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Inside – Intelligence artificielle : quel avenir pour le métier de journaliste ? La RTBF se penche activement sur la question

L'Intelligence artificielle (Annick Merckx, Inside du 26/05/23)

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Par Annick Merckx, journaliste à la rédaction Info, pour Inside

"Pour le moment, j’ai le sentiment que dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA), on est en plein Far West," sourit Ambroise Carton, journaliste au Web. ChatGPT, MidJourney, mais aussi Dydu, Perplexity ou encore Fliki… Il n’y a plus un jour sans qu’on parle de ce qui - au choix, ou tout à la fois - est un progrès extraordinaire, un enjeu pour l’avenir, une invention diabolique, la crainte du remplacement des humains par des machines capables de faire leur métier aussi bien, voire beaucoup mieux qu’eux ! On en parle partout, entre excitation et appréhension. Au sein des équipes de la RTBF aussi, et en particulier des journalistes, qui s’interrogent sur l’avenir de leur profession.

"Chaque jour il y a du neuf dans le domaine, chaque jour on va un peu plus loin… On a du mal à suivre", poursuit Ambroise Carton, pourtant particulièrement au fait dans ce domaine. ChatGPT par exemple : cet outil dont on parle tant qui est capable de générer des réponses à des questions, de compléter des phrases, de traduire des textes, d’écrire des articles et de tenir des conversations avec des humains fonctionnait, dans un premier temps, en vase clos. Ce qui signifie que si les textes produits ont l’air tout à fait sensés et bien écrits, ils peuvent aussi être totalement erronés, parce qu’élaborés sans accès au dernier carat de l’actualité. "Et puis, voilà que dans la dernière version, payante, on peut par exemple déjà demander une revue de presse d’actualité, l’outil drivé par l’intelligence artificielle ayant désormais accès à internet, ou créer des PDF !".

Les outils usant de l’intelligence artificielle se multiplient comme des lapins

Je ne vais pas vous faire l’injure de parler encore de Siri, Alexa, Google Assistant, les GPS, les différentes applications… Elles sont déjà dans nos vies quotidiennes. ChatGPT a beaucoup fait parler d’elle, ainsi que l’outil MidJourney (qui peut générer des images à partir de textes), sans doute à cause du contexte actuel qui rend de plus en plus difficile de faire la part des choses entre le vrai et le faux dans l’actualité. MidJourney permet par exemple, de réaliser de vraies fausses photos d’actualité, représentant des événements qui n’ont pas eu lieu, voire pas "encore" eu lieu.

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Et Ambroise Carton cite également l’exemple de ce journal hongrois qui, avant la visite du pape à Budapest, fin avril, l’avait montré dans des lieux qu’il allait visiter. "Après son voyage, le journal a présenté conjointement les vraies photos à ses lecteurs. Et c’était… Bluffant."

Entre fascination et inquiétude, comment faire pour ne pas y perdre son latin… Et ses moyens ?

Yves Thiran, Responsable de la rédaction régionale bruxelloise est aussi celui qui coordonne ce qu’il appelle joliment un "réseau neuronal"- plus qu’un groupe de travail classique – de journalistes RTBF qui se penchent activement sur la question. "Dans un premier temps, on a rassemblé des éléments sur ce que les autres rédactions font déjà. Dans la foulée, on s’est penché sur les opportunités pour la RTBF, tout en examinant les menaces potentielles." Car il n’est pas question de se borner à attendre et voir.

Johanne Montay, Responsable éditoriale sciences innovations, membre du groupe, le souligne : "Évitons de partir en désordre, ou de craindre l’intelligence artificielle : celle-ci ne vient pas du néant. Il faut comprendre comment ça fonctionne pour pouvoir s’en servir judicieusement." Elle qui "chipote" déjà de son côté, cherche, teste, s’informe, mais ne s’en sert pas dans son travail au quotidien. Elle encourage cependant ses collègues à faire de même, sur le côté, pour éviter de se sentir dépassé.

