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#Investigation : le cash, une espèce en voie de disparition

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Par Jean-Christophe Adnet via

L’usage du cash diminue chaque année en Belgique. Avant la crise sanitaire, 58% des paiements se faisaient encore en liquide. Aujourd’hui, ce chiffre est passé sous la barre des 50%. Les confinements successifs ont boosté le commerce en ligne et l’argent électronique. Nous payons sans contact, avec notre smartphone, notre ordinateur, … Nos comportements seraient-ils à l’origine de cette utilisation de moins en moins importante du cash ? Pas uniquement.

Les comportements bancaires des Belges ont changé

"L’ambition du secteur bancaire, c’est de proposer des solutions de paiement pratiques et sûres, essentiellement électroniques", explique Rodolphe de Pierpont, le porte-parole de Febelfin, la fédération belge du secteur financier. Le discours des banques est clair et assumé : l’usage du cash doit diminuer de manière drastique. Ce serait d’ailleurs ce que souhaitent les citoyens belges, selon Febelfin. "Nous ne faisons qu’accompagner un mouvement accentué par la crise du coronavirus. Soyons clairs, l’usage du cash reste légal, évidemment, mais nous devons offrir ces outils modernes, ces applications mobiles. Par son comportement, c’est ce que demande le consommateur", poursuit Rodolphe de Pierpont.

Rodolphe de Pierpont – Porte-parole de Febelfin
Rodolphe de Pierpont – Porte-parole de Febelfin © RTBF

Moins de cash, moins de distributeurs

Pour Febelfin, à cause de ce développement des paiements numériques, il y a désormais trop de distributeurs. Trop et mal situés : "On constate sur le terrain, aujourd’hui, qu’on a souvent des zones avec plusieurs distributeurs les uns à côté des autres et puis des endroits où il n’y en a plus. A l’avenir, ces machines doivent être mieux réparties". Mais cela passe par une baisse globale du nombre, qui a déjà été amorcée bien avant la crise sanitaire. La diminution de l’usage du cash ne serait-elle pas aussi une conséquence de cet accès de plus en plus compliqué ? "Si le citoyen a plus de possibilités digitales, il a moins besoin de distributeur. Mais c’est certain que si on est forcé d’aller loin pour trouver de l’argent, on privilégiera les cartes, les applisC’est la question de l’œuf et de la poule", conclut Rodolphe de Pierpont.

"Les banques vont trop vite, trop loin"

Anne Fily – économiste – Financité
Anne Fily – économiste – Financité © RTBF

"Les banques avancent à marche forcée", explique Anne Fily, chercheuse au sein du réseau Financité, qui milite pour une finance plus éthique et plus solidaire. "Les banques se sont lancées dans une diminution de leurs coûts. Elles regardent tous les postes où elles peuvent faire des économies. Et les distributeurs de billets font partie de cette politique. Comme les agences, d’ailleurs. Selon une étude que nous avons menée, entre 2019 et 2020, 460 agences bancaires ont fermé leurs portes. 730 distributeurs de billets ont été supprimés et ce n’est qu’un début".

Les 4 grandes banques du pays, KBC, BNP Paribas Fortis, Belfius et ING se sont réunies autour d’un projet baptisé Batopin. Il prévoit la mise en place d’un réseau de distributeurs neutres. Mieux placés mais beaucoup moins nombreux. En 2013, la Belgique comptait 8770 distributeurs de billetsEn 2020, ils étaient moins de 7000. Et si ce projet Batopin se poursuit, dans 2 ans, il n’en restera plus que 4000. "Probablement encore moins", poursuit Anne Fily. "Mais comment vont faire les milliers de Belges qui ont du mal à se déplacer et qui ont besoin d’argent liquide pour vivre. Tout le monde ne maîtrise pas les outils numériques. En Wallonie, plus de 40% des gens ne font jamais de paiements en ligne. Que vont-ils devenir ?" Pour cette économiste, les banques sont en train de faire des économies en oubliant une partie de la population. "Et surtout les plus faibles : les exclus du numérique, les personnes âgées, les plus démunis, les personnes souffrant de handicap".

Le cash coûte, l’électronique rapporte

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Pour Febelfin, la fédération des banques, le Belge n’est pas conscient que le cash lui coûte cher. Il faut le produire, le transporter, le distribuer, le sécuriser. Rodolphe de Pierpont détaille : "Le coût du cash est de 130 euros par an et par habitant. Et c’est avec ses impôts ou des frais bancaires que le citoyen paie ce montant. Il y a les coffres-forts, les fourgons blindés, etc. Et ce coût, on peut le diminuer si on favorise les paiements digitaux".

"Les banques peuvent surtout facturer tous les paiements digitaux mais pas le cash", rétorque l’économiste Anne Fily. Et ceux qui paient le prix fort, ce sont les commerçants.

En juillet 2022, toutes les boutiques devront proposer à leurs clients un moyen de paiement électronique.

Il existe des solutions faciles et peu coûteuses, notamment des applications mobiles comme Payconiq, disponibles sur smartphone. Mais ce système n’est pas adapté à tout le monde car les montants sont plafonnés. Et les commerçants qui choisiront un terminal Bancontact devront passer à la caisse…

Les machines les plus sophistiquées coûtent jusqu’à 900 euros à l’achat. Les frais d’activation et d’installation varient, selon la banque, de 30 à une centaine d’euros. Il faut ajouter le coût de l’abonnement, de 10 à 30 euros par mois ainsi qu’un prélèvement par la banque, jusqu’à 20 centimes par transaction.

"On commence à comprendre", conclut Anne Fily. "Les transactions électroniques rapportent donc aux banques alors que le liquide, sa production, son transport et sa sécurisation leur coûtent de l’argent. On s’attaque au cash. Mais il faut bien se souvenir que les banques ont le monopole des dépôts. Et que l’argent, c’est un bien public. Les banques ne peuvent pas décider seules de restreindre l’accès à notre argent".

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