanche de la Colombie. Son père (mort lorsqu’elle était en captivité) a été ambassadeur et ministre. Sa mère ancienne reine de beauté fut aussi sénatrice. Durant son enfance, elle côtoie du beau monde, intellectuels, artistes… Comme Fernando Botero ou Gabriel Garcia Marquez.

Elle étudie en France ou son père est nommé ambassadeur. Elle maîtrise parfaitement la langue de Molière.

Touchée comme ses parents par le virus de la politique, elle s’engage rapidement en politique. Elle est élue au Congrès (1994-1998), puis devient sénatrice (1998-2002).

La lutte contre la corruption a toujours été son principal cheval de bataille : elle a distribué des préservatifs en pleine rue pour se protéger des corrompus, fait une grève de la faim en plein Congrès pour protester contre les manœuvres politiciennes de certains de ses collègues.

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En France, on la considère comme une martyre et une héroïne, mais dans son pays natal, elle n’est pas forcément aimée. De nombreux Colombiens lui reprochent d’avoir été une victime plus médiatique que les autres otages en Colombie, d’être trop française, trop bourgeoise, responsable de son enlèvement car elle n’a pas tenu compte des avertissements de l’armée, d’avoir osé demander une indemnité de réparation à l’Etat colombien pour cet enlèvement (une demande légale mais qu’elle avait finalement retirée face au tollé).

Retour sur un enlèvement très médiatique

Comme développé sur la page Wikipedia consacrée à Ingrid Betancourt, en février 2002 le gouvernement d’Andrés Pastrana annonce la rupture des négociations avec les guérilleros des FARC. Il ordonne également la reconquête des 42.000 km2 qui leur avaient été concédés comme zone démilitarisée. Une grande opération militaire baptisée Thanatos est mise sur pied pour déloger les forces rebelles. 

Le président en personne se rend sur le terrain dans le but de prouver le succès de l’opération et l’éviction des FARC. Un déplacement en hélicoptère. Les autorités refusent qu’Ingrid Betancourt voyage par voie aérienne avec les journalistes qui accompagnent le chef de l’État. Officiellement par "manque de sécurité dans la zone". Il donne en même temps l’ordre de retirer les gardes du corps assignés à la protection d’Ingrid Betancourt, laissant sans sécurité celle qui est alors candidate à l’élection présidentielle.

Ingrid Betancourt maintient son projet de se rendre dans la zone, et prend la route. À la sortie de la ville de Florencia, un barrage militaire contrôle l’identité des passagers et laisse passer les voitures dont celle d’Ingrid Betancourt. Le convoi traverse une zone fortement militarisée avec des centaines de soldats. Mais au détour d’un pont, les voitures sont arrêtées par un autre barrage militaire, celui des FARC, la candidate Betancourt et sa directrice de campagne Clara Rojas sont prises en otages.

L’enlèvement fait le tour du monde, la une de l’actualité. Il inquiète le pouvoir, du fait de la notoriété de la candidate à l’étranger.

En France, Dominique de Villepin, le ministre des Affaires étrangères fait de la libération d’Ingrid Betancourt une affaire d’État.

Pour les FARC, guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie, Ingrid Betancourt appartient à l’oligarchie qu’ils entendent combattre, elle est une ennemie du mouvement guérillero.

Pendant 6 ans, elle est détenue, humiliée, violée par les guérilleros. Elle tente à plusieurs reprises de s’échapper… Elle est finalement libérée par l’armée nationale colombienne le 2 juillet 2008, avec 14 autres otages.

Dès le surlendemain, l’ancienne candidate rejoint la France. Elle est accueillie par le président Nicolas Sarkozy et les associations qui ont œuvré à sa libération et faite chevalier de la Légion d’honneur.

Betancourt Medal Legion d&#39 ; Honneur
Betancourt Medal Legion d&#39 ; Honneur © BELGAIMAGE

Une nouvelle vie en Angleterre

Pour fuir l’agitation, le tumulte médiatique et les remarques qui la blessent "Sainte Ingrid" (comme elle a été surnommée par certains exaspérait une partie de la population) s’installer en Angleterre. Elle s’inscrit à l’université d’Oxford, en théologie. "Pour les mêmes raisons que celles qui m’ont poussée à faire de la politique : pour améliorer le monde", confiera-t-elle au quotidien Le Monde. Par la suite, elle donnera des conseils pour affronter l’adversité et vaincre ses peurs, lors de conférences. "Il y a quelque chose dans ce que j’ai vécu dans la jungle qui m’aide à faire face à cette période de confinement", livrait-elle l’an dernier à nos confrères du Point.

