A l’occasion de la journée internationale de solidarité avec les Palestiniens, décrétée comme telle par l’ONU, nous avons rencontré à Bruxelles Leïla Shahid. Elle a consacré sa carrière et toute sa vie à défendre la nation palestinienne. D’abord engagée au sein du Fatah, mouvement de libération de la Palestine, elle est devenue ensuite diplomate, représentante de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) dans divers pays d’Europe : Irlande, Pays-Bas, Danemark, jusqu’à devenir déléguée générale de la Palestine en France, puis à Bruxelles, auprès de l’Union Européenne.
Aujourd’hui, elle n’occupe plus de fonction officielle, elle est "une citoyenne libre et indépendante, mais une Palestinienne", toujours très concernée par le combat de son peuple.
Cet entretien s'est déroulé à la suite d'un dialogue organisé par l'Association belgo-palestinienne, consacré à l'actualité de la lutte des Palestiniens pour leurs droits et l'avenir, au Théâtre Marni.
G.K. Quel est votre regard sur la situation palestinienne, aujourd’hui ?
Leïla Shahid : Je suis toujours désespérée de voir que rien n’avance, ni le processus de paix, ni à l’égard des violations commises par Israël… En particulier de la part de l’Union européenne auprès de qui je représentais la Palestine. C’est désespérant de voir l’impunité dont jouit Israël. On prend des sanctions contre Poutine, contre d’autres pays, mais on ne touche jamais à Israël. Je pense qu’on ne rend pas service au peuple israélien. Plus cette impunité sera tolérée, plus Israël ira loin.
G.K. Même avec un gouvernement sans Benjamin Netanyahu depuis six mois ?
Leïla Shahid : Je pense qu’Israël a une politique très dangereuse, surtout avec le gouvernement actuel. Lorsqu’il signe un accord avec le Maroc pour renforcer la défense militaire à la frontière avec l’Algérie, que cherche-t-il ? Nourrir une nouvelle guerre entre le Maroc et l’Algérie ?
Les accords d’Abraham (deux traités de paix entre Israël et les Émirats arabes unis d’une part et entre Israël et Bahreïn d’autre part, signés sous Donald Trump, ndlr), ou les accords avec le Maroc ou le Soudan, ne leurrent personne. Tous ces états ne sont pas en guerre avec Israël. Ceux qui ont besoin de faire la paix, ce sont ceux qui ont des territoires occupés, la Palestinienne et la Syrie.
On dirait qu’au lieu d’aller vers la paix, on va vers un affrontement. Les Palestiniens ne vont pas accepter d’être les oubliés ou les nouveaux indiens qu’on met dans des réserves… Aujourd’hui, avec les médias, les réseaux sociaux, on ne peut plus cacher la réalité. La réalité sort immédiatement. Et ceux que l’on peut toucher, nous Palestiniens, ce sont les citoyens. D’où mon travail avec les associations palestiniennes en Belgique ou en France, les associations qui défendent les droits humains. Je n’ai plus envie de représenter une diplomatie, puisqu’il n’y a pas de diplomatie. Ni diplomatie palestinienne, ni diplomatie arabe sur la Palestine, ni européenne, et encore moins de diplomatie israélienne aux Etats-Unis.
G.K. Comment expliquer ce statu quo au niveau international ?
Leïla Shahid : Le blocage ne date pas d’aujourd’hui. Il dure depuis plus de 54 ans, puisque l’occupation d’Israël a commencé en 1967. Plusieurs résolutions ont été votées au Conseil de sécurité pour demander à Israël de retirer ses forces d’occupation. Sans résultat. Et le monde a décidé de fermer les yeux devant les crimes et les violations des droits humains qui ont été commis par Israël, notamment à Gaza, à l’encontre des Palestiniens.
C’est dangereux car c’est planter les graines de conflits à venir. Sous prétexte que c’est une lutte contre le terrorisme et qu’il y aurait à Gaza un mouvement islamiste qui s’appelle le Hamas, l’opinion tolère qu’on tue des populations civiles. Israël veut expulser des Palestiniens de Jérusalem-Est, par la force, parce qu’elle est la seule loi.
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Aujourd’hui, l’Union européenne est tellement divisée, les Américains ont l’air perdus, les chinois s’occupent de leur commerce et Vladimir Poutine s’occupe de réprimer ceux qu’il n’aime pas. Les Palestiniens, eux, se retrouvent seuls. Les seuls qui sont avec eux, ce sont les associations, les membres de la société civile, les parlementaires… Et même si la situation semble désespérée, les Palestiniens n’abandonneront pas. Je ne suis pas pessimiste sur l’avenir mais je suis pessimiste pour ma génération qui a cru aux accords d’Oslo (les accords d’Oslo de 1993 étaient porteurs d’un espoir de créer un état palestinien, ndlr), mais qui n’a plus aucune illusion de voir ces accords aboutir.
G.K. Vous dénoncez un Etat-apartheid en Israël… (Un concept contesté, ndlr)
Leïla Shahid : Oui, l’apartheid en Israël à l’égard des Palestiniens. En Afrique du Sud, il y avait deux lois pour une population, selon les appartenances raciales. Une loi pour les noirs et autre pour les blancs. C’est pareil en Israël, puisqu’en 2018, le Parlement Israélien a voté une loi qui définit Israël comme ‘l’Etat-nation du peuple juif. Le seul peuple qui a droit à l’autodétermination en Israël, c’est le peuple juif. Or en Israël, il y a 20% de citoyens israéliens qui sont chrétiens, musulmans et athées. Ceux-là sont devenus des citoyens de seconde zone, qui n’ont pas les mêmes droits que les citoyens juifs israéliens.
Pourquoi le monde ne réalise-t-il pas que cette attitude d’Israël ne peut qu’aller vers une forme de violence en retour ? C’est la pire des choses pour le peuple israélien ! Israël ne pourra pas vivre en paix en signant un accord avec un Cheikh d’un pays du golf… C’est avec les Palestiniens qu’Israël doit signer pour avoir la paix.
Je pense qu’Israël traverse une crise existentielle très grave. Il y a aujourd’hui à la Knesset (le Parlement israélien, ndlr), des personnes ouvertement racistes. Des partis d’extrême droite, sioniste religieux. Beaucoup d’Israéliens quittent le pays parce qu’ils ne veulent pas vivre dans une théocratie juive. Je pense que les Israéliens se sont renfermés sur eux-mêmes.