Inondation du dépôt archéologique de Saint-Servais : "Le risque d’inondation ne pouvait être ignoré"

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Conséquence des pluies à répétition des dernières semaines, le centre de conservation des biens archéologiques installé à Saint-Servais près de Namur a essuyé deux inondations en l’espace d’une semaine. L’eau y est montée une première fois jusqu’à 1 mètre 50 et puis jusqu’à 2 mètres. Certains objets ont même été noyés deux fois. Dans ce centre de conservation des biens archéologiques, 250.000 pièces étaient entreposées mais également des archives essentielles pour documenter les fouilles archéologiques réalisées sur notre territoire depuis presque un siècle. Les fouilles du Grognon à Namur ou encore celles de la Place Saint-Lambert à Liège y sont notamment stockées.

Dans une lettre ouverte adressée à Valérie de Bue, la ministre en charge du Patrimoine à la région wallonne, plusieurs associations, le réseau Archéologia.be, relayée par le Bouclier bleu et une association de protection du Patrimoine, interpellent les autorités quant au devenir du patrimoine archéologique belge.

Des solutions transitoires inacceptables ?

Elles s’inquiètent surtout du lieu de destination pour les collections touchées par ces inondations. Il faut, en effet, veiller à les reconditionner et les conserver. Et ces associations s’inquiètent des solutions transitoires envisagées et qui sont considérées comme étant inacceptables par de nombreux professionnels.


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Alors que les agents de l’Awap (l’Agence wallonne de l’archéologie et du Patrimoine) aidés de nombreux bénévoles raclent la boue et les sterputs et enlèvent l’eau boueuse des dizaines de caisses où étaient entreposés les objets archéologiques. La colère gronde parmi les archéologues. Ce sont, en effet, des dizaines d’années de travail qui sont parties à l’eau en une fois. Certains se lamentent, d’autres poussent un ouf de soulagement car ils avaient refusé d’envoyer le fruit de leur travail dans ce bâtiment de stockage de Saint-Servais.

Du provisoire fait pour durer

La catastrophe survenue la semaine dernière leur a donné raison. Certains pointent du doigt, Jean Plumier, l’ex- directeur général de l’Awap. C’est lui, en 2012, qui avait décidé d’installer le centre de conservation des biens archéologique dans les locaux de Saint-Servais. Ce lieu était pourtant connu comme étant situé en zone potentiellement inondable.

Certains en veulent pour preuve que le débit du Houyoux, le ruisseau à proximité des réserves, fut dévié pour alimenter les douves de la 3e enceinte de Namur. De nombreux agents n’ont d’ailleurs pas manqué d’interpeller, tant leur hiérarchie, que les ministres concernés à l’époque.

Certains acceptent, anonymement de nous expliquer les faits : "Logiquement c’était un dépôt temporaire mais, à chaque fois les projets d’installer ailleurs, ont été ajournés ou annulés faute de moyens financiers. Personne au niveau politique n’a accepté d’investir cette somme pour l’archéologie. En réalité, ce ne sont pas des trésors au sens propre du terme mais notre mémoire collective qui part à l’eau. C’est un double gaspillage, on a payé les fouilles et on perd toutes les données de ces fouilles."

Pierre-Emmanuel Lenfant, auteur du réseau Archeologia.be, appuie : "Le risque d’inondation était clairement mis en évidence. Personne ne pouvait l’ignorer."

Inondation de saint-Servais : la petite goutte qui fait déborder le vase

Par ailleurs, il s’inquiète pour l’avenir : "La Région wallonne a vendu plusieurs dépôts pour lesquels on n’a pas de solution. Il y a là-dedans des pièces rares comme des caveaux peints du 14e siècle retrouvés à Tournai en 1997. Ils sont entreposés, actuellement, aux Casemates à Mons et n’ont pas encore trouvé leur future affectation."

Des archéologues tirent la sonnette d’alarme : "Ce sont des politiques d’économie qui justifient ces ventes mais aucune réponse ne nous est apportée. On est en train de laisser mourir l’archéologie de sa belle mort. Dans notre domaine, notre mémoire collective est réellement menacée maintenant."

Pierre-Emmanuel Lenfant d’Archeologia.be va dans le même sens : "Le monde politique ne comprend pas l’intérêt du patrimoine archéologique. On n’a pas de vision a long terme. La parcimonie financière nous fait réaliser des économies de bout de chandelles qui nous amènent à des catastrophes comme celle-ci."

Aujourd’hui, s’il a envoyé cette lettre ouverte, c’est parce qu’il espère que le politique se ressaisisse : "Je préférerais des actes plutôt qu’une réponse. Il est important que le monde politique prenne la mesure du problème et que des choix définitifs pertinents et allant dans le sens du besoin des archéologues soient rencontrés."

L’inondation du dépôt de Saint-Servais, c’est un peu la goutte qui a fait déborder le vase du petit monde de l’archéologie. Malgré les promesses, les annonces, les archéologues ont le sentiment que les hommes politiques ne s’intéressent pas à leur travail et qu’ils le considèrent même comme un frein économique. Certains ont aussi l’impression que l’administration du patrimoine est devenue une empêcheuse de tourner en rond. Sa conscience patrimoniale fait défaut. C’est en tout cas le sentiment qui prévaut.

Au cabinet de la ministre De Bue, on accuse bonne réception de la lettre. Mais pour l’instant, la priorité est surtout de gérer l’urgence et de veiller à conserver les objets qui peuvent encore être sauvés dans les meilleures conditions possible. Le cabinet souligne qu’avant ces inondations, une réflexion sur de meilleurs lieux de conservation avait déjà été menée. La volonté, à terme, serait de choisir un lieu qui soit accessible à la fois pour les chercheurs et le public.

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