Les Farc, retour sur un groupe qui a ensanglanté le pays

Après 50 ans de guérilla, le 24 août 2016, le gouvernement colombien et les FARC ont signé un accord historique fixant les modalités de résolution du conflit. Un accord largement commenté dans les médias du NouvelObs à RadioCanada. Mais avant d’en arriver là, le conflit aura fait des milliers de victimes.

Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) sont créées en 1964. Elles visent à renverser le gouvernement pour prendre le pouvoir au nom de la classe ouvrière. A l’époque, 350 membres en font partie. Leur chef s’appelle Manuel Marulanda Vélez, alias "Tirofijo".

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Dans les années 70, Les FARC étendent leur champ d’action, recrutent massivement, 1000 combattants sont enregistrés. C’est à cette époque que les premiers enlèvements contre rançon sont organisés. Les Frac exigent aussi un paiement aux cultivateurs de marijuana.

10 ans plus tard, les premières négociations avec le gouvernement de l’époque ont lieu. Les Farc forment un mouvement politique, l’Union patriotique (UP), qui remporte un certain succès électoral, mais plusieurs sympathisants sont assassinés par des groupes paramilitaires. Les guérilleros retournent alors dans le maquis.

Une décennie passe. Les attaques contre les forces armées se multiplient, comme les enlèvements de civils et de militaires. Le gouvernement d’Andrés Pastrana entame des négociations de paix et crée une zone démilitarisée de 40.000 kilomètres carrés dans le sud du pays.

Mais en février, 2002, les autorités accusent la guérilla de profiter de la zone démilitarisée pour se renforcer et lancer des attaques sur les municipalités voisines, ainsi que d’augmenter la production et le trafic de cocaïne.

C’est à ce moment que la sénatrice Betancourt est enlevée.

Le 26 mai 2002, Alvaro Uribe est élu président de la Colombie.

L’ancien gouverneur d’Antioquia a fait campagne en promettant de combattre les FARC. Avec l’aide des États-Unis, et un renforcement du budget de l’armée, il réussit à affaiblir la guérilla.

L’un des chefs historiques des FARC, Raul Reyes, sera tué lors d’un bombardement de son campement, situé à la frontière de l’Équateur, en 2008. 3 ans plus tard, Alfonso Cano, devenu le nouveau chef, connaît le même sort. Affaiblies, les FARC ne comptent plus que 8000 combattants.

En novembre 2012, des représentants du gouvernement colombien entament de nouvelles négociations de paix avec les Farc.

Il faudra attendre le 23 juin pour que la fin de la guerre soit déclarée.

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Cette paix comporte quatre chapitres :

  • Une réforme rurale
  • Un cessez-le-feu bilatéral et définitif et la fin des hostilités
  • Le désarmement des FARC
  • Des garanties de sécurité et lutte contre les organisations criminelles responsables d’homicides et de massacres ou qui s’en prennent aux défenseurs des droits de l’homme, aux mouvements sociaux ou aux mouvements politiques ;
  • Lutte contre les conduites criminelles qui empêcheraient la mise en œuvre des accords et la construction de la paix.

Le président Juan Manuel Santos recevra le Prix Nobel de la paix le 7 octobre 2016.

Aujourd’hui, le retour à la vie civile des anciens combattants des Farc est plus compliqué que prévu. Selon certains, "l’exclusion économique et sociale mène de nombreux ex-combattants au désespoir. C’est un bouillon de culture parfait pour que les gens justifient leur retour aux armes et à la clandestinité", expliquait un ancien guérillero à France24 il y a peu. 300 ex-guérilleros signataires de la paix ont été assassinés depuis 2016, sans compter les centaines de militants des droits de l’homme et de l’environnement exécutés pendant le même moment. Entre 2000 et 3000 ex-guérilleros auraient d’ailleurs repris les armes.

C’est dans ce contexte qu’Ingrid Betancourt fait son retour en politique.

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