Oser tester les limites

Ambroise Carton, également dans le groupe, s’en sert déjà pour du codage, qu’il pratique hors de son travail journalistique proprement dit, et chacune de ses démarches lui fait comprendre à quel point on peut pousser l’outil à toujours aller plus loin. "A la base, tant ChatGPT que Midjourney sont des outils très moraux, éthiques. Un exemple, si on demande à ChatGPT de donner les numéros gagnants du futur Lotto, vous obtiendrez des réponses du type c’est un jeu de hasard, qui repose sur des éléments aléatoires, qui empêche de donner une réponse fiable, donc méfiance. Mais en étant habile, il est tout à fait possible de contourner ("jailbreaking") ces réponses convenues et de faire en sorte que l’intelligence artificielle produise des éléments qui vont à l’encontre de ses principes de base !"

Le business de la désinformation a toujours une longueur d’avance

"Le big business de la désinformation s’en est déjà emparé à une échelle industrielle !" s’exclame Yves Thiran. "Parce qu’ils ont une longueur d’avance, déjà." Et le journaliste énumère 5 types de menaces liées à l’IA : la capacité à distinguer le vrai du faux, la fiabilité des contenus d’information produits avec ces outils, la diversité et le pluralisme des contenus produits, l’emploi des journalistes et collaborateurs de l’info, la survie des médias dont la propriété intellectuelle se dissout dans l’algorithme. Avec en exergue le fait que l’outil est à ce stade, indétectable.

Au sein même de la communauté des créateurs de l’IA, les avis divergent : de "attention, cet outil est en train de nous échapper à "pas de panique, ce n’est pas la première fois qu’un soufflé retombe après un fol emballement."

Lister les avantages…

Bref, gardons la tête froide et posons des balises déontologiques, à l’instar d’autres médias, poursuit Yves Thiran, qui énonce des avantages évidents à l’usage de l’IA. "Elle s’avère utile pour le remue-méninges : trouver des idées de sujets, des idées de titres. A condition de faire notre boulot et donc, de vérifier." L’IA est utile, également, pour chercher des infos. Pour peu qu’on les recoupe. L’IA est un super-assistant technique. Pour peu qu’un être humain vérifie et s’assure de la protection des contenus (droits d’auteur).

Rester circonspect… Et oser dire non, en usant de transparence

L’IA pour produire des illustrations est, elle aussi, à utiliser avec beaucoup de circonspection : "s’il s’agit d’images d’illustration, d’images-prétextes, pourquoi pas. Mais pas pour améliorer ou pallier le manque d’illustrations réelles de faits" – cf. l’exemple hongrois cité plus haut. "Et puis, l’IA pour générer des textes nous semble à proscrire".

Johanne Montay cite l’exemple du Conseil de déontologie flamand qui, en Belgique, a avancé deux grandes lignes de force : s’en servir à ce stade pour la collecte d’informations, mais en toute transparence. Dans d’autres pays, on se base également sur les grands principes de déontologie pour définir quand et comment user de l’IA dans le travail de journaliste.

A la RTBF, outre le groupe de journalistes, on réfléchit également à l’impact sur les autres métiers. Avec en filigrane cette question : l’intelligence artificielle va-t-elle en faire disparaître ?

Le point de vue d’un spécialiste de l’IA

Hugues Bersini est professeur d’informatique et spécialiste de l’IA à l’ULB. Il observe toute cette effervescence avec une bonne dose de sang-froid, et de sagesse, liée à ses recherches dans le domaine menées depuis de longues années.

Hugues Bersini
Hugues Bersini © RTBF

"Pour ma part, et je sais que tout le monde ne pense pas comme moi, je dirais que l’IA ne va pas faire disparaître le métier de journaliste, pas plus que d’autres métiers d’ailleurs. Mais elle va, au contraire, le renforcer. L’impact sera important, il va falloir se réinventer. Je vois plutôt un retour vers les vrais fondamentaux du journalisme : le journaliste sera d’autant plus important pour creuser, authentifier, valider l’information". Et, plus philosophiquement, le professeur parle de ce qui manque, et pour lui, manquera toujours à l’intelligence artificielle : "la conscience d’être au monde. L’IA reste une machine et ne sera, à mon sens, jamais dotée de compétences humaines !"


►►►A voir aussi, ce sujet de Vews, avec une génération d’images par l’IA, mentionnée, afin de soutenir la narration.


 

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