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#Investigation: après la crise du Covid-19, les faillites seront nombreuses. Comment gérer ?

La Belgique pourrait faire face à une vague de faillites en 2021, comment la justice va-t-elle réussir à gérer cela ?

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Par dacl

Comment va-t-on gérer le nombre important d’entreprises qui vont déposer le bilan après la crise sanitaire. C’est une question compliquée que nous posons là, car la situation économique est très difficile pour de nombreux indépendants. Certains ont fait faillite en 2020, d’autres tiennent encore, mais jusqu’à quand ?

Frédéric De Wit est restaurateur. Il a repris son établissement, l’Estaminet de Joséphine à Waterloo, il y a trois ans et demi. Mais en octobre 2020, il doit se rendre à l’évidence : il doit fermer définitivement. "Il fallait stopper l’hémorragie, confie Frédéric. Nous n’avions plus de trésorerie pour subir un deuxième confinement sans avoir de date de réouverture."

Quand il fait faillite, nous sommes à l’aube du deuxième confinement. Les difficultés financières avaient déjà commencé avant la crise sanitaire, mais la fermeture des restaurants durant deux mois et demi, début 2020, l’a "achevé", ajoute Frédéric. "Le Covid a été le coup de grâce", poursuit-il.

S’il n’y avait pas eu cette crise sanitaire, le restaurateur aurait peut-être eu une deuxième chance puisqu’il était en PRJ. Cette procédure de réorganisation judiciaire permet d’étaler les dettes sur un temps déterminé.

Mais avant de rendre définitivement les clés de son estaminet, il va vider les frigos. Avec l’autorisation de sa curatrice, qui assure désormais la gestion, il donne toutes les denrées alimentaires stockées dans les congélateurs. Dedans, des plats préparés juste avant le confinement et qui devaient être mis à la carte dans les semaines suivantes. "Autant, ça me fait plaisir pour les bénéficiaires, autant ça me fait mal de vous voir vider vos congélateurs", déplore Stéphanie, gérante du Frigo solidaire de Braine-L’Alleud, une organisation qui vient en aide aux plus démunis. "Je préfère donner que jeter. Au moins, ça fera plaisir à quelqu’un", relativise le restaurateur.

Chute des faillites

Comme Frédéric, en octobre 2020, 613 entreprises ont fait faillite, selon Statbel. Les secteurs les plus touchés sont les commerces (138), l’Horeca (117) et la construction (104). C’est une diminution de plus de 30% par rapport à octobre 2019. Des chiffres qui ne reflètent pas la réalité. En 2020, le nombre de dépôts de bilan a chuté en raison du choix du gouvernement fédéral d’instaurer des moratoires, l’un durant le premier confinement, le deuxième en fin d’année. Avec ce mécanisme, les faillites sont gelées. "Les grosses institutions telles que l’ONSS, la TVA, l’Etat, mais également les parquets, qui introduisent énormément d’actions en faillite, n’ont plus pu le faire", confirme Etienne Hody, président des divisions Namur et Dinant au Tribunal de l’entreprise de Liège.


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Avec ce gel des faillites, le risque est grand de maintenir des entreprises à flot alors que leur avenir est pourtant la fermeture. "La société traite avec un certain nombre d’entreprises qui sont ignorantes de la situation difficile dans laquelle leur contractant se trouve, admet le magistrat, qui s’exprime sur ce sujet à titre personnel. Elles risquent elles-mêmes d’être mises en difficulté." Un effet domino qui ne serait pas bénéfique pour l’économie belge.

Et quand les moratoires seront terminés ?

La crise sanitaire ne durera pas éternellement et les citations en faillite vont reprendre dans quelques semaines, voire mois. Les différents gouvernements n’accorderont plus d’aide. La situation pourrait alors s’aggraver avec un afflux de faillite. Le bureau d’études Graydon redoute d’ailleurs le pire, et envisage jusqu’à 50.000 faillites en raison de la crise du Covid19.

Face à cette multitude, les tribunaux parviendront-ils à gérer ? "La crainte est de devoir traiter beaucoup de dossiers si effectivement le moratoire prend fin à un moment précis pour l’ensemble des acteurs et que l’ensemble des acteurs relance les assignations en faillite", estime Etienne Hody, président des divisions Namur et Dinant du tribunal de l’entreprise de Liège.

Avec le risque que d’éventuels fraudeurs tentent de passer entre les mailles du filet. "Il y a un risque d’impunité, admet le magistrat. Si on nous donne les moyens de faire un contrôle correct, il n’y aura pas de difficulté pour nous de relever les éventuelles fraudes." Mais on le sait, les moyens mis à la disposition de la justice manquent. D’autant plus qu’en cette période de crise sanitaire, les priorités sont ailleurs au sein de la justice. Les parquets consacrent beaucoup de temps et d’argent aux infractions Covid. "C’est tout à fait légitime, reconnaît Etienne Hody, mais on risque de se retrouver dans une situation où il y aura encore moins de temps que d’habitude à consacrer à la recherche des infractions économiques et financières."

Dissolution plutôt que faillite

Un projet de loi de Koen Geens, envisage de passer par des dissolutions judiciaires, une pratique bien moins lourde et plus rapide que la faillite, qui permettrait de faire face à cette vague. "Quand le tribunal voit que l’entreprise assignée en faillite n’a pas d’actif, il aurait la possibilité de prononcer la dissolution judiciaire avec une clôture immédiate, avance Etienne Hody. Ce qui permet de mettre fin immédiatement à l’entreprise."

Dans le monde de la justice, certains se réjouissent de cette proposition. D’autres moins, notamment les curateurs. "Il n’y aura plus de vérification, prévient l’un d’eux. Ça va contre l’intérêt des citoyens et l’intérêt public". "On peut revenir en arrière. Si un créancier se manifeste (ndlr : pour demander une enquête), on peut demander pendant six mois de revenir sur la liquidation", répond un magistrat favorable à la dissolution judiciaire.

Les tribunaux s’attendent donc à une vague de faillite, même si son importance reste très difficile à quantifier. Mais il faudra rester attentifs à ces fraudeurs, qui vont tenter de passer entre les mailles du filet. "Les infractions commises dans le cadre de l’activité économique ont existé, existent et continueront d’exister, soutient Etienne Hody. Ça ne variera pas en fonction de la situation sanitaire. Ça variera en fonction des moyens qu’on mettra à notre disposition pour effectuer des contrôles corrects", conclut-il.

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